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[ 26 mars 2013 ] Imprimer

Droit des obligations

Une servitude non apparente n’est pas un vice caché

Mots-clefs : Vente immobilière, Servitude non apparente, Non-déclaration, Vice caché

L’absence de révélation lors de la vente d’un bien immobilier d’une servitude non apparente ne constitue pas un vice caché mais relève des dispositions de l’article 1638 du Code civil.

Par un arrêt promis aux honneurs du rapport annuel, la troisième chambre civile de la Cour de cassation censure la cour d'appel d'Aix-en-Provence pour avoir jugé qu'une servitude non apparente grevant le bien acquis s'analysait en un vice caché. Cette décision rappelle qu’en voulant offrir à l’acheteur déçu un très large choix d’actions possibles pour réparer son insatisfaction, le législateur a multiplié les risques de conflit et de chevauchement de ces actions et ainsi, semé une certaine confusion. L’arrêt rapporté en donne une illustration à propos des domaines respectifs d’application de l’article 1641 du Code civil relatif aux vices cachés et de l’article 1638 du même code concernant les charges réelles non déclarées lors de la vente d’un immeuble.

Les acquéreurs d’une parcelle de terrain à bâtir apprennent, après l'obtention de leur permis de construire, qu'une canalisation traverse leur terrain, en vertu d’une servitude conventionnelle qui n’était ni mentionnée dans l’acte de vente ni publiée à la conservation des hypothèques (devenue service de publicité foncière depuis le 1er janvier 2013). Or, cette canalisation les oblige à engager des frais importants, notamment le déplacement de l’assiette de la servitude, afin de pouvoir réaliser la construction envisagée. Ils assignent alors le vendeur en réparation du préjudice subi. En appel, ce dernier est condamné à payer aux acquéreurs une somme au titre de la perte de valeur du terrain. En vertu de l’article 1641 du Code civil qui fonde la garantie des vices cachés de la chose vendue, les juges du fond retiennent que la canalisation, dont l'existence n'a été révélée aux acquéreurs qu'après la vente, nécessitant la réalisation d'ouvrages adaptés et diminuant l'usage de ce terrain, constitue donc un vice caché. La Cour de cassation censure cette décision au motif « qu’une servitude non apparente ne constitue pas un vice caché mais relève des dispositions de l’article 1638 du code civil ».

Selon l'article 1638 du Code civil, « si l'héritage vendu se trouve grevé, sans qu'il en ait été fait de déclaration, de servitudes non apparentes, et qu'elles soient de telle importance qu'il y ait lieu de présumer que l'acquéreur n'aurait pas acheté s'il en avait été instruit, il peut demander la résiliation du contrat, si mieux il n'aime se contenter d'une indemnité ». Dans cette hypothèse, le caractère occulte de la servitude et son incidence dommageable sur l’usage par l’acheteur, de la chose vendue, ont pu justifier la confusion, parfois opérée en jurisprudence, des deux fondements — 1641 et 1638, le second étant vu comme une application particulière du premier (Civ. 1re, 10 déc.1962 ; Civ. 1re, 9 mai 1990). La Cour de cassation rappelle ici la nécessité de les distinguer.

L’objet de la distinction réside dans la cause de la discordance entre l’usage escompté et l’usage effectif de la chose. Si les deux textes permettent à l’acheteur d’obtenir réparation de la diminution de l’usage, voire de l’utilité, de la chose : l’action engagée sur le fondement de l’article 1641 suppose que l’insatisfaction de l’acheteur ait sa source dans un défaut inhérent à la chose alors que sur celle fondée sur l’article 1638, le mécontentement de l’acheteur, trouve son origine dans un élément extrinsèque à la chose elle-même, à savoir la charge (en l’espèce une servitude) que cette chose supporte.

Dans un cas, il s’agit de dédommager l’acquéreur de l’existence d’un vice inhérent à la chose, dans l’autre, de celle d’une charge extérieure grevant le bien vendu sans que ce dernier soit, par ailleurs, affecté d’un défaut structurel.

L’intérêt de la distinction n’est pas seulement théorique. Il repose sur l’étendue de la réparation, qui varie selon le fondement retenu. En effet, le texte de l’article 1645 du Code civil suppose que le juge tienne compte de la bonne ou mauvaise foi du vendeur pour déterminer si, au-delà du jeu intrinsèque de la garantie des vices cachés, des dommages-intérêts peuvent être alloués à l’acquéreur, ce sur quoi l’article 1638 du Code civil, plus sévère pour le vendeur, reste muet. En revanche, quel que soit le fondement retenu, les modalités de la réparation se révèlent identiques, les articles 1644 et 1638 du Code civil prévoyant tous deux une option, au profit de l’acquéreur, entre l’action rédhibitoire (résolution de la vente) et l’action estimatoire (simple diminution du prix).

Civ. 3e, 27 févr. 2013, n°11-28.783

Références

 Code civil

Article 1638

« Si l'héritage vendu se trouve grevé, sans qu'il en ait été fait de déclaration, de servitudes non apparentes, et qu'elles soient de telle importance qu'il y ait lieu de présumer que l'acquéreur n'aurait pas acheté s'il en avait été instruit, il peut demander la résiliation du contrat, si mieux il n'aime se contenter d'une indemnité. »

Article 1641

« Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. »

Article 1643

« Il est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie. »

Article 1644

« Dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix, telle qu'elle sera arbitrée par experts. »

Article 1645

« Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur. »

 Civ. 1re, 10 déc.1962Bull.civ. I, n° 533

 Civ. 1re, 9 mai 1990, n° 87-11.565.

 

Auteur :M. H.


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