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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Validité de la fermeture par un foyer d’hébergement d’une salle dédiée à la pratique religieuse
Mots-clefs : Contrats, Prêt à usage, Rupture unilatérale, Préavis raisonnable, Obligation de motivation (non), Libertés fondamentales, Liberté de conscience, Liberté religieuse, Atteinte (non)
Un foyer d’hébergement, en sa qualité de prêteur à usage, est en droit, en l’absence de terme convenu ni prévisible et dans le respect d’un délai de préavis raisonnable, de rompre unilatéralement le contrat sans que la privation en résultant de la salle dédiée à la pratique du culte musulman constitue une atteinte à la liberté religieuse des victimes de cette rupture dès lors que le prêteur ne s’était pas contractuellement engagé à leur assurer la possibilité matérielle d’exercer leur culte.
Plusieurs résidents d’un foyer avaient assigné la société gérant ce dernier afin qu’il lui soit fait interdiction de supprimer la mise à leur disposition d’une salle pour la pratique de leur culte. La cour d’appel rejeta leurs demandes au motif que la société justifiait devoir faire des travaux de réhabilitation du foyer, et notamment dans la salle jusqu’alors dédiée au culte.
Au soutien de leur pourvoi en cassation, les résidents reprochèrent d’une part à la cour de ne pas avoir caractérisé le besoin urgent et imprévu de la société de récupérer son bien, seul de nature, selon eux, à permettre la résiliation unilatérale du contrat ; ainsi s’appuyaient-ils sur l 'article 1889 du Code civil disposant que lorsque, pendant la durée fixée pour le prêt ou avant que le besoin de l'emprunteur ait cessé, il survient au prêteur le besoin urgent et imprévu de la chose prêtée, le juge peut, suivant les circonstances, obliger l'emprunteur à la lui rendre. D’autre part, ils invoquèrent l’atteinte directe à leur liberté de pensée, de conscience et de religion, et plus particulièrement s’agissant de cette dernière, une atteinte excessive à leur droit de pratiquer leur religion dès lors que la privation de leur salle de culte, connu de tous et maintenu dans cette destination depuis plus de quarante ans, les obligeait à se rendre à la mosquée de leur ville cinq fois par jour, impliquant plus d’une heure et demie de transport à chaque déplacement.
Le pourvoi est rejeté au motif que la libre disposition d'une salle pour la pratique du culte musulman dans un foyer logement, relevant d'un prêt à usage qui n'avait aucun terme convenu ni prévisible, le propriétaire des lieux, peut y mettre fin en respectant un délai de préavis raisonnable, sans devoir justifier d'un besoin urgent et imprévu de la chose prêtée. Aussi, la Cour affirme-t-elle que la société prêteuse n’était pas en charge d’assurer aux résidents la possibilité matérielle d’exercer leur culte, d’autant plus que les juges du fond avaient constaté que ceux-ci pouvaient pratiquer leur religion sans utiliser la salle de prière, celle-ci facilitant seulement leur pratique religieuse, ce dont ils ont pu raisonnablement déduire que la société n’avait pas porté atteinte à une liberté fondamentale en décidant la fermeture de cette salle.
Sur le terrain contractuel tout d’abord, la Cour rejette l’argument des demandeurs fondé sur la combinaison de l’article 1888 du Code civil, qui dispose que le prêteur, à défaut de terme stipulé, ne peut exiger la restitution de la chose prêtée qu'après qu'elle a servi à l'usage pour lequel elle a été empruntée, et de l’article 1889 du même code, qui autorise le prêteur à exiger la restitution de son bien avant que le besoin de l'emprunteur ait cessé s’il justifie d’un besoin urgent et imprévu. L’argument aurait pu prospérer si les juges avaient pu déterminer la durée du prêt, lequel n’avait, selon eux, « aucun terme convenu ni prévisible ». En effet, l’hypothèse prévue par l’article 1888 du Code civil, celle où le prêteur, à défaut de terme prévu au contrat, peut exiger la restitution de la chose à la condition qu'elle ait servi à l'usage pour lequel elle a été empruntée, implique que le juge détermine lui-même la date de la restitution, ce qui n'est pas simple, notamment lorsque comme en l’espèce, la durée du prêt conclu se révèle indéterminable. Certains auteurs soutiennent d’ailleurs qu’en pareil cas, le prêteur devrait pouvoir réclamer la chose quand bon lui semble (Baudry-Lacantinerie et Wahl, De la société, du prêt, du dépôt n° 653). La jurisprudence a une position légèrement moins souple, imposant simplement au prêteur de respecter un délai de préavis raisonnable (Civ. 1re, 3 févr. 2004, n° 01-00.004. – V. aussi, Civ. 1re, 29 mai 2001, n° 99-13.594. Civ. 3e, 4 avr. 2007, n° 06-12.195).
Sur le terrain des libertés fondamentales ensuite, la Cour rejette également la thèse du pourvoi. Si le devoir de tolérance à l’égard des différentes religions incombant traditionnellement à l’État, existe également dans les rapports privés, justifiant par exemple que l’embauche, le licenciement, la fourniture d’un bien ou toute prestation de services ne puissent être fondés sur les convictions religieuses d’une personne sous peine de constituer une discrimination, en revanche, ce devoir de tolérance ne s’étend pas à l’exercice du culte (V. A. Marais, Introduction au droit, Vuibert, 3e éd., n° 22). Ainsi une personne ne peut-elle pas invoquer, comme en l’espèce, sa liberté de culte pour ajouter des obligations non prévues au contrat, de la même manière que la liberté religieuse n’autorise pas la violation d’obligations prévues au contrat (Civ. 3e, 8 juin 2006, n° 05-14.774). Comme le relève la Cour, la société n’était pas contractuellement tenue d’assurer aux résidents la possibilité matérielle d’exercer leur culte. Seule lui incombe l’obligation de les héberger (V. dans le même sens, Civ. 3e, 18 déc. 2002, n° 01-00.519: « les pratiques dictées par les convictions religieuses des preneurs n’entrent pas, sauf convention expresse, dans le champ contractuel du bail et ne font naître à la charge du bailleur aucune obligation spécifique »).
Civ. 1re, 30 sept. 2015, n° 14-25.709
Références
■ Code civil
■ Baudry-Lacantinerie et Wahl, De la société, du prêt, du dépôt, n° 653.
■ Civ. 1re, 3 févr. 2004, n° 01-00.004 ; D. 2004, n° 13, p. 903, note C. Noblot ; AJDI 2004. 228 ; RTD civ. 2004. 312, obs. P.-Y. Gautier.
■ Civ. 1re, 29 mai 2001, n° 99-13.594, D. 2002. 30, concl. J. Sainte-Rose.
■ Civ. 3e, 4 avr. 2007, n° 06-12.195, D. 2007. 1202 ; AJDI 2007. 500.
■ Civ. 3e, 8 juin 2006, n° 05-14.774, Bull. civ. III, n° 140 ; D. 2006. 2887, note C. Atias ; AJDI 2007. 311, obs. P. Capoulade ; ibid. 2006. 609, point de vue J. Raynaud ; RTD civ. 2006. 722, obs. J.-P. Marguénaud.
■ Civ. 3e, 18 déc. 2002, n° 01-00.519, Bull. civ. III, n° 262, D. 2004. 844, obs. N. Damas ; AJDI 2003. 182, obs. Y. Rouquet, obs. O. Guérin ; RTD civ. 2003. 290, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 383, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 575, obs. R. Libchaber.
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