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[ 27 janvier 2025 ] Imprimer

Droit des successions et des libéralités

Validité du testament rédigé dans une langue incomprise du testateur : évolution jurisprudentielle

La Cour fait évoluer sa jurisprudence : à certaines conditions, elle admet désormais la validité d’un testament international rédigé dans une langue que le testateur ne comprend pas.

Ass. Plén., 17 janv. 2025, n° 23-18.823

Une femme de nationalité italienne est décédée le 28 février 2015, laissant pour lui succéder quatre enfants, ainsi qu’un petit-fils. Cette femme ne maîtrisait pas la langue française. Lorsque le 17 avril 2002, elle a fait rédiger son testament en la forme authentique par un notaire français, en langue française, elle a alors eu recours à un interprète en langue italienne. À son décès, il est apparu que le testament avantageait ses trois filles, instituées légataires de la quotité disponible. Or, d’après le petit-fils de la défunte, ce testament ne reflétait pas l’exacte volonté de sa grand-mère. Il a donc assigné ses tantes en justice pour obtenir l’annulation du testament. Annulé en première instance aux motifs que ce testament ne valait ni en tant que testament authentique ni en tant que testament international, en cause d’appel, la cour jugea au contraire ce testament valide : bien qu’il ne respectait pas les règles de forme attendues d’un testament authentique à la date de sa rédaction (jusqu’en 2015, le recours à un interprète n’était pas autorisé), les juges du fond ont toutefois considéré, sur le fondement des dispositions de la Convention de Washington portant loi uniforme sur la forme d’un testament international (Washington, D.C., 26 oct. 1973), qu’il restait valable en tant que testament international, dont il satisfaisait toutes les exigences, plus souples que celles requises pour la validité d’un testament authentique, notamment en ce qu’il peut être rédigé en n’importe quelle langue, donc dans une langue différente de celle du testateur. Or si malgré les irrégularités affectant un testament authentique, la forme de ce dernier remplit les critères attendus d’un testament international, le testament authentique peut être « sauvé ». Autrement dit, le testament authentique irrégulier sera alors valable en tant que testament international. La cour d’appel avait précisément opéré cette conversion par réduction de l’acte testamentaire, cette technique consistant à valider l’acte formellement nul sous sa première qualification par une autre qualification dont il remplit les conditions. À la suite de cette décision, le petit-fils de la testatrice avait formé un premier pourvoi en cassation, s’appuyant sur la jurisprudence traditionnelle de la Cour refusant d’admettre la validité du testament international rédigé dans une langue que son auteur, même assisté d’un interprète, ne comprend pas. Logiquement, la première chambre civile de la Cour de cassation censura la cour d’appel, aux motifs que même un testament international devait être rédigé dans une langue comprise par le testateur, en sorte que celui-ci ne pouvait en aucun cas, ie même avec l’aide d’un interprète, être rédigé dans une langue qu’il ne maîtrise pas (Civ. 1re, 2 mars 2022, n° 20-21.068). La cour d’appel chargée de rejuger l’affaire n’a cependant pas suivi cette position : en l’absence de disposition expresse dans la Convention pour soumettre la validité du testament écrit à sa rédaction dans une langue comprise par son auteur, elle a estimé qu’en tant que testament international, l’acte litigieux restait valide, l’assistance d'un interprète ayant précisément permis de remédier aux difficultés de compréhension de la testatrice. Le petit-fils a alors formé un nouveau pourvoi en cassation, ayant conduit la Cour à examiner cette affaire en assemblée plénière. Celle-ci devait dès lors répondre à la question de savoir si pour être valide, un testament international doit impérativement être rédigé dans une langue comprise du testateur ou si, plus souplement, il suffit que le testateur bénéficie de l’assistance d’un interprète. 

Choisissant d’assouplir sa jurisprudence, la Cour admet pour la première fois qu’un testament international soit écrit dans une langue que le testateur ne comprend pas. La Cour pose toutefois une condition à sa validité : la loi dont dépend le notaire en charge d’établir le testament doit autoriser le recours à un interprète. Si en France, la loi du 16 février 2015 a autorisé l’interprétariat (L. 2015/177, art. 3, 2°), cette évolution qui vise le testament par acte authentique ne concerne que les testaments établis à partir du 18 février 2015, et ajoute la condition supplémentaire que l’interprète soit inscrit sur une liste d’expert judiciaire (C. civ. art. 972). Or en l’espèce, le testament a non seulement été rédigé avant le 18 février 2015 mais en outre, il l’a été avec l’aide d’un interprète dépourvu de la qualité d’expert judiciaire. Dès lors, ce testament ne peut être « sauvé » : il n’est valide ni comme testament authentique ni comme testament international. La décision de la cour d’appel est donc censurée.

Reste la reconnaissance de principe de la validité d’un testament rédigé dans une langue incomprise du testateur, qui ne manquera pas de susciter les critiques de la doctrine, majoritairement défavorable à l’interprétariat. Il est vrai que s’il est admis que le testament international puisse être écrit dans une langue quelconque (art. 3.3 Convention), « il paraît aller de soi que le testateur doive comprendre cette langue » (M. Grimaldi, Droit civil, Libéralités – Partages d’ascendants, LexisNexis, 2000, n°1386). Consacré à l’effet de faciliter le sauvetage du testament authentique frappé de nullité, ce nouveau principe de validité d’un testament international reçu avec le concours d’un interprète revient néanmoins à autoriser l’officier public à acter la parole, non du testateur lui-même, mais de l’interprète (M. Grimaldi, « Le testament notarié reçu sous l’empire du droit antérieur à la loi du 16 février 2015, avec le concours d’un interprète ne peut être sauvé comme testament international » RTD civ. 2022, p 441). Contestable, la solution a toutefois le mérite de mettre fin à cette situation paradoxale qui revenait à considérer (depuis 2015) que l’interprétariat dans l’acte authentique préserve l’authenticité de l’expression des dernières volontés mais qu’il constitue pour le testament international, au motif inverse, une cause de nullité.

Référence :

■ Civ. 1re, 2 mars 2022, n° 20-21.068 D. 2022. 461 ; ibid. 2063, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier ; AJ fam. 2022. 340, obs. N. Laurent-Bonne ; RTD civ. 2022. 441, obs. M. Grimaldi

 

Auteur :Merryl Hervieu


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