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[ 10 juin 2014 ] Imprimer

Droit des obligations

Une nouvelle application du devoir de conseil du notaire

Mots-clefs : Responsabilité civile professionnelle, Notaire, Rédacteur d’actes, Devoir de conseil, Nécessité de recours à un interprète, Manquement (oui)

Le notaire engage sa responsabilité professionnelle pour manquement à son devoir de conseil s’il n’invite pas son client, qui maîtrise mal la langue française, à se faire assister par un interprète.

Une banque avait consenti à une société, par acte authentique, un prêt de 500 000 euros, garanti par le cautionnement solidaire d'un ressortissant néerlandais. Après la mise en redressement judiciaire de la société, la banque avait déclaré sa créance et assigné la caution en paiement. Cette dernière avait alors recherché la responsabilité du notaire, lui reprochant de ne pas l'avoir invitée à se faire assister par un interprète lors de la signature de l'acte.

La cour d'appel fit droit à sa demande et condamna le notaire à garantir la caution à hauteur de la totalité de la créance de la banque. Le notaire forma un pourvoi en cassation. Selon lui, il n’était pas tenu d’informer son client de ce qu’il savait ou, du moins, qu’il ne pouvait légitimement ignorer, en l’occurrence, la possibilité de se faire assister par un interprète, de telle sorte que son client avait, en s’en abstenant, commis une faute exonératoire, au moins en partie, de sa responsabilité professionnelle.

La première chambre civile rejette néanmoins son pourvoi au motif que « le notaire, tenu d'éclairer les parties sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il prête son concours, avait constaté la mauvaise connaissance de la langue française de son client » et qu’ainsi, la cour d'appel avait « pu décider qu'en ne l'invitant pas à se faire assister par un interprète, l'intéressé avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité professionnelle ». Elle ajoute que la faute commise par la caution (en se privant délibérément des services d'un interprète) « était entièrement absorbée par celle, plus grave, de son notaire et qu'il n'y avait pas lieu, dès lors, d'opérer un partage de responsabilité ».

Le devoir de conseil du notaire, en sa qualité de rédacteur d’actes, est devenu tentaculaire. Outre la traditionnelle obligation d'information à laquelle il est tenu, la jurisprudence considère que lui incombe, aussi, un devoir de conseil l’obligeant à s'assurer de la validité et de l'efficacité – entendue comme l'aptitude de l'acte à produire les effets recherchés par les parties – des actes qu’il rédige et authentifie.

En l’espèce, le notaire, demandeur au pourvoi, avait tenté de faire valoir le tempérament généralement apporté à ce devoir de conseil, à savoir la compétence personnelle de celui à qui il devrait être dû.

En effet, l'information, comme le conseil, ne sont dus qu’à celui qui, objectivement, en a besoin compte tenu de sa qualité (de consommateur par exemple) ou plus généralement, de la légitimité de son ignorance, même de la part d’un professionnel (Civ. 1re, 24 nov. 1976 ; Civ. 1re, 4 mai 1994 ; Civ. 1re, 20 juin 1995. – Ch. Larroumet).

Llégitimité de cette ignorance semble est appréciée in concreto, c'est-à-dire en tenant compte de toutes les circonstances personnelles permettant de mesurer la capacité réelle de l'ignorant à se renseigner (Comp. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette). Ainsi, une société importante, habituée au négoce international, est apte à mesurer les conséquences d'une garantie autonome et n'a pas à être spécialement informée par une banque (Com. 3 mai 2000). Dans le même sens, l'obligation d'information et de conseil du vendeur à l'égard de l'acheteur professionnel n'existe que dans la mesure où la compétence de celui-ci ne lui donne pas les moyens d'apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques des produits qui lui sont vendus (Civ. 1re, 30 nov. 2004).

Il est toutefois constant, en matière de conseil juridique, que la compétence personnelle du client ne supprime pas le principe de l'obligation du professionnel, quoiqu’elle puisse parfois affecter son étendue (à propos d’un avocat : Civ. 1re, 12 janv. 1999 ; Civ. 1re, 19 mai 1999 ; à propos d’un notaire : Civ. 1re, 28 nov. 1995 ; Civ. 1re, 12 déc. 1995 ; Civ. 1re, 3 avr. 2007Bull. civ. I, n° 142. – Civ. 3e, 23 sept. 2009).

En ce sens, la décision rapportée précise que le notaire doit, au titre de son devoir de conseil, inviter son client à se faire assister par un interprète et qu’à défaut d’y avoir procédé, il ne peut être exonéré de sa responsabilité en raison des connaissances de son client, en l’espèce, celles relatives à la possibilité de pouvoir y recourir. Poursuivant l’analyse, la Cour affirme que la conscience qu’avait son client de sa mauvaise maîtrise de la langue ne peut suffire à exonérer le notaire de sa responsabilité.

Oscar Wilde écrivait que « tout ce qu’on peut faire d’un bon conseil, c’est de le transmettre». En matière de responsabilité civile professionnelle, c’est désormais au conseil de tout transmettre.

Civ. 1re, 13 mai 2014, n° 13-13.509

Références

■ Civ. 1re, 24 nov. 1976, Bull. civ. I, n° 370.

■ Civ. 1re, 4 mai 1994Bull. civ. I, n° 163, n°92-13.377.

■ Civ. 1re, 20 juin 1995, n°93-15.948, RTD civ. 1996. 384, obs. Mestre.

■ Com. 3 mai 2000, n°96-21.814, Bull. civ. IV, n° 90.

■ Civ. 1re, 30 nov. 2004, n° 01-14.314, RTD civ. 2005. 381, obs. Mestre et Fages.

■ Civ. 1re, 12 janv. 1999, n°96-18.775, Bull. civ. I, n° 15, D. 1999. 303, obs. Piedelièvre.

■ Civ. 1re, 19 mai 1999, n°96-20.332, Bull. civ. I, n° 164, D. 2000. Somm. 153, obs. Blanchard.

■ Civ. 1re, 28 nov. 1995, n°95-13.659, Defrénois 1996. 361, obs. Aubert.

■ Civ. 1re, 12 déc. 1995, n°93-18.753 et 93-19.460, Bull. civ. I, n° 459.

■ Civ. 1re, 3 avr. 2007, n°06-12.831, Bull. civ. I, n° 142.

■ Civ. 3e, 23 sept. 2009, n°07-20.965 et 07-21.276, Bull. civ. 2009, III, n° 201.

■ F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les Obligations, 11e éd., Dalloz, 2013, n° 257 s.

■ Ch. Larroumet, Droit civil, t. 3, Les obligations, Le contrat, 3e éd., Economica, 1996, n° 374.

 

Auteur :M. H.


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