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Droit des obligations
Validité du pacte de préférence sans durée malgré la prohibition des engagements perpétuels
Qualifié d’engagement perpétuel, un pacte de préférence conclu sans durée n’est pas sanctionné par la nullité du contrat, chaque cocontractant pouvant y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter un préavis contractuel ou, à défaut, un délai raisonnable.
Civ. 1re, 25 sept. 2024, n° 23-14.777
Les engagements perpétuels ne sont pas sanctionnés par la nullité, même pour les contrats antérieurs à l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats. Après avoir été prononcée à propos d’une promesse de cession d’actions, la solution se voit ici confirmée au sujet d’un pacte de préférence conclu, sans durée déterminée, concernant un bien immobilier.
Le 19 juillet 1990, une personne physique consent un pacte de préférence sur une propriété à un couple, sans stipulation de durée. Le 16 mai 2011, le propriétaire décide de vendre son bien à un tiers. Il adresse donc une lettre aux bénéficiaires du pacte de préférence afin qu’ils prennent position dans un délai de trois mois. Le 3 juillet suivant, ces derniers indiquent qu’ils exerceront leur droit de préférence, mais le propriétaire refuse de signer l’acte authentique de vente. Le 13 septembre 2011, deux sommations à comparaître chez le notaire sont diligentées par les bénéficiaires du pacte de préférence, sans succès. Le propriétaire décède en laissant à sa succession un légataire universel, qui se trouve précisément être la tierce personne voulant acquérir le bien depuis mai 2011. Les bénéficiaires assignent alors le légataire du propriétaire défunt afin de voir prononcer la vente judiciaire et forcée du bien. En cause d’appel, les juges du fond considèrent que les bénéficiaires ont régulièrement exercé leur droit de préférence en exécution du contrat, quoique ce dernier fût conclu plus de trente ans auparavant (19 juillet 1990). Pour les juges du fond, le pacte de préférence ne pouvait en effet être concerné par la prohibition des engagements perpétuels. Le légataire universel, devenu propriétaire du bien objet du pacte, se pourvoit en cassation, reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si l’absence de terme extinctif ne trahissait pas une durée excessive justifiant l’annulation du pacte, constitutif d’un engagement perpétuel. Dans le prolongement d’une jurisprudence commerciale récente (Com. 21 sept. 2022, n° 20-16.994), la première chambre civile juge que, même sur le fondement du droit antérieur à l’ordonnance, « les engagements perpétuels ne sont pas sanctionnés par la nullité du contrat mais chaque contractant peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable ».
Il est un principe en droit français que les engagements perpétuels sont prohibés. Le nouvel article 1210 du Code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le précise expressément en son alinéa 1er. Par ailleurs, l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats a permis de clarifier la sanction puisque, désormais, « [c]haque contractant peut y mettre fin dans les conditions prévues pour le contrat à durée indéterminée » (al. 2e). Ainsi, pour tous les contrats conclus postérieurement au 1er octobre 2016, il ne fait aucun doute que la sanction de la perpétuité est la possibilité pour le cocontractant d’y mettre fin « à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable » (C. civ., art. 1211). En l’espèce applicable, le régime antérieur à l’ordonnance était en revanche beaucoup moins clair, la jurisprudence ayant oscillé entre nullité du contrat, nullité partielle ou requalification de l’engagement perpétuel en contrat à durée indéterminée. La Cour de cassation jugeait en effet traditionnellement qu’un contrat perpétuel était frappé de nullité absolue (J. Carbonnier, Droit civil - Les biens - Les obligations, PUF, 2004, §§ 1056-1057). Sous l’impulsion du professeur Simler, il a également été soutenu que la sanction devait être la nullité partielle et, qu’en conséquence, seule la clause rendant perpétuel le contrat en cause devait être annulée (P. Simler, La nullité partielle des actes juridiques, préf. A. Weill, 1969, LGDJ, § 202, p. 244). Il a encore été proposé, et la jurisprudence l’a admis, que la sanction devait être la possibilité, pour le cocontractant, de mettre fin au contrat, ce que l’article 1210, al. 2 a repris (v. P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Droits des obligations, 10e éd., LGDJ, 2018, § 915, p. 524, qui considèrent que, depuis 2017, la seule sanction possible est la résiliation puisqu’un arrêt a jugé que « le contrat à exécution successive dans lequel aucun terme n’est prévu n’est pas nul, mais constitue une convention à durée indéterminée que chaque partie peut résilier unilatéralement, à condition de respecter un juste préavis », Com. 8 févr. 2017, n° 14-28.232 ; la portée de cet arrêt était malgré tout très incertaine puisque la véritable difficulté était plutôt la distinction contrat à exécution successive/contrat perpétuel).
