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[ 9 février 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Une société absorbée peut-elle bénéficier de l’assurance de la compagnie de la société absorbante sans qu’il soit porté atteinte à la règle de la force obligatoire du contrat ?

L'assurance de responsabilité de la société absorbante, souscrite avant la fusion, ne s’étend pas aux faits commis par la société absorbée avant la fusion, dès lors que le contrat d'assurance bénéficie seulement à l’assuré.

Civ. 3e, 26 nov. 2020, no 19-17.824

Pacta sunt servanda. C’est par cette locution latine, point cardinal du droit des contrats et présente sur le bout des lèvres des civilistes les plus aguerris, que pourrait se résumer en quelques mots la solution de l’arrêt rendu le 26 novembre 2020 par la 3e chambre civile de la Cour de cassation 

En effet, renvoyant à la force obligatoire du contrat, cette fameuse formule a inspiré, à plusieurs reprises, les auteurs du Code civil. En 1804 d’abord, l’article 1134 ancien y faisait référence dans des dispositions tout aussi célèbres (« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. ») reprises pour partie dans le nouvel article 1103 (« les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits »).

Certes, ce principe de force obligatoire du contrat ne renvoie pas à une loi, au sens de celle édictée par le législateur ; toutefois, le législateur reconnaît la force de l’engagement conclu par les parties qui ont manifesté la volonté de créer le contrat, d’en respecter l’intangibilité comme une loi et de l’exécuter de bonne foi. De cette manière, le législateur « délègue aux personnes privées le soin de régler leurs intérêts à condition qu’elles parviennent à s’accorder sur ceux-ci, en respectant les conditions imposées par la loi » (V. Droit civil, Les obigations, par F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Dalloz, 12e éd., 2019, no 127).

Tel était le cas en l’espèce, où dans le cadre d’un démarchage commercial, un couple avait souscrit un contrat de fourniture et d’installation d’une pompe à chaleur et d’un ballon thermodynamique et financé ces travaux par un crédit à la consommation. Dès sa réception, l’installation a dysfonctionné maintes fois générant de multiples pannes. Des opérations expertales ont ainsi constaté qu’elle était insuffisante et inadaptée pour chauffer convenablement l’habitation et retenu que l’installateur avait failli dans son devoir de conseil.

C’est dans ces circonstances que les époux ont notamment assigné la société chargée des travaux litigieux – absorbée depuis par une autre - le liquidateur de la société absorbante et l'assureur de celle-ci en indemnisation des préjudices ou en remboursement du prix payé et du coût du financement.

Sans grande surprise, les juges du fond ont suivi le rapport de l’expert et considéré que le désordre affectant l’installation, cet élément d’équipement dissociable installé sur l’existant, relevait de la responsabilité décennale de l’installateur en ce que la prestation commandée était impropre à sa destination. Par jugement rendu le 27 mars 2019 par la cour d’appel de Bastia, l'assureur de la société absorbante, appelé en garantie, a ainsi été condamné à se substituer au fournisseur dans le paiement des sommes dues aux époux.

Au soutien de son pourvoi en cassation, l’assureur a invoqué deux moyens. 

■ S’agissant du premier moyen, il alléguait la violation de l'article 1792 du Code civil relatif à la responsabilité décennale des constructeurs, prétendant que la performance insuffisante d'un élément d'équipement dissociable n'était pas de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination dans son ensemble. 

Pour y répondre, Cour de cassation a tout d’abord rappelé les principaux éléments factuels, à savoir que « [les consorts] s’étaient plaints de plusieurs pannes de la pompe à chaleur survenues durant les mois de février et mars 2012 », puis de reprendre le raisonnement des juges du fond qui ont « retenu que le volume d’air à chauffer était trop important par rapport à la capacité de la pompe à chaleur, que le système de chauffage était incompatible avec les radiateurs équipant l’immeuble et qu’il était inévitable que la pompe à chaleur connût des problèmes durant les périodes de grand froid ». 

La Cour de cassation a ainsi retenu que « la cour d’appel en a souverainement déduit que les désordres atteignant celle-ci rendaient l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination et relevaient de la garantie décennale » et que, par conséquent, le moyen n’était donc pas fondé.

Bien que spécifique au droit de l’immobilier et de la construction, cette réponse de la Cour mérite une attention particulière dans la mesure où elle participe de la consolidation de sa jurisprudence rendue en matière de responsabilité décennale, protectrice des maîtres d’ouvrage dès lors qu’elle a été souscrite avant le début des travaux qui soit affectent la solidité de l’ouvrage soit, comme en l’espèce, rendent l’ouvrage impropre à sa destination.

Depuis un arrêt remarqué en date du 15 juin 2017, la Cour de cassation considère que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage impropre à sa destination (Civ. 3e, 15 juin 2017, n° 16-19.640 ; Civ. 3e, 25 janv. 2018, n° 16-10.050). 

