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Droit des biens
Usucapion : indifférence de la bonne foi…à certaines conditions !
Mots-clefs : Civil, Propriété, Possession, Immeuble, Prescription acquisitive, Conditions, Bonne foi (non)
Indifféremment à sa bonne foi, une commune s’étant pendant plus de trente ans comportée comme la propriétaire d’un chemin, de manière continue, publique et paisible, en acquiert par prescription la propriété
Si « (e)n amour, la possession n’est pas la propriété » (V. Ghika), en droit, elle peut parfois y conduire.
La propriétaire de plusieurs terrains, traversés par un chemin, avait souhaité le clore. Sa commune s’y était opposée en soutenant que ce chemin était un chemin rural. La propriétaire l’avait assignée sur le fondement de la voie de fait résultant d’une prétendue appropriation de l'assiette du chemin par la commune. La cour d’appel rejeta ses demandes, ce que confirme la troisième chambre civile, les juges du fond ayant à bon droit retenu, d’une part, que la bonne foi n'était pas une condition de l'usucapion trentenaire et relevé, d’autre part, que la commune, dont la possession était demeurée paisible, s'était comportée pendant plus de trente ans en propriétaire du chemin, ce dont il convenait de déduire que celle-ci l'avait acquis par prescription.
La prescription acquisitive, ou usucapion, est un mode d'acquisition de certains droits (patrimoniaux - propriété, droits réels démembrés, droits intellectuels, et même certains droits personnels, à la condition toutefois que ces derniers s'exercent sur des biens dans le commerce) par le fait, prolongé, de les posséder. Leur possession, pour justifier leur acquisition par prescription, suppose de conjuguer deux éléments : le corpus et l'animus. La possession exprimant l'exercice d'un droit, suppose tout d’abord l'accomplissement d'actes, matériels ou juridiques, traduisant cet exercice. La caractérisation d'un corpus ne suffit cependant pas à établir à elle seule la possession. En effet, accomplir des actes sur une chose peuvent l'être au titre de droits divers ; par exemple, entreprendre des plantations sur un terrain peut bien être le fait d'un propriétaire, mais tout autant d'un usufruitier ou d’un locataire. Il importe alors d’identifier le droit que l'auteur de ces actes a entendu exercer, autrement dit, de sonder, dans la mesure du possible, sa volonté : l'animus permet alors de déceler au titre de quel droit, dont il se prétend titulaire, le possesseur a accompli ces actes. Cette recherche est d’autant plus nécessaire que décisive, puisque l’usucapion a généralement pour effet d’évincer le titulaire antérieur du droit.
Cette technique a ceci d’intéressant qu’elle conjugue la possession et la prescription pour faire produire à cette alliance un effet acquisitif. Ainsi la prescription, si elle peut être extinctive, se présente-t-elle aussi comme un moyen d'acquérir un bien par la longévité de sa possession (C. civ, art. 2258). Si l’aboutissement de l'usucapion dépend d’un certain délai (trentenaire par principe, C. civ, art. 2272, al.1)), il n'est pas subordonné à ce que celui qui s'en prévaut ait cru être titulaire du droit qu'il possédait : la bonne foi et l'existence d'un juste titre sont indifférents. Leur incidence n’existe que pour raccourcir le délai, qui devient décennal, de possession nécessaire pour l'acquisition du droit (ce qu’on appelle l’usucapion abrégée ; V. C. civ, art. 2272, al.2). En l’espèce, une telle demande n’avait pas lieu d’être formulée par la commune, celle-ci possédant le terrain depuis plus de trente ans.
Quel que soit le délai applicable à l'usucapion immobilière, celle-ci obéit à des règles communes, ici rappelées. L’article 2261 du Code civil exige en effet, pour pouvoir prescrire, que « (…) une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire ».
Ainsi le possesseur doit-il d’abord se conduire comme le ferait le véritable titulaire du droit qu’il exerce. Une certaine continuité dans l'exercice de ce droit est alors exigée. Elle sera reconnue lorsque les actes matériels ou juridiques ont été accomplis à des périodes auxquelles normalement, le titulaire du droit aurait agi : il faut que la possession ait été « exercée dans toutes les occasions comme à tous les moments où elle devait l'être d'après la nature de la chose possédée, sans intervalles anormaux assez prolongés pour constituer des lacunes et rendre la possession discontinue » (Civ.,11 janv. 1950, à propos d'une haie, normalement taillée tous les 6 ans, dont la possession devient discontinue pour n'avoir plus été taillée pendant 9 ans). En l’espèce, la possession de la commune n’avait jamais été interrompue.
Le possesseur devra aussi exercer son droit paisiblement, comme l’exigent à la fois l’article 2261 du Code civil et son article 2263 du Code civil, lequel dispose que « les actes de violence ne peuvent fonder non plus une possession capable d'opérer la prescription ». En l’espèce, cette condition, qui exclut que celui qui appréhende un bien par la force afin d'empêcher autrui d'en user puisse prétendre en devenir propriétaire par usucapion (V., pour l'exercice des actions possessoires, soumis à cette même exigence, C. pr. civ, art.1264 abrogé; C. civ, art. 2280 ancien), a également été jugée remplie, bien que la demanderesse au pourvoi avait tenté d’assimiler la voie de fait à un acte de violence. Le vice de violence n'est cependant pas rédhibitoire. D’une part, parce que sa temporalité est prise en compte ; en effet, la possession sera à nouveau utile et sans entrave pour faire jouer la prescription sitôt que la violence aura cessé, c'est-à-dire que le possesseur exercera le droit auquel il prétend librement, sans se heurter à aucune résistance de la part de tiers (C. civ, art. 2263, al.2). Vice temporaire, la violence est également un vice relatif, en ce que la prescription (à l’instar des actions possessoires) n’est exclue qu'envers qui la violence a été exercée. Les tiers qui revendiqueraient la chose ou troubleraient sa possession sans avoir été eux-mêmes victimes de la moindre violence de la part du possesseur ne pourraient ainsi se prévaloir d'un tel vice.
Egalement acquis en l’espèce, le caractère public dans l’exercice du droit est impérieusement requis. Dans la mesure où l’usucapion s’opèrera nécessairement au détriment de son titulaire légitime, ce dernier doit être naturellement en mesure de pouvoir s'opposer à celui qui exerce son droit en ses lieu et place, ce que la clandestinité de l’usage de son droit par le tiers rendrait impossible.
Enfin, le vice d'équivocité de la possession, qui n’était pas dénoncé par la propriétaire dans cette affaire alors qu’il est très souvent invoqué par les plaideurs pour faire échec à la prescription acquisitive, se distingue des autres vices susceptibles d’entacher la possession par le fait qu’il ait trait à l'animus et non au corpus : ainsi la possession sera-t-elle équivoque de la part de celui qui exerce des prérogatives attachées à un droit sans qu'il soit certain, au vu des circonstances, qu'il s'en considère comme titulaire ; autrement dit lorsque les actes accomplis par le prétendu possesseur ne manifestent pas clairement son animus et qu'ils peuvent s'expliquer autrement que par la prétention qu’il nourrirait à l’obtention d’un droit sur la chose.
Civ. 3ème, 1 février 2018 n°16-23.200
Références
■ Civ.,11 janv. 1950 ; D. 1950, jurispr. p. 125, note R. Lenoan
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