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Droit des obligations
Vendeur professionnel : se renseigner pour mieux conseiller
Le vendeur professionnel est tenu d'une obligation de conseil qui lui impose de se renseigner, avant la conclusion du contrat, sur les besoins propres à son acheteur afin d’être en mesure de l'informer sur l'adéquation entre le bien proposé à la vente et l'usage que son cocontractant en a prévu.
Civ. 1re, 11 mai 2022, n° 20-22.210 B
La bonne exécution de l’obligation de conseil du vendeur professionnel suppose que ce dernier se soit au préalable renseigné sur les besoins spécifiques de l’acheteur. Tel est le rappel auquel procède l’arrêt rapporté.
Au cas d’espèce, une famille envisage un « road-trip » d’un an aux États-Unis. Dans cette perspective, le père acquiert auprès d’un vendeur professionnel un camping-car fabriqué par une autre société. Postérieurement à la livraison du véhicule, l’acheteur fait installer par le vendeur des équipements supplémentaires. Mais l’aventure se transforme en mésaventure lorsque quelques mois plus tard, la famille découvre « un fléchissement de l’essieu arrière ». Une expertise établit alors le lien entre ce fléchissement et la surcharge du véhicule.
L’acheteur assigne en conséquence le vendeur et le fabricant en résolution de la vente et en responsabilité, leur reprochant un manquement à leur devoir d’information et de conseil faute de l’avoir avisé, au vu de ses besoins en équipement du véhicule, du risque de surcharge pondérale finalement advenu. Ses demandes sont rejetées en appel, la cour tenant compte de la mise en garde donnée par le vendeur, postérieurement à la conclusion de la vente, par la mention « attention au poids » indiquée sur la facture de livraison, qui précisait en outre que « chaque accessoire supplémentaire diminue la charge utile » : le véhicule livré conformément à la commande initiale était donc apte à l’usage prévu par l’acheteur, la surcharge pondérale ensuite observée résultant de l’installation, à sa demande, d’éléments optionnels postérieurs à la livraison.
Même si la mention en question ne précisait pas le poids des équipements déjà installés, la teneur de ses termes était, selon les juges du fond, suffisante pour attirer l’attention de l’acheteur sur le risque de surcharge du véhicule, notamment en cas d’installation de nouveaux équipements. La cassation est prononcée au visa de l’article 1147 ancien du Code civil applicable au litige. Pour la Haute juridiction, « le vendeur professionnel est tenu, avant la vente, d'une obligation de conseil qui lui impose de se renseigner sur les besoins de l'acheteur afin d'être en mesure de l'informer sur l'adéquation entre le bien qui est proposé et l'usage qui en est prévu ». La cour d’appel se voit alors reprocher d’avoir violé ce texte en écartant la responsabilité du vendeur « sans constater qu’il s’était informé sur les besoins de l’acheteur, et en particulier de la charge utile qui lui était nécessaire pour mener à bien son projet de voyage ».
Historiquement, imposer une obligation d’information au vendeur n’allait pas de soi. Le principe d’origine était même inverse : tout contractant ayant le devoir de veiller à ses propres intérêts, l’acheteur avait l’obligation de se renseigner lui-même avant de contracter en faisant « usage de sa propre raison », pour reprendre les termes de Portalis. Le principe était donc celui du devoir de l’acheteur de s’informer. Cependant, cette foi en la rationalité des contractants était largement démentie en pratique, notamment au regard de la complexité d’utilisation et de la technicité d’un certain nombre de biens proposés à la vente. Il devint donc opportun sinon nécessaire de protéger l’intégrité du consentement de l’acheteur, de façon préventive, et d’imposer en conséquence au vendeur, en sa qualité de professionnel, une obligation précontractuelle d’information.
