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Droit des obligations
Usurpation d’identité : un mensonge dolosif
Mots-clefs : Contrats, Vice du consentement, Bail, Dol, Usurpation d’identité, Caractère déterminant
L’usurpation d’identité de locataires visant à dissimuler l’irrégularité de leur séjour sur le territoire français constitue un mensonge dolosif dès lors qu’il a pour but de masquer au bailleur une cause objective d’interdiction de contracter avec eux.
Après avoir loué un logement social à un couple avec enfants, la société propriétaire du logement donné à bail avait assigné le couple en nullité du contrat pour dol au motif que l’épouse l'avait conclu sous une identité usurpée. Pour rejeter sa demande, la cour d’appel retint, tout d’abord, que la société n’avait pas découvert par elle-même cette usurpation d’identité mais qu’elle l’avait appris des locataires eux-mêmes, qui l'avaient spontanément révélée six mois après la conclusion du bail, elle jugea ensuite que ce mensonge ne privait pas la société de son intérêt au contrat, puisque seul l’époux locataire avait la capacité financière de payer le loyer, ce à quoi il n’a jamais manqué, et était sans incidence sur la situation familiale des locataires ; elle releva, enfin, que l’époux locataire avait lui-même porté les faits à la connaissance du parquet sans qu'aucune suite judiciaire ne leur eût été donnée. Elle en conclut que la bailleresse ne rapportait pas la preuve qu'elle n'aurait pas contracté le bail litigieux si elle avait su que la locataire avait usurpé son identité. La Cour de cassation censure cette décision au visa de l’ancien article 1116 du Code civil et de l’article R. 441-1 du Code de la construction et de l’habitation, reprochant aux juges du fond d’avoir omis de rechercher si cette usurpation d'identité n'avait pas dissimulé l'irrégularité du séjour de la locataire, ce qui aurait nécessairement empêché la société de signer le bail.
Dans le bail d'immeubles, certains aspects de la personnalité du locataire, telles que sa solvabilité, sa situation de famille ou ses mœurs, peuvent revêtir aux yeux du bailleur une certaine importance (J. Mestre : RTD civ. 1984, p. 706). D’aucuns ont d’ailleurs pu qualifier le bail d'immeuble de contrat intuitu personae (J. Ghestin, J. Huet, G. Decocq, C. Grimaldi et H. Lécuyer, Traité droit civil, Les principaux contrats spéciaux ; LGDJ, 3e éd. 2012. – B. Gross, Ph. Bihr, Contrats. Ventes civiles et commerciales, baux d'habitation, baux commerciaux ; PUF, coll. Thémis, 2002, n° 470). Cette affirmation peut toutefois, dans sa généralité, être contestée, le contrat de bail n'étant pas, a priori, conclu exclusivement en considération de la personne du locataire. Cela n’est du moins pas systématique. Cela étant, dès lors que certaines données propres à la personnalité du locataire peuvent être prises en considération par le bailleur, l'erreur, par le second, sur la personne du premier, pourra constituer une cause d'annulation du bail. Mais le contrat de bail n’étant donc pas à proprement parler un contrat intuitu personae, les tribunaux seront plus enclins à accueillir la demande d'annulation du contrat lorsque l'erreur aura été causée par un dol. Il en sera ainsi lorsque le locataire se sera livré à des manoeuvres pour dissimuler des renseignements importants concernant sa personne ou aura fourni des renseignements inexacts. Encore faudra-il que sa victime en rapporte la preuve, le dol ne se présumant point. La matérialité du dol comme son intentionnalité devront être prouvés.
Rappelons que le dol, en droit des contrats, est une manœuvre d’un contractant ou un silence gardé par lui dans le but de tromper son cocontractant et de provoquer chez lui une erreur déterminante de son consentement, c’est-à-dire sans laquelle il n’aurait certainement pas contracté. En l’espèce, la cour d’appel s’était à tort fondée sur cette exigence probatoire pour rejeter la demande d’annulation du bail. En effet, elle avait en quelque sorte décentré le problème rencontré par la bailleresse en retenant l’absence d’incidence de son erreur sur l’identité des locataires sur d’autres éléments personnels qu’elle sembla juger plus essentiels -leur solvabilité et la stabilité de leur cellule familiale – pour en déduire que la bailleresse ne rapportait pas la preuve qu’en l’absence du mensonge de sa locataire, elle n’aurait pas contracté le bail litigieux. La cassation était encourue. Dans la mesure où le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre n’aurait jamais contracté, ce caractère déterminant du consentement faussé à contracter, dont la preuve est nécessaire à l’annulation du contrat, s’induisait logiquement des données, légales, applicables à l’espèce ; en effet, l’article R. 441-1 du Code de la construction et de l’habitation figurant au visa prévoit que seules les personnes physiques séjournant régulièrement sur le territoire français peuvent être bénéficiaires de l’attribution d’un logement par les organismes d’habitation à loyer modéré, ce dont il fallait tirer la conséquence évidente que la bailleresse aurait nécessairement refusé de contracter puisque cette circonstance caractérisait objectivement pour elle une impossibilité légale de conclure ce bail.
La décision est intéressante en ce qu’elle illustre le fait que la manœuvre dolosive ne vise pas toujours et seulement à masquer une cause subjective, inhérente à la personne du contractant (sa solvabilité par exemple), mais qu’elle peut également avoir pour but la dissimulation d’une cause objective, comme celle résultant d’une disposition légale, propre à dissuader son partenaire de conclure avec lui.
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