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Droit des obligations
Vaccination contre l’hépatite B : la portée des présomptions
Mots-clefs : Produits défectueux, Vaccination, Hépatite B, Lien de causalité
Le juge ne peut affirmer que le défaut de sécurité objective du produit litigieux n'est pas établi en se fondant sur une considération générale sur le rapport bénéfice/risque de la vaccination contre l’hépatite B après avoir admis qu'il existait des présomptions graves, précises et concordantes permettant de dire que le lien causal entre la maladie et la prise du produit était suffisamment établi.
Un mois après avoir reçu la dernière des trois injections du vaccin contre l’hépatite B, un homme présente des tremblements et d’autres troubles qui vont conduire, un an plus tard, au diagnostic de la sclérose en plaques. Il assigne en responsabilité le fabricant du vaccin. Alors que le défaut du produit avait été reconnu en première instance, le jugement est infirmé par la cour d’appel de Versailles. Cette dernière s’appuie sur le fait que le rapport bénéfice/risque du vaccin n'a jamais été remis en question, pour retenir que le défaut de sécurité objective du produit n'est pas établi, sa seule implication dans la réalisation du dommage ne suffisant pas à mettre en jeu la responsabilité du producteur.
La victime étant décédée en cours d’instance, ce sont ses ayants droit, bien inspirés, qui ont formé un pourvoi en cassation. En effet, l’arrêt d’appel est cassé au visa de l’article 1386-4 du Code civil, ensemble l’article 1353 du même code. Pour prononcer ainsi la cassation, la première chambre civile reproche aux juges d’appel de s’être déterminés par une considération générale sur le rapport bénéfice/risque de la vaccination, après avoir admis, en raison de l'excellent état de santé antérieur de la victime, de l'absence d'antécédents familiaux et du lien temporel entre la vaccination et l'apparition de la maladie, qu'il existait des présomptions graves, précises et concordantes permettant de dire que le lien causal entre la maladie et la prise du produit était suffisamment établi. Dans ces conditions, la cour d’appel aurait dû examiner si les circonstances particulières qu'elle avait ainsi retenues ne constituaient pas des présomptions graves, précises et concordantes de nature à établir le caractère défectueux du vaccin. À défaut, elle s’expose à la censure de la Haute cour pour défaut de base légale.
Pour apprécier l’intérêt de l’arrêt, il faut rappeler que le contentieux de la vaccination contre l'hépatite B a connu une évolution ces dernières années devant le juge judiciaire. Après avoir retenu une conception rigoureuse de la causalité, qui se confondait avec la preuve scientifique certaine et se trouvait donc exclue par le doute scientifique persistant sur un lien éventuel entre le vaccin et l’apparition de la maladie (Civ. 1re, 23 sept. 2003), la Cour de cassation a pris un parti nettement plus favorable aux victimes de sclérose en plaques en écartant le caractère dirimant du doute scientifique, et en estimant que le lien causal entre la vaccination et la maladie pouvait être établi par des présomptions du fait de l’homme, pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes, conformément à l’article 1353 du Code civil (Civ. 1re, 9 juill. 2009 ; v. déjà, Civ. 1re, 22 mai 2008).
Nettement influencée par la position du juge administratif en matière de responsabilité de l’État du fait d’une vaccination obligatoire (v. CE 9 mars 2007), cette évolution trouve sa limite dans le refus de la Cour de cassation d’exercer son contrôle sur l’appréciation des présomptions, entièrement laissée au pouvoir souverain des juges du fond. De cette absence de contrôle, il résulte que si les juges du fond ne peuvent écarter la demande d’indemnisation au seul motif de l’incertitude scientifique affectant l’existence d’une relation entre le vaccin et la maladie (Civ. 1re, 22 mai 2008, préc.), ceux-ci sont tout à fait fondés à exclure, par leur appréciation, l’existence de présomptions graves, précises et concordantes propres à établir l'imputabilité de la maladie au vaccin (Civ. 1re, 25 nov. 2010 ; Civ. 1re, 22 janv. 2009)… au grand dam des commentateurs qui relèvent l’injustice d’un contentieux donnant lieu aux solutions les plus contrastées, en dépit de la proximité des faits relevés (v. Ph. Brun ; F. Rome).
L’arrêt du 26 septembre 2012 est-il de nature à susciter un espoir de ce point de vue ? On peut le penser, dans la mesure où il prend le contrepied de l’arrêt du 25 novembre 2010 où la cour d’appel se voyait absoudre de s’être déterminée par des considérations générales. Mais surtout, la censure prononcée en l’espèce est davantage justifiée par la contradiction inhérente à la motivation de la cour d’appel : il n’est pas possible de considérer concrètement qu'il existe des présomptions graves précises et concordantes permettant de dire que le lien causal entre la maladie et la prise du produit est suffisamment établi et, dans le même temps, d’écarter le caractère défectueux du produit en se fondant sur le motif abstrait tiré de l’absence de remise en cause du rapport bénéfice/risque de la vaccination. La relation pointée ici par la Cour de cassation entre la preuve par présomptions du lien de causalité et celle du caractère défectueux du vaccin constitue à n’en pas douter un développement intéressant de cette jurisprudence.
Civ. 1re, 26 sept. 2012, no 11-17.738
Références
■ Civ. 1re, 23 sept. 2003, no 01-13.063, Bull. civ. I, n° 188; R., p. 458 ; D. 2004. Somm. 1344, obs. D. Mazeaud ; JCP 2003. II. 10179, note Jonquet, Maillols, Mainguy et Terrier; ibid. 2004. I. 101, n° 23 s., obs. Viney.
■ Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-11.073, RTD civ. 2009. 723, obs. P. Jourdain ; GADS 2010. n° 112-113 ; Constitutions 2010. 135, obs. X. Bioy.
■ Civ. 1re, 22 mai 2008, n° 06-14.952, RTD civ. 2008. 492, obs. P. Jourdain.
■ CE 9 mars 2007, req. no 267635, AJDA 2007. 861, concl. Olson ; JCP G 2007. II. 10142, note A. Laude.
■ Civ. 1re, 22 mai 2008, no 05-20.317, RTD civ. 2008. 492, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 1re, 25 nov. 2010, no 09-16.556, D. 2011. 316, chron. P. Brun ; JCP 2010, n° 1201, obs. P. Mistretta ; JCP 2011, n° 79, note J.-S. Borghetti ; RCA 2011. comm. 24, obs. C. Radé.
■ Civ. 1re, 22 janv. 2009, n° 07-16.449, RTD civ. 2009. 329, obs. P. Jourdain.
■ F. Rome, « Pitié pour les victimes », D. 2010. 2825.
■ Code civil
« Les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l'acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol. »
« Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation. »
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