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[ 10 novembre 2017 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Vaccin contre l’hépatite B et sclérose en plaques : preuve du lien causal

Mots-clefs : Responsabilité civile, Produits défectueux, Vaccin, Hépatite B, Sclérose en plaques, Lien de causalité, Preuve

En l’absence de certitude scientifique, le lien de causalité entre l’administration du vaccin contre l’hépatite B et l’apparition d’une sclérose en plaques doit être juridiquement prouvé par la réunion d’indices graves, précis et concordants.

Par deux arrêts rendus le 18 octobre 2017, la première chambre civile de la Cour de cassation a rejeté l'action de plusieurs victimes prétendues du caractère défectueux du vaccin contre l'hépatite B et son lien éventuel avec la survenance d'une sclérose en plaques.

Dans la première affaire, elle a approuvé la cour d’appel qui, pour écarter la responsabilité du laboratoire fabricant du vaccin, avait relevé :

- que des études scientifiques montraient que lors de l’apparition des premiers symptômes de la maladie, le processus physiopathologique avait probablement commencé plusieurs mois, voire plusieurs années auparavant, en sorte que la brièveté du délai écoulé entre l’apparition chez la victime des premiers symptômes et sa vaccination n’était pas pertinente ; 

- ensuite, que l’ignorance de l’étiologie de la sclérose en plaques ne permettait pas de considérer que l’absence d’autres causes éventuelles de cette maladie chez la victime et d’antécédents neurologiques personnels constitueraient des éléments d’une présomption en faveur d’un lien de causalité entre la vaccination et la maladie dont ce dernier était atteint ; 

- enfin, que l’analyse devait être la même concernant l’absence d’antécédents familiaux chez ce dernier, 92 à 95 % des malades atteints de sclérose en plaques n’ayant aucun antécédent de cette nature. 

Ainsi, la cour d’appel, qui n’a pas exigé la preuve d’une imputabilité abstraite de la sclérose en plaques à la vaccination contre l’hépatite B ni déduit l’absence de présomptions graves, précises et concordantes du seul défaut de consensus scientifique sur l’étiologie de la sclérose en plaques, a estimé, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que la concomitance entre la vaccination et l’apparition de la maladie comme l’absence d’antécédents neurologiques personnels et familiaux, prises ensemble ou isolément, ne constituaient pas de telles présomptions permettant de retenir l’existence d’un lien de causalité entre les vaccins administrés et la maladie. 

Dans la seconde affaire, pour parvenir à la même conclusion, la Haute cour confirme l’appréciation de la cour d’appel, laquelle, après avoir examiné si tant la situation personnelle de la victime que les circonstances particulières résultant notamment du nombre des injections pratiquées établissaient l'existence de présomptions graves, précises et concordantes du caractère défectueux des vaccins et des doses injectées, retint :

- qu'il résultait des différentes expertises exprimant un doute sur l'utilité d’aussi nombreuses injections, que cet élément, relatif à l'utilisation du produit, voire à sa posologie, ne constituait pas une présomption permettant d'établir le caractère défectueux des vaccins administrés ; 

- que le délai écoulé entre la dernière vaccination et l'apparition des symptômes ne constituait pas davantage une présomption suffisante en raison de la difficulté à dater précisément les premiers troubles, de la multiplicité des injections pratiquées et des éléments de nature scientifique remettant en cause la durée du délai jusqu'à présent admise pour caractériser l'existence d'un défaut ; 

- que les doutes sérieux exprimés par certains experts sur l'existence d'un lien entre le vaccin et la maladie allaient à l’encontre de l’existence d’une présomption, dès lors que le défaut d'un vaccin ne peut se déduire de l'absence de certitude scientifique de l'innocuité du produit ; 

- que le fait que la victime ait été en bonne santé avant la vaccination, comme 92 à 95 % des malades atteints de scléroses en plaques, et qu'elle soit issue d'une population faiblement affectée par la maladie sont insuffisants, à eux seuls, à établir le défaut du produit ; 

-qu'en ce qui concerne la présentation du produit, le risque de contracter la sclérose en plaques, qui n'était pas mentionné lorsque les vaccins ont été administrés, entre 1986 et 1993, n'est apparu dans le dictionnaire médical Vidal et les notices des vaccins qu'en 1994, année au cours de laquelle a été menée une enquête nationale de pharmacovigilance, de sorte qu'il ne pouvait être reproché au laboratoire un défaut d'information à cet égard. 

