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[ 11 octobre 2011 ] Imprimer

Droit constitutionnel

Une disposition de nature réglementaire ne peut faire l’objet d’une QPC

Mots-clefs : Conseil constitutionnele, QPC, Art. 61-1 Const., Art. 23-1 Ord. 1958, Disposition réglementaire, Droit de propriété, Trouble manifestement illicite

Dans le cadre de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel d’examiner la conformité d’une disposition de nature réglementaire aux droits et libertés que la Constitution garantit.

Dans sa décision QPC en date du 30 septembre 2011, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme l’article 544 du Code civil à la Constitution. Outre le fait que cet article qui définit le droit de propriété « ne méconnaît par lui-même aucun droit ou liberté que la Constitution garantit » (cons. 9 ; art. 2 et 17 DDH de 1789), cette décision présente l’intérêt de rappeler la nature des dispositions dont tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité. Reprenons les différentes étapes de cette décision.

▪ Contexte et conditions de la saisine du Conseil constitutionnel

Deux communautés d’agglomération ont saisi le juge des référés du Tribunal de grande instance de Pontoise d’une action tendant à l’expulsion d’occupants sans droit ni titre de terrains leur appartenant. Au cours de cette procédure fut soulevée la QPC suivante : « Les dispositions de l’article 544 du code civil, telles qu’interprétées de façon constante par la Cour de cassation, portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, et notamment au principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité contre toute forme d’asservissement ou de dégradation, au droit de mener une vie familiale normale et à l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue le droit au logement ». La QPC fut alors transmise à la troisième chambre civile de la Cour de cassation qui, avant de la renvoyer au Conseil constitutionnel (art. 61-1 Const.), examina les trois conditions prévues à l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 :

– la disposition législative (art. 23-1, al. 1er Ord. 1958) contestée était bien applicable au litige qui concerne une procédure d’expulsion d’occupants de la propriété d’autrui ; 

– depuis sa création en 1804, cette disposition n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif par une décision du Conseil constitutionnel ;

– la question posée présentait un caractère nouveau et sérieux au regard des principes constitutionnels invoqués.

▪ Disposition réellement visée par les requérants

Les termes utilisés pour la rédaction de la QPC ne sont pas anodins : « Les dispositions (…) telles qu’interprétées de façon constante par la Cour de cassation ». Était ici visée, la jurisprudence de la Haute cour qui consacre le caractère absolu du droit de propriété en jugeant que « l’occupation sans droit ni titre (…) constitue un trouble manifestement illicite au sens de l’article 809 alinéa 1er du Code de procédure civile » (Civ. 3e, 20 janv. 2010), et qui a pour conséquences, une fois mise en œuvre, de voir expulsées des personnes ne disposant d’aucun logement. C’est donc le procédé même de l’expulsion qui porterait atteinte au principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité (Préambule de la Constitution de 1946), au droit de mener une vie familiale normale et à l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent (Cons. const. 29 juill. 1998Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions ; Cons. const. 7 déc. 2000Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains).

Ainsi, la disposition réellement contestée par les requérants était la constitutionnalité de l’article 809, aliéna 1er du Code de procédure civile et non la définition de la propriété annoncée par l’article 544 du Code civil. Or il s’avère que l’article 809 est un texte de nature réglementaire (Décr. 5 déc. 1975, modifié).

▪ Position du Conseil constitutionnel

Si par le passé, le Conseil a consacré le caractère constitutionnel du droit de propriété (Cons. const. 16 janv. 1982), il reconnaît que certaines limitations peuvent y être apportées par le législateur (art. 34 Const.) « à la condition que celles-ci n'aient pas un caractère de gravité tel que le sens et la portée de ce droit en soient dénaturés » (cons. 8 ; déjà in Cons. const. 29 juill. 1998, préc. ; de même, v. notamment la censure de l’art. 90 de la loi dite « LOPPSI » qui, en permettant au préfet de procéder dans l’urgence à l'évacuation forcée de terrains occupés illégalement par des personnes sans considération de leur situation personnelle ou familiale, créait un déséquilibre manifeste entre la nécessité de sauvegarder l'ordre public et les autres droits et libertés individuels : Cons. const. 10 mars 2011).

Le Conseil ne se substitue donc pas au législateur. S’il reconnaît toutefois à tout justiciable le droit de contester la constitutionnalité « de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à la disposition législative contestée » (Cons. const. 6 oct. 2010 et Cons. const. 14 oct. 2010), il se refuse d’examiner une disposition de nature réglementaire (en l’espèce l’art. 809 C. pr. civ.) aux droits et libertés que la Constitution garantit et ce, en vertu des articles 61-1 de la Constitution et 23 l’alinéa 1er de l’ordonnance de 1958 qui ne visent exclusivement que les dispositions à caractère législatif.

En d’autres termes, comme il ne relevait pas des compétences légales du Conseil constitutionnel « d'examiner la conformité de l'article 809 alinéa 1er du code de procédure civile aux droits et libertés que la Constitution garantit » (cons. 9), il ne pouvait se prononcer sur le fait qu’une occupation de la propriété d’autrui doit être regardée comme un trouble manifestement illicite entraînant une expulsion.

