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Droit pénal général
Usage d’une arme à l’encontre d’un supporter en fuite : exclusion du commandement de l’autorité légitime et de l’autorisation spéciale du Code de la sécurité intérieure
Une chambre de l’instruction a justement écarté l’application de l’article 122-4 du Code pénal, relatif au commandement de l’autorité légitime, dès lors que l’ordre visait à interpeller les personnes troublant l’ordre public et que l’intéressé ne troublait pas l’ordre public. L’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure ne pouvait pas davantage s’appliquer, faute de concomitance entre l’acte et la riposte, et d’une action proportionnée et absolument nécessaire.
Crim. 6 octobre 2021, n° 21-84.295
À l’occasion d’une rencontre de football, des troubles ont été occasionnés par des supporters qui ont fait l’objet d’une interpellation puis d’un placement en garde à vue. L’un d’entre eux, M. M., présentait une plaie saignante à l’œil gauche attribué selon lui à un tir de flash-ball ainsi que des stigmates de coups au thorax portés après son interpellation, état de santé qui ne lui permettait pas d’être maintenu en garde à vue. Une information judiciaire contre personne non dénommée est ouverte du chef de violences volontaires, qualification ayant évolué suite aux constatations médicales postérieures établissant que la victime avait définitivement perdu l’usage de son œil. M.C, fonctionnaire de police, est mis en examen pour violence avec arme ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (C. pén., art. 222-10) et mis en accusation devant la cour d’assises par une ordonnance dont il relève appel.
Plusieurs griefs sont relevés à l’encontre de l’ordonnance rendue par la chambre de l’instruction. Est en premier lieu invoqué l’article 122-4 du Code pénal selon lequel « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires » dont la chambre de l’instruction aurait fait une mauvaise lecture en retenant que M. C. se serait mépris sur la nature de l’ordre reçu. En effet, la cour relève que l’ordre donné était d’interpeller les personnes troublant l’ordre public, rien ne permettant ici d’affirmer que la victime, bien qu’ayant pris la fuite, ait été des supporters les plus virulents et actifs. Selon elle, M. C. ne serait dès lors pas en mesure de se prévaloir de la justification pénale prévue par ce même article. Au contraire, le moyen relève que l’ordre d’interpeller, donné sans consigne particulière quant aux méthodes à utiliser, n’excluait pas l’usage d’une arme.
Est également reproché à la chambre de l’instruction sa lecture de l’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure. Ce dernier prévoit l’autorisation, pour les agents de la police et les militaires de la gendarmerie dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, de faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée dans certaines circonstances énumérées à la suite de cet article. Le pourvoi relève que cet article n’exige en aucun cas la condition de concomitance entre la riposte et l’attaque, critère surabondant retenu par la chambre de l’instruction. Un défaut de justification est également reproché à la chambre quant à son appréciation des conditions de nécessité et de proportionnalité, n’ayant apprécié ces conditions qu’à l’aune de la situation réduite au moment de la fuite, sans avoir tenu compte de la situation globale dans laquelle était l’agent au moment de l’ordre donné de procéder aux interpellations. La cour avait à ce titre estimé que les conditions de nécessité et de proportionnalité n’étaient pas réunies dans la mesure où il n’était nullement établi que la vie du policier pas plus que celle d’autrui ne fut menacée par la victime qui fuyait et dont rien ne démontrait qu’il était porteur d’une arme, fût-ce par destination. Il est enfin reproché à la cour de n’avoir pas retenu l’application de l’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure en ce qu’il autorise les agents à faire usage de leurs armes en cas d’atteintes à la vie ou à l’intégrité physique ou de menace à ces valeurs, la cour ayant seulement recherché puis écarté une menace pour la vie lors même que M. M. soutenait avoir agi pour préserver l’intégrité physique des fonctionnaires présents sur place.
La Cour de cassation répond dans un premier temps aux griefs portants sur le fait justificatif dit du commandement de l’autorité légitime prévu par l’article 122-4 du Code pénal. Elle précise que l’ordre donné était « d’interpeller les personnes troublant l’ordre public » et relève que les juges du fond ont pu démontrer que rien ne permettait de relever que la victime faisait partie des supporters les plus virulents et actifs, ni même qu’elle ait participé aux insultes et exactions en cause. Dès lors, bien que M. M. ait été en train de fuir, rien ne permettait de justifier la mise en œuvre par tous moyens d’un ordre donné ayant pour objectif d’interpeller les personnes troublant l’ordre public, ce dont il résulte que M. B. s’est effectivement mépris sur la nature de l’ordre reçu, excluant la justification résultant de l’article 122-4 du Code pénal.
La Cour de cassation répond ensuite aux griefs portant sur les conditions relatives à l’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure. Quant à la concomitance entre l’attaque et la riposte, la Cour de cassation rappelle que cet article exige, comme dans le cadre de la légitime défense, que l’usage de l’arme soit réalisé « dans le même temps » que sont portées des atteintes ou proférées des menaces à la vie ou à l’intégrité physique des agents ou d’autrui. En effet, bien que le texte ne le précise pas expressément, cette exigence résulte de la forme grammaticale adoptée, le présent de l’indicatif, et des travaux parlementaires (§ 16). Quant à la prétendue menace à l’encontre de l’intégrité physique des fonctionnaires présents sur place, il n’était pas nécessaire pour la Cour de cassation de répondre à ce grief, étant entendu qu’en l’absence de menace à l’égard de la vie du policier ou à celle d’autrui, ni la nécessité ni la proportionnalité n’étaient établies, justifiant que soit exclu du champ d’application de l’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure l’usage d’une arme à l’encontre d’une personne prenant la fuite.
Pour aller plus loin
■ R. Bernardini, V°Légitime défense, Rép. pén. Dalloz, 2017, nos 101 s. et 165 s.
■ C. Tzutzuiano, L'usage des armes par les forces de l'ordre, RSC 2017. 699
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