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Vente de la chose d’autrui : la disparition du risque d’éviction en cours d’instance empêche le sous-acquéreur d’agir en nullité
La nullité de la vente de la chose d’autrui invoquée par le sous-acquéreur est impossible quand la régularisation de la vente principale, faisant disparaître le risque de son éviction, intervient au cours de l’instance en nullité.
Civ. 3e, 5 déc. 2024, n° 21-18.445
Rare est la jurisprudence rendue à propos de la vente de la chose d’autrui, qui encourt l’annulation (C. civ., art. 1599). S’y rapportant, l’arrêt sélectionné doit donc retenir notre attention, d’autant plus qu’il permet de répondre à une question à la fois inédite et récurrente en pratique : celle de la possibilité pour le sous-acquéreur de poursuivre la nullité de la vente de la chose d’autrui quand intervient, au cours de l’instance en nullité, la régularisation de la vente principale.
Au cas d’espèce, une société avait acquis plusieurs lots de copropriété dans une résidence hôtelière par un premier acte authentique du 10 mai 1990. Le 28 décembre suivant, un de ces lots avait été revendu à une autre société par un second acte authentique, reçu par la même société notariale. Cette dernière opération avait été financée par un prêt souscrit auprès d’un établissement de crédit. Le sous-acquéreur de ce lot, ainsi que son associé unique, avaient ultérieurement demandé, par plusieurs assignations datant de novembre et de décembre 2010, de poursuivre la nullité pour vente de la chose d’autrui du contrat originaire conclu le 10 mai 1990, ce qui aurait eu pour double conséquence d’annuler la vente du 28 décembre suivant, ainsi que le crédit souscrit pour la financer. Cependant, en cours d’instance, la vente principale avait fait l’objet d’une réfection par un nouvel acte authentique, passé le 4 juillet 2017 pour couvrir la cause de nullité constituée par le risque d’éviction du sous-acquéreur, auquel se transmet la garantie due par le vendeur au premier acquéreur. Le processus de réfection avait, par ailleurs, été déclenché dès le 4 juillet 2012 par le premier vendeur, depuis placé en liquidation judiciaire. En cause d’appel, les juges du fond ont considéré que l’opération ne pouvant plus être contestée par la première société venderesse en raison de la réfection actée le 4 juillet 2017, tout risque d’éviction du sous-acquéreur avait en conséquence disparu. Dès lors, la cour d’appel débouta les demandeurs de leur action en nullité pour la vente de la chose d’autrui et, ce faisant, de leurs autres prétentions concernant la seconde vente et le crédit souscrit pour la financer. Le sous-acquéreur et son associé ont alors formé un pourvoi en cassation pour soutenir au contraire que leurs différentes actions en nullité pouvaient prospérer, dès lors que l’assignation introductive était antérieure à la régularisation de la vente de juillet 2017. La question posée par le pourvoi concernant les effets de la régularisation de l’acte principal de vente en cours de procédure révélait une difficulté, tenant dans la rédaction de l’article 1599 du Code civil concernant la nullité de la vente de la chose d’autrui. Lacunaire, sa lettre ne permet pas de déterminer si le sous-acquéreur peut maintenir son action en nullité en dépit d’une régularisation, en cours d’instance, de la vente principale. Il convenait alors de se tourner vers la ratio legis du texte, qui irrigue la décision rendue et permet de comprendre en quoi la couverture de la nullité de la vente de la chose d’autrui, admise en cas de disparition du risque d’éviction de l’acheteur avant toute action en nullité, doit s’étendre au sous-acquéreur échappant, au cours d’instance en nullité, au même risque d’éviction. Dans cette perspective, la troisième chambre civile rappelle que l’article 1599 du Code civil « ne tend qu’à protéger l’acquéreur, qui a donc, seul, qualité pour l’invoquer » (pt 7, citant not., Civ. 3e, 9 mars 2005, n° 03-14.916, à l’exclusion du vendeur, ainsi que du véritable propriétaire, qui ne dispose que d’une action en revendication). Cette protection exclusive de l’acquéreur par la nullité relative consacrée en sa faveur explique que seul le risque d’éviction de l’acheteur commande la portée de la nullité pour vente de la chose d’autrui, notamment pour délimiter l’étendue de sa faculté de couverture. Dans cette perspective, la Cour précise qu’en cas de disparition du risque d’éviction avant l’action en nullité, la nullité de la vente de la chose d’autrui est couverte puisque le risque pour l’acheteur d’être évincé par le véritable propriétaire du bien ayant été écarté, son besoin de protection ne se justifie plus et partant, l’annulation non plus. Reste toutefois à résoudre le problème précis identifié par le pourvoi d’une régularisation au cours de l’action en nullité. Pour justifier l’annulation demandée, les demandeurs arguaient que la régularisation de la vente du 10 mai 1990, opérée durant l’instance en cours par un acte en date de 2017, était postérieure à l’assignation introductive de 2010. La Cour de cassation se trouvait donc face à l’alternative suivante : soit unifier le régime juridique de la nullité de la vente de la chose d’autrui de façon à l’appliquer en toutes circonstances, que la cause de nullité soit couverte avant l’assignation introductive ou pendant l’instance en nullité ; soit opter pour un régime différencié selon chacune de ces situations, ce qui reviendrait à établir une différence entre le régime de la disparition du risque d’éviction avant l’enrôlement de l’assignation introductive en nullité de la vente de la chose d’autrui et cette même disparition au cours de l’instance en nullité. C’est la première branche de l’alternative que la Cour choisit d’adopter en refusant d’admettre la possibilité pour le sous-acquéreur d’obtenir la nullité de la vente de la chose d’autrui en cas de régularisation pendant l’instance : « le fondement de la nullité de la vente de la chose d’autrui résidant exclusivement dans la nécessité de protéger l’acquéreur d’un risque d’éviction, elle ne peut être prononcée lorsque, la régularisation de la vente principale étant intervenue en cours d’instance, tout risque d’éviction du sous-acquéreur a disparu au jour où le juge statue » (pt 10). On retrouve ainsi la motivation fondée sur la disparition du risque d’éviction, qui justifiait les solutions déjà retenues en cas de disparition antérieure à l’assignation introductive (v. not., cité par l’arrêt commenté, Com. 5 nov. 2002, n° 00-14.885). Sur un plan temporel, l’essentiel tient donc dans le fait que la vente ait été régularisée au jour où le juge rend sa décision.
En pareille situation, la nullité n’est donc plus ouverte au nouvel acquéreur, même au cas où ce dernier aurait subi un risque d’éviction pendant une partie du procès en nullité qu’il a diligenté. La sécurité des opérations régularisées en cours d’instance l’emporte ainsi sur la volonté de protéger à tout prix le sous-acquéreur.
Références :
■ Civ. 3e, 9 mars 2005, n° 03-14.916 : D. 2005. 919 ; AJDI 2005. 859, obs. F. Cohet-Cordey
■ Com. 5 nov. 2002, n° 00-14.885 : D. 2003. 70, obs. E. Chevrier ; RTD com. 2003. 58, obs. B. Saintourens
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