La Haute juridiction juge en conséquence qu'en déduisant de ces constatations et appréciations souveraines qu'il n'était pas établi que les vaccins administrés étaient affectés d'un défaut, le juge, qui ne s'est pas exclusivement fondé sur des circonstances générales tirées du consensus médical existant à la date des injections, a légalement justifié sa décision. 

Ces deux décisions ne peuvent évidemment être lues et comprises sans la référence européenne dont elles s’inspirent (v. CJUE 21 juin 2017, n° C-621/15), la Cour de cassation ayant récemment demandé à la Cour de justice de l’Union européenne si en matière de vaccination contre l’hépatite B, malgré l’absence de certitude scientifique, restait possible l’établissement d’un lien de causalité entre la vaccination et le déclenchement d'une maladie neurodégénérative du type sclérose en plaques ? 

La difficulté est de taille, la Cour de cassation ayant d’ailleurs, jadis, refusé plusieurs fois que soit établi le caractère défectueux des vaccins en affirmant que le lien de causalité entre l'injection et la maladie n'était pas prouvé (Civ. 1re, 23 sept. 2003, n° 01-13.064. Civ. 1re,  27 févr. 2007, n° 06-10.063). Si la preuve par présomptions est admise, elle ne doit pas toutefois, par automatisme, être trop souplement accueillie, ce qui conduirait à la condamnation systématique des laboratoires dès qu’une maladie neurodégénérative se déclenche après une vaccination, d’autant plus contestable que la prise en charge du dommage ne relève pas d'un système mutualisé d'indemnisation tel que le permettrait un fonds ou une responsabilité de l'État comme pour les vaccinations obligatoires. C’est ce juste équilibre que la Cour de justice avait, dans l’arrêt précité, tenté d’établir et que la Cour de cassation cherche également à assurer dans les deux affaires rapportées. 

En outre, l’admission de la preuve par présomptions a révélé une certaine incertitude dans ses diverses applications. Par cinq arrêts rendus le 22 mai 2008 par la Cour de Cassation, la preuve par présomptions est considérée comme possible afin que les juges du fond puissent se forger une conviction sur le caractère défectueux du vaccin et le lien de causalité entre l'injection et la maladie (plus spécialement Civ. 1re, 22 mai 2008, n° 06-10.967), sans toutefois retenir, ni le caractère défectueux d'un vaccin, ni un lien de causalité. Puis en 2009, la Cour de cassation avait plus précisément érigé en critère exclusif la proximité temporelle entre le vaccin et la déclaration de la maladie, écartant toute autre cause possible de déclenchement de cette affection. Toutefois, l'appréciation de ces présomptions étant laissée aux juges du fond, il avait été jugé, l’année suivante, que nonobstant la proximité temporelle entre l'injection et la déclaration de la maladie, le lien de causalité n'était pas établi (Civ. 1re, 25 nov. 2010, n° 09-16.556). 

