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[ 22 mars 2022 ] Imprimer

Droit des obligations

Validité de la rétractation d’une promesse de vente par simple courriel

L’envoi d’un courriel au notaire mandaté par le vendeur pour recevoir l’éventuelle rétractation d’une promesse de vente présente des garanties équivalentes à celles d’une notification par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception.

Civ. 3e, 2 févr. 2022, n° 20-23.468

La faculté de rétractation de l’acquéreur prévue à l’article L. 271-1 al. 2 du code de la construction et de l’habitation peut être exercée par courriel si ce dernier présente, au vu des circonstances de l’espèce, des garanties équivalentes à celle d’une notification par lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR). Tel est l’enseignement majeur de la décision rapportée dont l’importance pratique en matière de transactions immobilières peut d’ores et déjà être soulignée.

Un propriétaire avait consenti à des époux une promesse unilatérale de vente portant sur un appartement. L’avant-contrat avait été notifié aux bénéficiaires par LRAR. Ces derniers s’étaient rétractés dans le délai de rétractation de dix jours légalement prévu en envoyant un courriel au notaire chargé de la rédaction de l’acte de vente. Ils avaient confirmé cette rétractation et demandé la restitution de la somme séquestrée par une LRAR postée le lendemain. Le promettant les avait alors assignés en paiement de l’indemnité d’immobilisation stipulée dans la promesse en cas de non-réalisation de la vente. Sa demande fut accueillie en appel, la cour considérant que la notification par courriel ne présentait pas, pour la détermination de la date de réception ou de remise, des garanties équivalentes à celles d’une LRAR. En effet, selon les juges du fond, l'envoi d'un courriel ne permet pas d'identifier l’expéditeur et destinataire, ni d'attester sa date de réception. Elle ajouta que si la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique et le décret du 9 mai 2018 affirment l'équivalence entre la lettre recommandée papier et la lettre recommandée électronique, cette équivalence ne peut pas être étendue à un simple courriel, faute de sécurité et de fiabilité suffisantes.

Devant la Cour de cassation, les bénéficiaires faisaient valoir que la promesse indiquait expressément que le promettant avait conféré à son notaire la qualité de mandataire pour recevoir la notification de leur rétractation éventuelle, et que leur courriel de rétractation avait été adressé dans le délai légal à ce notaire qui en avait informé, le même jour, celui du propriétaire. Ils soulignaient également que la date de réception de leur courriel avait été attestée par le notaire, en sa qualité d’officier ministériel, et que la valeur probatoire de l’attestation du notaire pris en cette qualité ne pouvait être remise en cause. En conséquence, ils reprochaient aux juges du fond de n’avoir pas recherché si dans ces circonstances propres à l’espèce, leur courriel n’avait pas présenté une garantie équivalente à celle attribuée à une lettre recommandée. La troisième chambre civile casse l’arrêt de la cour d’appel qui aurait dû rechercher, comme il le lui avait été demandé, « […] si l’envoi d’un tel document au notaire mandaté par le vendeur pour recevoir l’éventuelle notification de la rétractation, lequel a attesté en justice avoir reçu le courriel litigieux le 9 mai 2017 à 18 heures 25, n’avait pas présenté des garanties équivalentes à celles d’une notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception […] ».

Selon l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation, l'acquéreur non professionnel peut se rétracter dans un délai de dix jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l'avant-contrat de vente. Cet acte doit lui avoir été notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (LRAR) ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise. Or la faculté de rétractation de l’acquéreur doit être exercée dans les mêmes formes. Jusqu’alors, la LRAR, même par voie électronique, faisait sans nul doute partie des modes de notification et par symétrie, de rétractation, reconnus comme valables. En ce sens, la cour d’appel avait retenu, conformément au dispositif en vigueur, que le courriel envoyé au notaire ne remplissait pas les conditions requises pour constituer une lettre recommandée électronique. À premières vues, la faculté de rétractation des acquéreurs n’aurait donc pas dû, en l’espèce, être jugée valablement exercée par l’envoi d’un simple mail, qui n’équivaut pas à une LRAR par voie électronique. Pourtant, la Cour de cassation ne condamne pas le principe de son exercice. Elle le subordonne seulement à l’équivalence des garanties offertes par ce procédé, au regard des circonstances propres à l’espèce, à celles présentées par une LRAR. C’est pourquoi la Haute juridiction, pour censurer l’arrêt d’appel, reproche à la cour de ne pas avoir recherché si au vu des circonstances de l’espèce donc, l'envoi d'un courriel au notaire mandaté par le vendeur pour recevoir l'éventuelle notification de la rétractation, lequel avait attesté en justice avoir reçu le courriel litigieux le 9 mai 2017 à 18 heures 25, n'avait pas présenté des garanties équivalentes à celles d'une notification par LRAR. Adoptant une approche in concreto, les hauts magistrats condamnent en conséquence l’appréciation abstraite des faits propres au litige révélée par les juges du fond qui, en affirmant qu’un courriel ne présente pas en soi de garanties équivalentes à celles d’une LRAR, a statué de manière générale et impersonnelle, sans tenir compte des circonstances particulières de l’affaire tenant, d’une part, à la procédure prévue dans la promesse de vente selon laquelle le notaire était mandaté pour recevoir la notification de la rétractation, autorisant les acheteurs à s’adresser à lui et, d’autre part, à l’attestation en justice de la réception de la rétractation, à la date d’envoi du courriel, par le notaire du vendeur en sa qualité d’officier public et ministériel, cette attestation ayant dès lors valeur de preuve.

Dont acte : la recherche des garanties équivalentes doit s’effectuer selon une approche contextuelle tenant compte des circonstances particulières à chaque espèce, et non par une analyse générale et abstraite (v. déjà, jugeant certaine la date de réception d’une notification pourtant effectuée hors délai, Civ.3e, 25 mai 2011, n  10-14.641).

La portée de cette solution mérite d’être soulignée. Après que la loi eut admit que la lettre recommandée électronique (LRE) puisse être valablement employée pour purger le délai légal de rétractation lorsque ses conditions légales sont remplies (CPCE, art. L. 100 et art. R. 53 et s.), le juge élargit par la présente décision la voie ainsi engagée vers la dématérialisation de la notification, en validant la rétractation exercée par des acquéreurs au moyen d’un simple courriel admis comme présentant « des garanties équivalentes » à celles de la LRAR au sens de l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation.

Il est enfin à noter que la validité de la rétractation exercée par courriel permet à celle-ci de déployer pleinement ses effets, comparables à ceux attachés à la condition résolutoire ; son exercice conduit, en effet, à anéantir rétroactivement le contrat. Par l’envoi d’un simple courriel de rétractation, et à la condition que les circonstances le justifient, le propriétaire n’est donc plus en droit de réclamer l’indemnité d’immobilisation prévue par l’acte ainsi anéanti, tandis que les acheteurs peuvent récupérer leur séquestre.

Référence :

■ Civ.3e, 25 mai 2011, n  10-14.641 : D. 2011. 1557

 

Auteur :Merryl Hervieu


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