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[ 14 mars 2013 ] Imprimer

Droit de la famille

Une restriction à l’adoption fondée sur l’orientation sexuelle est discriminatoire

Mots-clefs : Famille, Filiation, Adoption, Coparentalité, Homoparentalité, Discrimination

L’impossibilité d’accéder à l’adoption coparentale pour les couples homosexuels non mariés est discriminatoire si elle est possible pour les couples hétérosexuels non mariés.

La CEDH a condamné l’Autriche pour discrimination envers les couples homosexuels candidats à l’adoption. La Cour avait été saisie, en 2007, par deux concubines homosexuelles autrichiennes, dont l’une a un fils, que sa compagne voulait adopter. Or, la législation autrichienne interdit au concubin homosexuel d’adopter l’enfant biologique de son ou de sa partenaire, tout en reconnaissant ce droit aux couples non mariés, hétérosexuels. Les magistrats autrichiens saisis avaient alors estimé juridiquement impossible de reconnaître ce droit à un couple homosexuel, justifiant leur position par l’effet substitutif de l’adoption coparentale, qui rompt le lien de filiation entre l’enfant et sa mère biologique. Le couple a alors saisi la CEDH, laquelle devait juger si le refus de recevabilité de la requête en adoption qui leur avait été opposé, sans même considérer son bien-fondé, constituait une discrimination illicite (Conv. EDH, art. 14) à l’exercice du droit à une vie familiale normale (Conv. EDH, art. 8).

La CEDH a jugé que l'impossibilité d'accès à l'adoption pour les couples homosexuels est discriminatoire en comparaison avec la situation des couples hétérosexuels non mariés, et que l'Autriche viole ainsi les articles 8 et 14 de la Convention. Elle retient que le gouvernement autrichien n'a pas fourni de raisons convaincantes propres à établir que la différence de traitement litigieuse était nécessaire à la préservation de la famille et à la protection de l'intérêt de l'enfant, et en déduit que la différence de traitement opérée entre les requérantes et un couple hétérosexuel non marié dont l'un des membres aurait souhaité adopter l'enfant de l'autre est uniquement fondée sur l'orientation sexuelle des requérantes. En revanche, la Cour conclut au respect des mêmes articles si l'on compare la situation des requérantes avec celle d'un couple hétérosexuel marié.

Le cas des requérantes fut donc apprécié en comparaison avec un couple marié et avec un couple non marié. Pour les besoins de la première analyse, la Cour rappelle que la Convention n’impose pas aux États membres d’ouvrir aux couples homosexuels le droit de se marier, le mariage conférant un statut particulier à ceux qui y souscrivent et emportant des conséquences sociales, personnelles et juridiques spécifiques. La situation d’un couple homosexuel dont l’un des membres souhaite adopter l’enfant de l’autre, hypothèse de l’affaire rapportée, n’est donc pas comparable à celle d’un couple marié (CEDH 15 mars 2012, Gas et Dubois c. France). Par conséquent, il n’y a pas sur ce point de discrimination illicite.

Concernant la seconde comparaison, la Cour affirme que l’article 8 n’impose pas aux États membres d’étendre le droit à l’adoption coparentale aux couples non mariés. Toutefois, la législation autrichienne ouvrant cette forme d’adoption aux couples hétérosexuels non mariés, il fallait rechercher si le refus d’ouvrir ce droit aux couples homosexuels non mariés poursuivait un but légitime et était proportionné à celui-ci. En effet, toute différence de traitement doit, pour être licite, reposer sur une justification légitime. Sous cet angle, la Cour reconnaît que la préservation de la famille traditionnelle constitue un but légitime pouvant justifier une différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle. Cela étant, pour instituer la différence de traitement litigieuse, le gouvernement autrichien devait démontrer que celle-ci était nécessaire à la réalisation de ce but, ce qu’il n’a pu, selon la Cour, établir. En outre, la Cour relève que le droit autrichien autorise l’adoption par une personne célibataire, même homosexuelle, et requiert, en cas d’union civile, le consentement de son partenaire. Ainsi la Cour fait-elle ressortir la contradiction du législateur autrichien, qui admet ou réfute, selon les cas, le préjudice que pourrait causer à l’enfant le fait de grandir au sein d’une famille homoparentale non traditionnelle. La Cour conclut donc à l’absence de justification de la restriction opérée : discriminatoire, cette restriction viole la Convention.

Cette décision confirme la conformité du droit de l’adoption français à la Conv. EDH (CEDH 15 mars 2012, Gas et Dubois c. France), ce type de filiation étant fermé à tous les couples non mariés, sans distinction entre les couples homosexuels et hétérosexuels, et peut-être prochainement ouvert à tous les couples mariés, même homosexuels.

CEDH, gr. ch., 19 févr. 2013, X et autres c. Autriche, n° 19010/07

■ CEDH 15 mars 2012, Gas et Dubois c. France, n°25951/07, Dalloz Actu Étudiant 19 mars 2012.

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 14 - Interdiction de discrimination

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

 

Auteur :M. H.


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