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[ 19 février 2015 ] Imprimer

Droit des obligations

Vente d’immeuble : perte de chance du vendeur en cas d’erreur du mesureur professionnel

Mots-clefs : Vente, Lots de copropriété, Garantie de superficie, Erreur de mesurage, Loi Carrez, Diminution du prix, Préjudice indemnisable (non), Perte de chance

Si la restitution à laquelle le vendeur est tenu en vertu de la loi à la suite de la diminution du prix résultant d’une moindre mesure par rapport à la superficie convenue, ne constitue pas un préjudice indemnisable permettant une action en garantie, le vendeur peut se prévaloir à l’encontre du mesureur ayant réalisé un mesurage erroné, d’une perte de chance de vendre son bien au même prix pour une surface moindre.

La loi Carrez (L. n°96-1107 du 18 déc. 1996) a introduit la notion de garantie de superficie dans la vente de lots de copropriété ou de fraction de lots, ainsi que le droit pour l’acheteur d’agir en nullité ou en diminution du prix en cas d’erreur de métrage. Prévue à l’article 46, alinéa 1er, de la loi n°66-557 du 10 juillet 1965, cette règle rend obligatoire la mention de la superficie dans toute promesse unilatérale de vente ou d’achat, ou tout contrat réalisant ou constatant une vente. Lorsque la superficie réelle est inférieure à celle indiquée sur l’acte, seules les différences de plus d’1/20e peuvent donner lieu à une diminution du prix qui sera proportionnelle à cette différence (L. n°66-557 du 10 juillet 1965, art. 46, al. 7). L’arrêt rapporté constitue une illustration de cette règle et des conséquences qui en découlent pour le vendeur.

En l’espèce, un homme a fait l’acquisition d’un appartement et d’une cave par acte authentique, auquel était annexé une attestation établie par un mesureur professionnel certifiant que la superficie du bien était de 63, 10 m2. Par la suite, l’acquéreur contestant cette mention, un nouveau certificat de mesurage fut établi révélant une superficie de 59, 67 m2, soit une différence de 5, 52 % par rapport à la superficie mentionnée dans l'acte de vente. Conformément à l’article 46 de la loi de 1965, le vendeur a été condamné à restituer une somme au titre de la réduction de prix correspondant à la différence de surface.

La question ici posée à la Cour, objet du pourvoi, était de savoir si le vendeur, qui a supporté les conséquences de l’erreur faite par le professionnel à l’origine de métrage erroné, pouvait obtenir réparation de son préjudice et sur quel fondement.

Selon une jurisprudence constante, le vendeur ne peut rechercher la garantie du mesureur. En effet, la réduction du prix ne constitue « pas un préjudice indemnisable permettant d'accueillir l'appel en garantie du vendeur contre la société qui a procédé au mesurage » (Civ. 3e, 25 oct. 2006 ; Civ. 3e, 12 juin 2014). La Haute juridiction considère que la condamnation du vendeur ne fait que rétablir la situation, à savoir le juste prix auquel le bien aurait dû être vendu. Ainsi, la restitution d’une partie du prix constitue un « droit légal à la restitution de l’indu », l’acquéreur ayant payé des mètres carrés inexistants ( v. P. Capoulade).

Si l’arrêt rapporté confirme cette position, il est toutefois novateur.

Rappelant le caractère non indemnisable de la restitution du prix (« si la restitution, à laquelle le vendeur est tenu en vertu de la loi à la suite de la diminution du prix résultant d'une moindre mesure par rapport à la superficie convenue, ne constitue pas, par elle-même, un préjudice indemnisable permettant une action en garantie »), la troisième chambre civile adopte une position différente de celle de la jurisprudence antérieure. En effet, elle précise que « le vendeur peut se prévaloir à l’encontre du mesureur ayant réalisé un mesurage erroné, d’une perte de chance de vendre son bien au même prix pour une surface moindre ».

Ainsi, l’acquéreur ou un tiers aurait pu accepter d’acheter le bien pour un prix identique, ou sensiblement identique, en fondant sa décision sur d’autres considérations que la surface. La place du prix dans la conclusion du contrat est donc ici soulignée. Le prix revêt-il une exclusive dimension mathématique, détachée de la négociation précontractuelle ? (v. Mestre et Fages). Les stratégies individuelles et considérations personnelles, autres que celles relatives à la surface, ne rentrent-elles pas aussi en ligne de compte ?

La Haute cour semble répondre par l’affirmative en reconnaissant la perte de chance du vendeur. Certaines juridictions avaient déjà retenue cette solution (TGI Nanterre, 8e ch., 16 oct. 2008, : perte de chance retenue sur le fondement de l’article 1147 du Code civil pour manquement à l’obligation de résultat du professionnel). La doctrine n’avait pas aussi manqué de souligner : « du fait de l'erreur du professionnel qui l'a mathématiquement conduit à rembourser une partie du prix, le vendeur a perdu, nous semble-t-il, la chance de conserver un prix qu'il aurait très bien pu obtenir de l'acquéreur, et cette fois-ci de façon valable et irréversible » (v. Mestre et Fages, préc.).

Civ. 3e, 28 janv. 2015, n°13-27.397

Références

■ T. Delesalle, E. Cruvelier, J.-L. Monnot, Marchand de biens, 10e éd., Delmas, 2014.

■ Civ. 3e, 25 oct. 2006, n°05-17.427, RTD civ. 2007. 333, obs. Mestre et Fages.

■ Civ. 3e, 12 juin 2014, n°13-11.176.

 Civ. 3e, 5 déc. 2007, n° 06-19.676, D. 2008. 2690, obs. Capoulade.

 TGI Nanterre, 8e ch., 16 oct. 2008, n° 06/12559.

■ Article 46 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis

« Toute promesse unilatérale de vente ou d'achat, tout contrat réalisant ou constatant la vente d'un lot ou d'une fraction de lot mentionne la superficie de la partie privative de ce lot ou de cette fraction de lot. La nullité de l'acte peut être invoquée sur le fondement de l'absence de toute mention de superficie.

Cette superficie est définie par le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article 47.

Les dispositions du premier alinéa ci-dessus ne sont pas applicables aux caves, garages, emplacements de stationnement ni aux lots ou fractions de lots d'une superficie inférieure à un seuil fixé par le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article 47.

Le bénéficiaire en cas de promesse de vente, le promettant en cas de promesse d'achat ou l'acquéreur peut intenter l'action en nullité, au plus tard à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de l'acte authentique constatant la réalisation de la vente.

La signature de l'acte authentique constatant la réalisation de la vente mentionnant la superficie de la partie privative du lot ou de la fraction de lot entraîne la déchéance du droit à engager ou à poursuivre une action en nullité de la promesse ou du contrat qui l'a précédé, fondée sur l'absence de mention de cette superficie.

Si la superficie est supérieure à celle exprimée dans l'acte, l'excédent de mesure ne donne lieu à aucun supplément de prix.

Si la superficie est inférieure de plus d'un vingtième à celle exprimée dans l'acte, le vendeur, à la demande de l'acquéreur, supporte une diminution du prix proportionnelle à la moindre mesure.

L'action en diminution du prix doit être intentée par l'acquéreur dans un délai d'un an à compter de l'acte authentique constatant la réalisation de la vente, à peine de déchéance. »

■ Article 1147 du Code civil

« Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »

 

Auteur :M. Y.

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