Afin d’unifier les moyens de prouver l'existence d'un lien de causalité par indices et sans certitude scientifique, la Cour de cassation avait plus récemment censuré l'arrêt d'appel qui se fondait sur le motif général d'absence de preuve scientifique du lien de causalité (Civ. 1re, 26 sept. 2012, n° 11-17.738). La Haute juridiction avait alors imposé aux juges du fond de tirer les conséquences des circonstances de fait propres à chaque espèce et, notamment, celle liée à la brièveté du délai entre l’apparition de la maladie et la vaccination. La cour d'appel de renvoi avait néanmoins résisté et l'affaire, revenue devant la Cour de cassation, fut pour elle l’occasion d’interroger à titre préjudiciel la CJUE (Civ. 1re, 12 nov. 2015, n° 14-18.118) qui, pour lui répondre, consacra la preuve par présomptions pour établir une causalité juridique. La Cour européenne avait, en effet, préféré la preuve par présomptions du lien de causalité à la preuve certaine d'un lien de causalité scientifiquement établi, à la charge, jugée trop lourde, de la victime ; « nonobstant la constatation que la recherche médicale n'établit ni n'infirme l'existence d'un lien entre l'administration du vaccin et la survenance de la maladie dont est atteinte la victime, certains éléments de fait invoqués par le demandeur constituent des indices graves, précis et concordants permettant de conclure à l'existence d'un défaut du vaccin et à celle d'un lien de causalité entre ce défaut et ladite maladie » (1 du dispositif). Mais la CJUE prit soin de rappeler que, conformément à l'article 4 de la directive du 25 juillet 1985 et à l’article 1245-8 du Code civil, la victime devait rapporter la preuve d’un lien de causalité. Il ne peut donc y avoir inversion de la charge de la preuve et bien que la preuve par présomptions soit admise, il ne saurait y avoir d'automaticité du lien de causalité même lorsque les indices (facteur temporel et absence d'antécédents) sont présents. Plus précisément, la CJUE avait indiqué que « des éléments tels que ceux invoqués dans le cadre de l'affaire au principal et liés à la proximité temporelle entre l'administration d'un vaccin et la survenance d'une maladie ainsi qu'à l'absence d'antécédents médicaux personnels et familiaux, en relation avec cette maladie, de même que l'existence d'un nombre significatif de cas répertoriés de survenance de cette maladie à la suite de telles administrations, paraissent a priori constituer des indices dont la conjonction pourrait, le cas échéant, conduire une juridiction nationale à considérer qu'une victime a satisfait à la charge de la preuve pesant sur elle en vertu de l'article 4 de la directive 85/374 » (§ 41). 

Ainsi, les présomptions continuent d’être laissées à l'appréciation du juge sous la réserve, au demeurant essentielle, d’une motivation précise, celui-ci ne pouvant les admettre que si elles sont graves, précises et concordantes, exigences que les juridictions du fond ont, dans ces deux affaires, scrupuleusement respectées pour rejeter, par une motivation particulièrement exhaustive, exposant et explicitant l’ensemble des raisons, essentiellement médicales et factuelles, justifiant qu’elles n’aient pas été convaincues par les indices d'absence d'antécédents et de proximité temporelle entre la vaccination et le déclenchement de la maladie.

Civ. 1re, 18 oct. 2017, n° 14-18.118 

Civ. 1re, 18 oct. 2017, n° 15-20.791

Références

■ CJUE 21 juin 2017, n° C-621/15 : D. 2017. 1807, note Borghetti.

■ Civ. 1re, 23 sept. 2003, n° 01-13.064.

■ Civ. 1re, 27 févr. 2007, n° 06-10.063 : D. 2007. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain.

■ Civ. 1re, 22 mai 2008, n° 06-10.967 P : D. 2008. 1544, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2894, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RDSS 2008. 578, obs. J. Peigné ; RTD civ. 2008. 492, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2009. 200, obs. B. Bouloc.

■ Civ. 1re, 25 nov. 2010, n° 09-16.556 P : D. 2010. 2909, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2825, édito. F. Rome ; ibid. 2011. 316, chron. P. Brun ; ibid. 2565, obs. A. Laude ; ibid. 2891, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Gelbard-Le Dauphin ; RDSS 2011. 164, obs. J. Peigné ; RTD civ. 2011. 134, obs. P. Jourdain.

■ Civ. 1re, 26 sept. 2012, n° 11-17.738 P : D. 2012. 2853, obs. I. Gallmeister, note J.-S. Borghetti ; ibid. 2376, entretien C. Radé ; ibid. 2013. 40, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 2802, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon ; RTD civ. 2013. 131, obs. P. Jourdain.

■ Civ. 1re, 12 nov. 2015, n° 14-18.118 P : D. 2015. 2602, note J.-S. Borghetti ; ibid. 2016. 2535, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès.

 

Auteur :M. H.


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