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Droit des biens
Usucapion : l’élément psychologique compte !
Mots-clefs : Civil, Possession, Usucapion, Éléments constitutifs, Animus domini
La conviction des occupants d’une parcelle d'être titulaires d’un droit de propriété sur celle-ci et le fait d'avoir, en raison de leur occupation, acquitté des impôts, ne suffisent pas à établir l'animus domini susceptible de fonder une possession pour prescrire.
Un couple invoquait la possession, depuis 1971, d'une parcelle de terrain de plusieurs hectares qu’il avait défrichée et sur laquelle il avait édifié un abri en bois. En 2008, ils assignèrent en conséquence la propriétaire originaire de la parcelle en revendication de celle-ci, invoquant à leur profit le jeu de la prescription acquisitive. La cour d’appel rejeta leur demande. Ce rejet est confirmé par la Cour de cassation. Celle-ci qui retient que les juges du fond ayant fait le constat que les demandeurs avaient, dès la première année de leur occupation, demandé à la direction départementale de l'agriculture la concession de cette parcelle agricole et sollicité, quelques années plus tard, de la mairie de leur ville la régularisation de leur situation, il se déduisait qu'ils n'avaient jamais eu l'intention de se comporter en propriétaires. Par conséquent, et abstraction faite de motifs erronés mais surabondants relatifs à leur conviction d'être titulaires d’un droit de propriété sur la parcelle litigieuse et au fait d'avoir acquitté les impôts y afférant, la cour d’appel en a exactement déduit que, nonobstant leur occupation du terrain litigieux, ils ne justifiaient pas sur celui-ci de l'animus domini susceptible de fonder une possession pour prescrire.
En matière mobilière comme immobilière, la possession s'analyse en un pouvoir de fait sur un bien. Posséder une chose, c’est se comporter, en fait, comme si on était titulaire d’un droit sur cette chose, même si on ne l’est pas. Alors que la propriété établit un rapport de droit entre une personne et une chose, la possession consiste en un rapport de fait entre la personne et la chose (A. Marais, Introduction au droit, 5ème éd., Vuibert, 2014 , n° 50).
La possession comporte deux éléments cumulatifs : un élément matériel, qui renvoie à des actes de propriétaire effectués sur le bien et qui constituent le corpus de la possession (par exemple l'habiter, le cultiver, le donner à bail...) ; un élément psychologique, l'article 2261 du Code civil exigeant en outre que la possession soit exercée « à titre de propriétaire », ce que l’on nomme l’animus domini, (l’intention de se comporter en maître), autrement dit, l’intention de se comporter comme le véritable titulaire du droit, ce à quoi ne peut prétendre un détenteur à titre précaire (tel un locataire), comme le rappelle l'article 2266 du Code civil, puisque ce dernier exerce le corpus pour le compte d’autrui sans animus domini. Il s'agit par exemple d'un occupant qui refuse de payer un loyer précisément parce qu'il se considère comme le propriétaire des lieux (Civ. 1re, 25 janv. 1965, n° 62-13.773). Sur le plan probatoire, il appartient à la personne qui revendique un droit de propriété d'en rapporter la preuve en établissant des actes matériels et intentionnels de possession (Civ. 3e, 11 juin 1992, n° 90-16.439), les modes de preuve de la propriété immobilière étant libres (Civ. 3e, 20 juill. 1988, n° 87-10.998).
En l’espèce, si les demandeurs au pourvoi étaient bien parvenus à démontrer le corpus par la preuve de leur occupation des lieux et de l’accomplissement de certains actes matériels liés à cette occupation, comme le paiement d’impôts, ils ont en revanche échoué à rapporter la preuve de l’animus domini, que le seul élément fiscal ainsi que leur conviction intérieure d’être les propriétaires de la parcelle ne suffisaient pas à constituer et étaient, de surcroît, contredits par les deux demandes qu’ils avaient formulées à l’effet de se voir concéder la parcelle litigieuse pour régulariser leur situation. Ainsi, faute d’avoir su prouver l’élément psychologique de leur possession, les demandeurs au pourvoi devaient logiquement être considérés comme de simples détenteurs précaires et non comme des possesseurs et ne pouvaient, en conséquence, bénéficier de l’usucapion, c’est-à-dire acquérir, par prescription, la propriété de la parcelle litigieuse.
Civ. 3e, 26 mai 2016, n° 15-21.675
Références
■ Civ. 1re, 25 janv. 1965, n° 62-13.773 P.
■ Civ. 3e, 11 juin 1992, n° 90-16.439 P, D. 1993. 36, obs. A. Robert ; ibid. 302, obs. A. Robert ; AJDI 1993. 355 ; RDI 1993. 53, obs. J.-L. Bergel.
■ Civ. 3e, 20 juill. 1988, n° 87-10.998 P.
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