Cons. const. 30 sept. 2011, n°2011-169 QPC

Références

■ « Point sur la QPC », Dalloz Actu Étudiant 16 sept. 2011.

 Droit de propriété

[Droit civil]

« Selon la théorie classique, droit réel principal conférant à son titulaire, le propriétaire, toutes les prérogatives sur le bien, objet de son droit; traditionnellement on distingue 3 prérogatives : l’usus, l’abusus et le fructus. Le droit de propriété constitue lui-même un bien.

Pour certains auteurs toutefois, il désigne non un bien, mais la relation d’exclusivité qui existe entre chaque bien et la personne à laquelle il appartient. »

■ Décret

[Droit administratif/Droit constitutionnel]

« Acte juridique exécutoire à portée générale (règlement) ou individuelle signée soit par le président de la République, soit par le Premier ministre.

1° Le président de la République signe d’une part les décrets qui, aux termes de la Constitution ou des lois organiques, relèvent de sa compétence, d’autre part tous ceux qui sont délibérés en Conseil des ministres (art. 13). Ces décrets sont contresignés par le Premier ministre et, « le cas échéant, par les ministres responsables » (sauf dans les cas exceptionnels où il n’y a pas contreseing : art. 19).

2° Le Premier ministre signe tous les autres décrets. Ils sont contresignés, « le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution » (art. 22). Depuis le début de la Ve République, des décrets relevant de la compétence du Premier ministre sont aussi signés par le président de la République (le Conseil d’État ne considère pas cette pratique comme illégale).

3° Décret en Conseil d’État : décret adopté après avoir été soumis pour avis au Conseil d’État. »

■ Règlement

[Droit constitutionnel]

« Acte de portée générale et impersonnelle édicté par les autorités exécutives compétentes. La Constitution de 1958 confie le pouvoir réglementaire général au Premier ministre : article 21; mais le chef de l’État signe les décrets que la Constitution réserve à sa compétence et ceux qui ont été délibérés en Conseil des ministres.

• Règlement d’application : règlement destiné à assurer l’exécution d’une loi. Il s’appuie sur une loi et ne peut l’enfreindre.

• Règlement autonome : règlement pris spontanément et à titre exclusif dans les matières autres que celles réservées à la loi. Il est donc directement subordonné à la Constitution et aux principes généraux du droit, mais non à la loi. En restreignant le domaine de la loi, la Constitution de 1958 a considérablement étendu celui du règlement autonome, jusque-là limité à la police et à l’organisation des services publics. »

Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

■ Civ. 3e, 20 janv. 2010, n°08-16.088, Bull. civ. III, n°19 ; D. 2010. 326.

■ Cons. const. 29 juill. 1998, n°98-403 DC, Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions.

■ Cons. const. 7 déc. 2000, n°2000-436 DC, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

■ Cons. const. 16 janv. 1982, n°81-132, Loi de nationalisation.

■ Cons. const. 10 mars 2011, n°2011-625 DC, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

■ Cons. const. 6 oct. 2010, n° 2010-39 QPC.

■ Cons. const. 14 oct. 2010, n° 2010-52 QPC.

■ Article 61-1 de la Constitution de 1958

« Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »

■ Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel

Article 23-1

« Devant les juridictions relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office.

Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n'est pas partie à l'instance, l'affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis. 

Si le moyen est soulevé au cours de l'instruction pénale, la juridiction d'instruction du second degré en est saisie.

Le moyen ne peut être soulevé devant la cour d'assises. En cas d'appel d'un arrêt rendu par la cour d'assises en premier ressort, il peut être soulevé dans un écrit accompagnant la déclaration d'appel. Cet écrit est immédiatement transmis à la Cour de cassation. »

Article 23-2

« La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. 

En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation.

La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'État ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige. »

■ Article 544 du Code civil

Créé par Loi 1804-01-27 promulguée le 6 février 1804

La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. 

■ Article 809 du Code de procédure civile

 « Le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. »

■ Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789

Article 2

« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. »

Article 17

« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »

■ Article 34 de la Constitution de 1958

« La loi fixe les règles concernant :

– les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ; les sujétions imposées par la Défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens ;

– la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ;

– la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l'amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats ;

– l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; le régime d'émission de la monnaie.

La loi fixe également les règles concernant :

– le régime électoral des assemblées parlementaires, des assemblées locales et des instances représentatives des Français établis hors de France ainsi que les conditions d'exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ;

– la création de catégories d'établissements publics ;

– les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'État ;

– les nationalisations d'entreprises et les transferts de propriété d'entreprises du secteur public au secteur privé. 

La loi détermine les principes fondamentaux :

– de l'organisation générale de la Défense nationale ;

– de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ;

– de l'enseignement ;

– de la préservation de l'environnement ;

– du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ;

– du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale. 

Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'État dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. 

Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. 

Des lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'État.

Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques.

Les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une loi organique. »

 

Auteur :A. T.


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