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[ 24 septembre 2019 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Unfair play

L’excès d’engagement et la brutalité d’un joueur envers un adversaire à l’occasion d’une action de jeu constitue une violation caractérisée de la norme sportive justifiant d’engager la responsabilité personnelle de l’auteur du dommage.

Lors d’un match de football, un joueur avait subi plusieurs fractures à la suite d’un tacle réalisé par un adversaire. Le tacle est une action de jeu autorisée au football en ce que destiné à capter le ballon, il permet en principe d’éviter tout contact avec le joueur détenteur de ce ballon. 

L’auteur du tacle avait été exclu du match par l’arbitre, venu ainsi sanctionner un « comportement violent », qu’une commission de discipline ultérieurement saisie avait requalifié en « faute grossière ». Le joueur victime avait à ce titre assigné en responsabilité son adversaire sur le fondement de la responsabilité du fait personnel (C. civ., art. 1240, 1382 anc.). 

La cour d’appel avait rejeté sa demande d’indemnisation au motif que la faute de l’auteur du dommage n’était pas, selon les témoignages recueillis, intentionnelle et que, quoique grossière au sens de la circulaire émise par la Fédération française de football (FFF), une telle faute faisait partie des risques acceptés par les joueurs.

La victime forma un pourvoi en cassation, soumettant à la Cour la question de savoir si la faute de jeu à l’origine de ses blessures, qualifiée de grossière au regard de la circulaire applicable, devait également être considérée comme une faute sportive, au sens de la loi civile, justifiant d’engager la responsabilité personnelle de ce dernier.

A cette question, la deuxième chambre civile répond par l’affirmative, cassant la décision des juges du fond ayant exclu l’indemnisation « alors qu’elle retenait l’existence d’une faute grossière au sens de la circulaire 12.05 de juillet 2011 de la Fédération française de football, c’est-à-dire une violation des règles du jeu caractérisée par un excès d’engagement ou la brutalité d’un joueur envers un adversaire « lorsqu’ils disputent le ballon quand il est en jeu », et qu’une telle faute, qui excède les risques normaux de ce sport, était de nature à engager la responsabilité (du joueur) ».

Cette décision procède du rappel de la spécificité de la faute sportive, qui se distingue de la faute civile traditionnelle : bien qu’en l'absence de dispositions spécifiques, le droit commun de la responsabilité délictuelle a vocation à s'appliquer, la faute recherchée présente certaines particularités en ce qu’elle doit résider dans la violation caractérisée d’une règle du jeu. Autrement dit, la faute doit naître d’une infraction à la norme sportive dont la gravité particulière justifie d’engager la responsabilité personnelle de son auteur.

La faute suppose donc, tout d’abord, une violation de la règle du jeu. Rappelons que chaque sport est réglementé par des « règles du jeu », dont l’élaboration relève de la compétence exclusive des différentes fédérations sportives (C. sport, art. L. 131-16), en l’espèce, la FFF, étant précisé que ces dispositions d'origine fédérale sont considérées comme autonomes par rapport aux règles relevant du droit de la responsabilité civile. 

La violation de telles dispositions constitue la première condition à la caractérisation de la faute sportive, et donc à l’engagement de la responsabilité civile du sportif. Quel que soit le sport pratiqué, les juges considèrent en conséquence qu'un comportement respectueux des lois du jeu, même dommageable, impose d’écarter l'application de l'article 1240 du Code civil: en l'absence de violation des règles de jeu, il ne peut y avoir de faute civile. En l’espèce, cet élément constitutif de la faute n’était pas discuté : par son comportement, l’auteur du tacle avait méconnu les règles applicables, prévues par circulaire. 

