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[ 10 mars 2021 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Une condamnation pour apologie du terrorisme peut-elle justifier le retrait du statut de réfugié ?

Le retrait du statut de réfugié ne peut être justifié par une condamnation pour apologie publique d’actes de terrorisme. En effet, cette infraction n’est un pas crime, mais un délit qui n’est pas puni de dix ans d’emprisonnement et qui ne peut être qualifié d’« acte de terrorisme ». 

CE 12 février 2021, n° 431239

Une personne de nationalité russe et d'origine tchétchène bénéficiant de la qualité de réfugié par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) depuis le 25 août 2011, s’est vue retirer ce statut par une décision du 20 février 2017 prise en application du 2° de l'article L. 711-6 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. 

L’OFPRA a effet mis fin à son statut de réfugié à la suite de quatre condamnations pénales entre 2011 et 2016, dont une condamnation prononcée le 18 février 2015 par le tribunal correctionnel de Nice pour des faits d'apologie publique d'un acte de terrorisme. L’Office a considéré que la présence de cette personne sur le territoire français constituait une menace grave pour la société. Toutefois, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a annulé cette décision et a rétabli cette personne dans le statut de réfugié. L’OFPRA s’est alors pourvu en cassation devant le Conseil d’État qui vient de confirmer la décision de la CNDA.

Les conditions de retrait du statut de réfugié au sens de l’article L. 711-6, 2° du CESEDA

L'article L. 711-6 du CESEDA est issu de la transposition des dispositions du 4. de l'article 14 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011. Le Conseil d’État a été amené à plusieurs reprises à en préciser la portée, notamment concernant l’interprétation du 2°.

Ainsi, une décision du 19 juin 2020 (n° 428140 ; V. également : CE 10 déc. 2020, n° 425040) précise que : « la possibilité de refuser le statut de réfugié ou d'y mettre fin, qui est sans incidence sur le fait que l'intéressé a ou conserve la qualité de réfugié dès lors qu'il en remplit les conditions, est subordonnée à deux conditions cumulatives » : 

-        vérifier si l'intéressé a fait l'objet de l'une des condamnations visées par le 2° de l’article L. 711-6 du CESEDA (crime ou délit constituant un acte de terrorisme ou puni de 10 ans d'emprisonnement) ;

-        apprécier si sa présence sur le territoire français est de nature à constituer, à la date de leur décision, une menace grave pour la société française, si sa présence est de nature à affecter un intérêt fondamental de la société, compte tenu des infractions pénales commises - lesquelles ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une décision refusant le statut de réfugié ou y mettant fin - et des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, mais aussi du temps qui s'est écoulé et de l'ensemble du comportement de l'intéressé depuis la commission des infractions ainsi que de toutes les circonstances pertinentes à la date à laquelle ils statuent.

Concernant l’affaire du 12 février 2021, le Conseil d’État devait tout d’abord déterminer si l’apologie publique des actes de terrorisme (C. pén., art. 421-2-5) était une infraction entrant dans le champ des condamnations visées par le 2° de l’article L. 711-6 du CESEDA ; plus précisément si le délit d'apologie publique d'actes de terrorisme pouvait être qualifié d’acte de terrorisme. 

Pour cela le Conseil d’État se réfère au paragraphe 16 de la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-706 QPC du 18 mai 2018 : « si le délit d'apologie publique d'actes de terrorisme est prévu par l'article 421-2-5 du code pénal, qui figure dans le chapitre Ier, intitulé « Des actes de terrorisme », du titre II du livre IV du même code, le législateur n'a pas expressément qualifié cette infraction d'acte de terrorisme. »

Ainsi, la première condition nécessaire au retrait du statut de réfugié n'est pas remplie. 

En effet, le Conseil d’État reprend, dans son arrêt du 12 février 2021, l’argumentation de la CNDA. En l’espèce, les délits ayant donné lieu aux condamnations de la personne de nationalité russe et d'origine tchétchène étaient punis de peines inférieures à dix ans d'emprisonnement et les faits d'apologie publique d'un acte de terrorisme pour lesquels il avait été condamné le 18 février 2015 ne constituaient pas un acte de terrorisme. 

De fait, les deux conditions du 2° de l’article L. 711-6 du CESEDA devant être cumulatives, la première n’étant en l’espèce pas remplie, la seconde consistant à apprécier si la présence de l’intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace grave pour la société française, n’a pas à être examinée par le Conseil d’État.

Les deux conditions cumulatives ont pu par exemple être retenues par la CNDA dans une affaire concernant une femme de nationalité marocaine, née en 1977, ayant rejoint sa mère en France, à l’âge de six mois et vécu en France et au Maroc avant de s’établir définitivement sur le territoire français, en 1986. Cette personne, née intersexuée avait entrepris en France un processus de changement de sexe vers le genre masculin. Elle a été expulsée vers le Maroc, après plusieurs condamnations en France, dont une à douze ans de réclusion criminelle pour des faits de « torture ou acte de barbarie sur une personne vulnérable - mineure au moment des faits ». Selon la CNDA, « si la requérante était éligible au statut de réfugié en raison de son appartenance au groupe social des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées du Maroc et de ses craintes de persécutions pour ce motif, sa présence en France a été jugée d’une dangerosité telle qu’elle constituerait une menace grave pour la société, cela justifiant que le statut de réfugié lui soit refusé en vertu de l’article L. 711-6, 2° » (CNDA 12 mars 2019, n° 17028590). 

Dans une autre affaire, la CNDA (26 juill. 2019, n° 17053942) avait rejeté le recours formé par un réfugié russe d’origine tchétchène contre une décision par laquelle l’OFPRA avait mis fin à son statut de réfugié en application de l’article L. 711-6 du CESEDA, après sa condamnation définitive par une Cour d'appel à dix ans d’emprisonnement avec interdiction définitive du territoire français pour menaces de crime ou de délit à l'encontre d'une personne chargée d’une mission de service public, pour acte d'intimidation envers cette même personne, pour qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa mission, ainsi que pour apologie publique d’un acte de terrorisme. Ainsi, la condamnation pour un délit puni de dix ans d’emprisonnement en France, permet à la CNDA de décider que la première condition posée par le 2° de l’article L. 711-6 était bien remplie. Puis, concernant la seconde condition, la CNDA décide que la menace grave pour la société est bien en l’espèce une menace réelle, actuelle et suffisamment grave (succession d’éléments de fait démontrant la persistance d’une attitude menaçante, paranoïde, instable et propos radicaux à caractère religieux).

Enfin, à noter que le nouveau CESEDA issu de l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 (partie législative) et du décret n° 2020-1734 du 16 décembre 2020 (partie réglementaire) entre en vigueur le 1er mai 2021. À cette date, l’article L. 711-6 deviendra l’article L. 511-7

Références

■ CE 19 juin 2020, n° 428140  B: AJDA 2020. 1317

■ CE 10 déc. 2020, n° 425040

■ Cons. const. 18 mai 2018, n° 2018-706 QPC : D. 2018. 1233, note Y. Mayaud ; ibid. 2019. 1248, obs. E. Debaets et N. Jacquinot

■ CNDA 12 mars 2019, n° 17028590 :  Recueil annuel de jurisprudence de la CNDA, année 2019, p. 62

■ CNDA 26 juill. 2019, n° 17053942Recueil annuel de jurisprudence de la CNDA, année 2019, p. 145

 

Auteur :Christelle de Gaudemont


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