Partant, l'installation d'un système de chauffage inadapté au volume d'air à chauffer d'une habitation étant considéré dans l’arrêt commenté comme relevant de la garantie décennale, à l’instar de celle d’un insert (Civ. 3e, 14 sept. 2017, n° 16-17.323 ; Civ. 3e, 7 mars 2019, pourvoi n° 18-11.741) ou d'une installation de ventilation (Civ. 3e, 7 nov. 2019, pourvoi n° 18-18.318), il appartient à son installateur de faire preuve de professionnalisme en respectant son obligation de performance ; à défaut, lui ou son garant s’engage, comme dans l’arrêt du 26 novembre 2020, non seulement à supporter le coût de l’installation défectueuse, crédit compris, mais également le prix de vente de l’installation.

■ S’agissant ensuite du second moyen, le demandeur au pourvoi alléguait la violation de l’article 1134 ancien du code civil et des articles L. 236-1 et L. 236-3 du Code de commerce, en ce que, du fait de l'absorption du fournisseur, le contrat d'assurance de responsabilité souscrit par l'absorbante ne pouvait s'appliquer aux faits commis par celui-ci avant la fusion et modifier ainsi le risque garanti, au surplus au titre d'une activité qui n'était pas couverte par l'assurance souscrite par l'absorbante. Au soutien de ses prétentions, la compagnie relevait également que ledit contrat contenait une clause excluant de la garantie toutes autres sociétés filiales ou concessionnaires, quel que soit leur statut juridique.

Au double visa des articles 1134 ancien du Code civil et L. 236-3 du Code de commerce, la Cour de cassation a commencé par énoncer qu’il résultait de ces deux textes d’une part que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » et d’autre part « dans sa version applicable à la cause (…) en cas de fusion entre deux sociétés par absorption de l’une par l’autre, la dette de responsabilité de la société absorbée est transmise de plein droit à la société absorbante ».

« Toutefois » a-t-elle retenu, telle une exception à son principe, « l’assurance de responsabilité de la société absorbante souscrite avant la fusion n’a pas vocation à garantir le paiement d’une telle dette, dès lors que le contrat d’assurance couvre, sauf stipulation contraire, la responsabilité de la seule société assurée, unique bénéficiaire, à l’exclusion de toute autre, même absorbée ensuite par l’assurée, de la garantie accordée par l’assureur en fonction de son appréciation du risque ».

Appliqué au cas d’espèce, il résulte de ce raisonnement une contrariété évidente avec celui des juges du fond qui avaient retenu la substitution de la compagnie d’assurance à la société absorbée, en se fondant sur la production d’une attestation d’assurance et sur les dates de survenance des désordres en comparaison de la période de couverture par le contrat d’assurance.

Par conséquent, et seulement sur ce point, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt déféré.

Partant, cette solution est inédite en ce que, fondée sur les anciennes dispositions relatives à la règle de la force obligatoire des conventions, elle traite des conséquences d’une fusion-absorption sur l’étendue de la couverture d’assurance en présence d’une garantie décennale.

De surcroît, cette solution résulte d’une cohérence notable de la Cour de cassation ; l’assureur a le devoir d’apprécier, au regard des éléments fournis par son assuré, le degré d’exposition au risque à la date de souscription du contrat, malgré la fusion-absorption postérieure qui l’a modifié. Le contrat d’assurance étant un contrat intuitu personae, c’est en toute logique que la Cour a retenu que la société absorbée ne pouvait bénéficier de l’assurance de la compagnie de la société absorbante sans qu’il soit porté atteinte à la règle de la force obligatoire du contrat. 

Par ailleurs, il n’était forcément pas dans l’intérêt de la compagnie d’assurance de la société absorbante, et c’est l’objet de son pourvoi, de faire bénéficier la société absorbée des conditions contractuelles conclues avec la société absorbante. En ce sens, et plus généralement, l’arrêt s’inscrit ainsi à propos dans la jurisprudence relative à la garantie de l'assureur, limitée aux activités se situant dans le secteur déclaré (Civ. 3e, 28 sept. 2005, n° 04-14.472 ; Civ. 1re, 4 juin 2014, n° 13-13.548).

Références

■ Civ. 3e, 15 juin 2017, n° 16-19.640 P : D. 2017. 1303 ; RDI 2017. 409, obs. C. Charbonneau

■ Civ. 3e, 25 janv. 2018, n° 16-10.050 RDI 2018. 230, obs. P. Malinvaud

■ Civ. 3e, 14 sept. 2017, n° 16-17.323 P : D. 2017. 1836 ; RDI 2017. 542, obs. P. Malinvaud

■ Civ. 3e, 7 mars 2019, n° 18-11.741 P : D. 2019. 536 ; RDI 2019. 286, obs. M. Poumarède

■ Civ. 3e, 28 sept. 2005, n° 04-14.472 P : D. 2005. 2703 ; ibid. 2006. 1784, obs. H. Groutel ; RDI 2005. 414, obs. P. Dessuet

■ Civ. 1re, 4 juin 2014, n° 13-13.548 P : D. 2014. 1272 ; RTD com. 2014. 846, obs. B. Bouloc

 

Auteur :Anne Renaux

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