Cependant, tout en constatant une telle violation, la cour d’appel avait, faute d’intention de nuire de la part de l’auteur du dommage, refusé d’engager sa responsabilité, estimant qu’une telle faute, quoique grossière, faisait partie des risques normalement encourus lors de la pratique de ce sport. Selon eux, la seconde condition nécessaire à la caractérisation de la faute sportive, à savoir sa gravité particulière, n’était donc pas satisfaite. Il est vrai qu’au-delà de l’entorse faite à la réglementation sportive applicable, la faute de jeu suppose de présenter une gravité particulière. La victime d’un comportement anti-sportif doit donc, de surcroît, démontrer que son auteur a, ce faisant, commis une « faute caractérisée » (V. Cass., ass. plén., 29 juin 2007, n° 06-18.141 ; Civ. 2e, 8 avr. 2004, n° 03-11.653), c’est-à-dire empreinte d’une gravité flagrante, rehaussée par rapport à la faute civile de droit commun (imprudence, négligence, maladresse). Cette « faute caractérisée » est généralement constituée, comme en l’espèce, par un comportement délibérément violent, excessif, dangereux, que les juges du fond avaient, dans cette affaire, jugé à tort insuffisant pour engager la responsabilité civile du joueur. En effet, quand bien même il n’aurait pas eu le dessein de blesser son adversaire, l’auteur du tacle avait délibérément pris le risque que cela se produise, par une démonstration de force disproportionnée et superflue, un excès d’engagement et la brutalité outrancière, quant à elle volontaire, de son action.

Le rehaussement du seuil de gravité de la faute de jeu s’explique par la particularité, inhérente à la pratique sportive, des règles qui lui sont réservées, notamment de celles applicables aux sports de contact, comme le football, ou à risques. En effet, il est fréquent qu’un comportement qui serait normalement jugé fautif dans la sphère civile soit autorisé en matière sportive. Dans cette perspective, la victime doit alors démontrer que le geste a été exécuté par le joueur à l’origine du dommage dans des conditions excédant les dangers normalement encourus et les risques inhérents au sport pratiqué, au point de mettre en péril la sécurité de ses partenaires de jeu. Les circonstances de l’accident en l’espèce survenu laissaient précisément apparaître les caractères de gravité et d’intensité nécessaires à caractériser la faute de jeu : l’excès et la brutalité de l’action révélaient que l’auteur du tacle avait, en toute connaissance de cause, pris le risque excédant les périls normalement encourus de ce sport, de blesser son adversaire. Selon la même logique mais avec une conclusion distincte, la Cour de cassation avait déjà jugé que le tacle pratiqué par un footballeur, même s’il avait ainsi provoqué un accident de jeu, ne constituait pas, faute d’agressivité ou de violence excessive de sa part, une faute caractérisée excédant les risques normaux du sport pratiqué et acceptés par la victime (Civ. 2e, 20 nov. 2014, n° 13-23.759). 

En matière de responsabilité sportive, les critères de gravité et d’intensité du comportement se révèlent donc, de manière spécifique, déterminants pour caractériser la faute, a fortiori quand elle porte atteinte à la sécurité de la victime.

Précisons enfin que la gravité recherchée l’est sous l’angle de la faute commise, et non pas du dommage subi : la violence, la brutalité ou la déloyauté du geste de l’auteur du dommage, ne peuvent être déduites de la seule gravité des blessures de la victime (Civ. 2e, 20 nov. 2014, préc.).

Civ. 2e, 29 août 2019, n° 18-19.700

Références

■ Cass., ass. plén., 29 juin 2007, n° 06-18.141 P : D. 2007. 2455, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2346, obs. J.-C. Breillat, C. Dudognon, J.-P. Karaquillo, J.-F. Lachaume, F. Lagarde et F. Peyer ; ibid. 2408, chron. J. François ; ibid. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RTD civ. 2007. 782, obs. P. Jourdain

■ Civ. 2e, 8 avr. 2004, n° 03-11.653 P : D. 2004. 2601, note Y.-M. Serinet ; ibid. 2005. 185, obs. P. Delebecque, P. Jourdain et D. Mazeaud ; ibid. 2006. 190, obs. Centre de droit et d'économie du sport ; RTD civ. 2004. 517, obs. P. Jourdain

■ Civ. 2e, 20 nov. 2014, n° 13-23.759 : D. 2015. 394, obs. Centre de droit et d'économie du sport

 

Auteur :Merryl Hervieu


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