À partir des dispositions de l’article 1602 du Code civil, selon lequel « le vendeur est tenu d’expliquer clairement ce à quoi il s’oblige », cette obligation s’est généralisée pour s’appliquer à chaque fois que l’une des parties ignore légitimement des informations qui lui auraient été utiles et que l’autre connaissait, ou se devait de connaître. C’est précisément cette obligation précontractuelle de s’informer mise à la charge du vendeur professionnel qui se trouve ici illustrée, la Cour rappelant que pèse sur lui une obligation d’investigation supposant qu’il s’enquiert de l’adéquation du bien offert à la vente aux besoins personnels de son acheteur.
En vérité, l’obligation du vendeur de se renseigner et son obligation d’informer sont intrinsèquement liées : pour informer correctement son acheteur, le vendeur doit s’informer au préalable des besoins propres à son cocontractant. La corrélation est logique : en effet, pour être rendu débiteur d'une obligation d'information, encore faut-il avoir connaissance à la fois du contenu et de l'importance des éléments d'information en question pour son créancier. Cette exigence repose sur l'évidence que l'on ne peut être tenu de révéler ce que l'on n’est pas censé connaître. Depuis que le postulat libéral a été abandonné au profit d’une politique juridique de protection du consentement de l’acheteur, cette exigence justifie l'obligation d’investigation mise à la charge du vendeur professionnel, désormais tenu de s'informer pour informer.
La Cour de cassation part ainsi du principe que « celui qui a accepté de donner des renseignements a lui-même l'obligation de s'informer pour informer en connaissance de cause » (Civ. 2e, 19 juin 1996, n° 94-20.515). C’est évidemment le cas du vendeur professionnel. Découlant de son obligation d’information et de conseil, le devoir qui lui incombe de se renseigner l’oblige à s’enquérir des besoins spécifiques de son cocontractant.
Progressivement, ce devoir précontractuel d’investigation a été renforcé par les juges. Se contentant au départ d'énoncer in abstracto, par référence à une connaissance déduite de l'opinion commune, que l'information était nécessaire pour permettre à l'acheteur « de faire du produit un usage correct, conforme à sa destination » (Civ. 1re, 23 avr. 1985, n° 83-17.282), les juges se sont ensuite référés à une connaissance effective, acquise in concreto, résultant soit des circonstances, soit des prévisions d’usage du bien par l’acheteur que le vendeur doit chercher à connaître sans attendre que son cocontractant prenne l’initiative de lui en faire part.
Cette évolution a ainsi marqué un alourdissement du devoir d’information du vendeur professionnel, l’absence ou le déficit d'informations spontanément délivrées par son acheteur sur ses besoins et attentes spécifiques ne le dispensant plus d’exécuter son devoir d’information, dont l'obligation de conseil constitue l’une des déclinaisons. Comme le confirme ici la Cour, ce devoir lui impose « de se renseigner sur les besoins de l'acheteur afin d'être en mesure de l'informer quant à l'adéquation de la chose proposée à l'utilisation qui en est prévue » (v. Civ. 1re, 28 oct. 2010, n° 09-16.913 ; 11 déc. 2013, n° 12-23.372).
Désormais acquise, la règle ici rappelée révèle toutefois un excès de rigueur en ce qu’elle conduit à imposer une telle obligation dans le cadre d’un contrat de vente d’une chose standardisée, quand elle trouverait davantage sa place dans celui du contrat d’entreprise formé à l’effet d’obtenir un ouvrage conforme aux indications spécifiques du client.
Références :
■ Civ. 2e, 19 juin 1996, n° 94-20.515 P
■ Civ. 1re, 23 avr. 1985, n° 83-17.282 P
■ Civ. 1re, 28 oct. 2010, n° 09-16.913 P : DAE 22 nov. 2010, note B.H. ; Ateliers de la terre cuite (Sté), D. 2010. 2580, obs. X. Delpech ; ibid. 2011. 2891, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Gelbard-Le Dauphin ; RDI 2010. 616, obs. P. Malinvaud.
■ Civ. 1re, 11 déc. 2013, n° 12-23.372 : DAE 28 janv. 2014, note M.H. ; RTD com. 2014. 176, obs. B. Bouloc.
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