Trois sanctions étaient donc susceptibles de coexister en sorte qu’une clarification était attendue. C’est désormais chose faite. Selon la Cour de cassation en effet, le moyen du pourvoi était erroné en droit, car il postulait que la sanction des engagements perpétuels était la nullité ce qui, en toutes hypothèses, doit être exclu puisqu’un engagement perpétuel, qu’il soit soumis au régime de 1804 ou de 2016, ne doit pas être annulé : il peut seulement être résilié. Relevant qu’au cas d’espèce, le promettant n’avait pas résilié le pacte de préférence, la Cour en déduit que celui-ci était toujours en vigueur, de sorte que les bénéficiaires pouvaient encore s’en prévaloir.
Sans distinguer entre droit ancien et droit nouveau, cette solution a le mérite de la clarté. Son avantage tient encore dans son uniformité, la première chambre civile se ralliant ainsi à la position adoptée il y a deux ans par la chambre commerciale ayant appliqué de facto à un contrat ancien le nouveau droit des contrats. Le message est donc sans équivoque : dorénavant, les plaignants devront veiller à solliciter la résiliation du contrat qu’ils considèrent comme perpétuel plutôt que d’en demander la nullité. Or en l’absence de nullité de l’engagement perpétuel, et à défaut de résiliation du contrat par l’une ou l’autre des parties, le pacte en l’espèce conclu il y a plus de 34 ans permettait encore à ses bénéficiaires de pouvoir exercer leur droit de préférence. Plus précisément, la priorité continuait de produire ses effets jusqu’à la vente projetée en 2011. C’est d’ailleurs toute la difficulté de l’absence de terme des pactes de préférence, qui s’observe fréquemment en pratique, d’autant plus qu’en principe, la stipulation d’une durée n’est pas érigée en condition de validité du pacte. Sans durée contractuellement prévue, le pacte de préférence peut toujours être résilié par l’une des parties sous réserve de respecter le préavis prévu par le contrat ou, du moins, un délai raisonnable, ce qui explique la durée de son efficacité. Fondée mais dangereuse, cette temporalité doit inviter les parties à stipuler un délai, faute de quoi la priorité sera susceptible de produire ses effets même des décennies plus tard.
Références :
■ Com. 21 sept. 2022, n° 20-16.994 : D. 2022. 1700 ; ibid. 2023. 1922, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau ; Rev. sociétés 2023. 23, note G. Pillet ; RTD civ. 2022. 879, obs. H. Barbier ; ibid. 2023. 92, obs. H. Barbier ; ibid. 120, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 2023. 151, obs. A. Lecourt ; ibid. 154, obs. A. Lecourt
■ Com. 8 févr. 2017, n° 14-28.232 : D. 2017. 678, note A. Etienney-de Sainte Marie ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki ; ibid. 479, obs. J.-P. Clavier, N. Martial-Braz et C. Zolynski ; AJ contrat 2017. 222, obs. G. Cattalano-Cloarec ; Dalloz IP/IT 2017. 336, obs. K. Disdier-Mikus et N. Larrieu ; RTD civ. 2017. 389, obs. H. Barbier
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