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Procédure pénale
Usage de la force létale par la police et droit à la vie
Le policier, confronté à un véhicule roulant vers son collègue et mettant sa vie en danger, qui tire sans sommation sur le conducteur qui devient paraplégique, justifie sa riposte par la légitime défense au sens de l’article 122-5 du Code pénal. L’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme consacre lui le droit à la vie. Cependant, l’usage de la force létale n’emporte pas violation de l’article 2 si celle-ci était absolument nécessaire tel qu’en l’espèce.
CEDH 16 janv. 2025, n° 41208/21, Ghaoui c/ France
Le requérant, un ressortissant français, se trouvait dans un parking la nuit avec un autre individu, en possession d’un sac de sport contenant plus de 125 000 euros, transporté dans le cadre d’un trafic de stupéfiants. Trois policiers sont entrés dans le parking, et ont contrôlé les deux individus. Le requérant est alors monté dans son véhicule, a démarré. Un policier s’est placé devant le véhicule, et un second policier sur son côté droit. Malgré les gestes des policiers demandant au requérant de s’arrêter, ce dernier a accéléré en direction du premier policier. Estimant que son collègue allait être percuté, le second policier a tiré à deux reprises en direction du requérant. L’une des deux balles l’a atteint au niveau de sa moëlle épinière, le rendant paraplégique. La voiture a alors percuté le premier policier le blessant légèrement (pt. 19). Le requérant sera condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis pour refus d’obtempérer aggravé (pt. 58). Il porte ensuite plainte avec constitution de partie civile pour tentative d’homicide volontaire à l’encontre du policier ayant ouvert le feu. Cette affaire fit l’objet d’une enquête (pts. 12 à 20), et d’une information judiciaire (pts. 22 à 53).
■ Légitime défense. La légitime défense, prévue à l’article 122-5 du Code pénal, constitue un fait justificatif d’irresponsabilité pénale, qui permet à un individu qui normalement commettrait une infraction, de voir son acte excusé lorsque des conditions cumulatives sont réunies. En matière d’atteinte à une personne, tel qu’en l’espèce, l’atteinte doit être actuelle (1) réelle (2) et injustifiée (3). La riposte doit être immédiate (4), nécessaire (5) et proportionnée (6) à la gravité de l’attaque.
Rappelons que Cour européenne des droits de l’homme estime que les représentants de la loi doivent être formés pour être à même d’apprécier s’il est ou non absolument nécessaire d’utiliser une arme à feu (CEDH, gr. ch., 6 juill. 2005, n° 43577/98 et 43579/98, Natchova et a. c/ Bulgarie). L’examen de ces critères est donc effectué avec davantage de rigueur quand il s’agit de policiers.
Selon la chambre de l’instruction, les conditions de la légitime défense sont réunies. Cette position est confirmée par la Cour de cassation qui estime que « résulte de ces circonstances l’existence d’une agression actuelle, réelle et injustifiée (…) » ; et que « le fonctionnaire de police a agi dans l’absolue nécessité de protéger son collègue et n’a pas disposé du temps utile pour effectuer des [tirs de] sommation » (pt. 56, v. Crim. 16 févr. 2021, n° 20-86.552)
Au vu de ces éléments, le procureur n’a pas estimé opportun d’engager des poursuites conformément à l’article 40-1 du Code de procédure pénale (CPP). Le requérant s’est constitué partie civile, et une information judiciaire a été menée de 2009 à 2020. Finalement, le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu au bénéfice du policier. Le non-lieu est confirmé par la Cour de cassation (Crim. 16 févr. 2021, n° 20-86.552). Le requérant a saisi la CEDH.
■ Droit à la vie. L’article 2 de la Conv. EDH consacre le droit à la vie. Cet article vient s’appliquer non seulement en cas de décès, mais aussi au cas où la force utilisée était potentiellement meurtrière (v. par ex. CEDH 23 mai 2019, Chebab c/ France, n° 542/13, §51). Tel est le cas en l’espèce. Découlent de l’article 2 des obligations procédurales et matérielles.
Volet procédural. Les autorités nationales doivent mener une enquête effective sur les atteintes alléguées au droit à la vie (pt. 84 ; v. CEDH gd. ch. 30 mars 2016, n° 5878/08, Armani da Silva c/ Royaume Uni , §229).
Volet matériel. Les autorités nationales doivent s’abstenir de porter atteinte au droit à la vie. La seule exception est le cas où le « recours à la force a été absolument nécessaire » (pt. 83, v. art. 2§2 Conv. EDH).
La Cour de Strasbourg procède à un examen de l’affaire fondé sur ces deux aspects.
■ Enquête effective. La CEDH relève que, le jour même des faits, le procureur a ouvert une enquête qui a conclu, sans ambiguïté, à la proportionnalité de la riposte face à l’imminence et à la gravité du danger (pts. 87 et 88). Les magistrats d’instructions sont également convaincus que les tirs du policier entraient dans le cadre de la légitime défense (pt. 85). L’enquête et l’instruction ont fait l’objet de retards, voire une « lenteur excessive » (pt. 97). Cependant, ce grief a fait l’objet d’une indemnisation et d’un redressement. Au vu des éléments susmentionnées, l’enquête a été impartiale, effective et adéquate.
■ Nécessité du recours à la force. La Cour européenne estime déjà que le cadre légal français de la légitime défense est conforme à la Convention (v. CEDH 4 sept. 2018, n° 5878/08, Mendy c/ France, §35). En l’espèce, l’arme a été utilisée afin de défendre son collègue face à une « violence illégale » conformément à l’article 2§2 de la Convention. Les faits établis par les juridictions nationales sont en conformité avec la configuration des lieux, les lésions du requérant, les preuves recueillies et les dépositions. En outre, ces évènements ne se sont pas déroulés dans le cadre d’une opération planifiée par les forces de l’ordre. Les policiers ont donc été obligés de réagir sans préparation préalable, d’autant plus qu’ils appartenaient à la brigade canine et non à une brigade anticriminalité (pt. 107).
Bien qu’un tir de sommation n’ait pas été effectué, il ressort des faits que les policiers ne disposaient pas de suffisamment de temps pour effectuer un tel tir (pt. 108). La Cour affirme aussi qu’elle ne saurait spéculer sur l’opportunité des policiers d’employer d’autres moyens de défense tel qu’un tir sur les roues du véhicule. Bien qu’il serait préférable de limiter le recours aux méthodes susceptibles d’entrainer la mort, une obligation de principe qui ne tiendrait pas compte des circonstances d’espèce imposerait une charge irréaliste aux agents de l’État au dépend de leur vie et de celle d’autrui (pt. 100).
La CEDH conclut donc que l’usage de la force n’a pas dépassé ce qui était absolument nécessaire.
Il n’y a donc pas eu violation de l’article 2 de la Convention.
Références :
■ Crim. 16 févr. 2021 n° 20-86.552
■ CEDH, gr. ch., 6 juill. 2005, n° 43577/98 et 43579/98, Natchova et a. c/ Bulgarie : AJDA 2004. 1809, chron. J.-F. Flauss
■ CEDH 23 mai 2019, n° 542/13, Chebab c/ France : D. 2019. 1523, et les obs., note A.-B. Caire
■ CEDH gd. ch. 30 mars 2016, n° 5878/08, Armani da Silva c/ Royaume Uni
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