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[ 2 avril 2015 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Utilisation d’un rapport d’une commission d’enquête parlementaire et conformité au droit à un procès équitable et à la présomption d’innocence

Mots-clefs : Droits fondamentaux, Cour européenne des droits de l’homme, France, Droit à un procès équitable, Présomption d’innocence, Rapport d’une commission d’enquête parlementaire, Utilisation, Fondement des poursuites pénales, Fondement exclusif (non), Droit à la liberté et à la sûreté, Garde à vue

L’utilisation d’un rapport d’une commission d’enquête parlementaire, n’ayant pas servi de fondement exclusif aux poursuites pénales engagées ni influencé le verdict ou les sanctions prononcées, ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence ni au droit à un procès équitable.

Saisie d’une requête dirigée contre la France, la Cour européenne des droits de l’homme a écarté le grief tiré d’une atteinte au droit au procès équitable et à la présomption d’innocence à propos de l’utilisation de déclarations effectuées dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire, les requérants, trois ressortissants français, ayant finalement été condamnés. Ceux-ci avaient été impliqués dans l’établissement du plan de reprise de la compagnie aérienne Air Liberté. Quelques jours après que celle-ci fut placée en liquidation judiciaire, le ministère public avait ouvert une enquête préliminaire portant sur des soupçons de détournement d’actifs commis au sein de la compagnie aérienne. Par ailleurs, mais seulement un mois plus tard, l’Assemblée nationale française avait décidé de créer une commission d’enquête pour clarifier les causes économiques et financières de la faillite de la compagnie et entendu, à cette fin, les requérants sous serment. Le rapport parlementaire avait, par la suite, été transmis au procureur de la République de Paris. Soupçonnés de détournements d’actifs au sein de la compagnie, les requérants avaient été poursuivis et déclarés coupables d’abus de biens sociaux, de complicité et recel d’abus de biens sociaux.

Invoquant l’article 6 §§ 1 et 2 (droit à un procès équitable / droit à la présomption d’innocence), les requérants dénonçaient auprès de la Cour européenne une violation de leur droit de se taire et de ne pas contribuer à leur propre incrimination, ainsi qu’une atteinte à leur présomption d’innocence et aux droits de la défense. Selon eux, l’exploitation des déclarations qu’ils avaient été tenus de déposer sous serment et sous peine de sanctions, réalisait une atteinte au droit qu’ils avaient de se taire, et dont ils auraient bénéficié s’ils avaient été entendus dans le cadre d’une garde à vue. Ils soutenaient, en outre, que le rapport parlementaire transmis au ministère public avait servi de fondement aux poursuites pénales dont ils avaient fait l’objet. Par ailleurs, l’un des requérants estimait que son droit à la liberté et à la sûreté avait été violé par le fait de ne pas voir été présenté à un juge d’instruction, dans un délai raisonnable, à l’issue de sa garde à vue.

Concernant l’article 6 de la Convention, la Cour commence par rappeler que l’utilisation faite au cours du procès pénal des dépositions, recueillies sous la contrainte, n’est pas problématique en soi. Celle-ci doit, néanmoins, être mesurée pour garantir le respect effectif des droits de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, deux déclinaisons reconnues du droit au procès équitable : si elles ont été utilisées dans le but exclusif d’incriminer les intéressés, l’article 6 § 1er est violé.

Or la Cour constate, tout d’abord, que si les éléments recueillis par la commission parlementaire d’enquête ont bien été pris en compte dans le cadre de la procédure pénale dont les requérants ont fait l’objet, ils n’ont toutefois pas servi de fondement exclusif à la condamnation. Ainsi la Cour relève-t-elle que le procureur a fait peu de références à l’enquête parlementaire au regard des autres éléments de preuve autrement recueillis. En outre, les déclarations des requérants lors de l’enquête parlementaire n’ont été utilisées, de manière secondaire, que pour établir le contexte factuel de l’affaire.

Elle souligne, ensuite, que le rapport de la commission parlementaire n’avait pas été le « support exclusif des poursuites », le réquisitoire introductif ayant, également, fait référence à la procédure diligentée par la brigade financière et aux révélations de Tracfin.

Enfin, elle note que les requérants n’ont pas démontré que l’utilisation des déclarations faites devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale a eu un impact sur le verdict de culpabilité ou les peines prononcées. 

Par conséquent, la Cour rejette cette partie de la requête comme étant manifestement mal fondée.

S’agissant de l’article 5 de la Convention, la Cour conclut en revanche à sa violation, après avoir constaté l’illégalité de la seconde phase de détention subie par le requérant après sa garde à vue, puisqu’aucune disposition de droit interne ne réglementait la détention d’une personne entre le moment de la fin de sa garde à vue et celui de sa présentation devant le juge d’instruction.

CEDH 19 mars 2015, Corbet et autres c. France, requêtes n°7494/11, 7493/11 et 7989/11

 

Référence

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 5- Droit à la liberté et à la sûreté

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.

3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. 5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

Article 6 - Droit à un procès équitable

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique,  lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend  pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

 

Auteur :M. H.

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