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Droit des obligations
Vente sous condition suspensive de prêt : l'obtention d'un prêt inférieur au montant maximal prévu n'entraîne pas la caducité de la promesse
Les contrats légalement formés tenant lieu de loi à ceux qui les ont conclus, un prêt accordé à un montant inférieur au montant maximal prévu dans une promesse synallagmatique de vente est conforme aux stipulations contractuelles et oblige le vendeur à réitérer la vente par acte authentique.
Civ. 1re, 14 janv. 2021, n° 20-11.224
Par acte sous seing privé du 4 novembre 2016, un propriétaire avait signé avec un couple une promesse synallagmatique de vente d’une maison d’habitation sous la condition suspensive de l’obtention d’un prêt principal d’un montant maximum de 725 000 euros, dont 260 000 euros au titre d’un prêt-relais, la réitération de la vente par acte authentique devait intervenir le 3 février 2017.
Le 16 décembre 2016, la banque avait envoyé aux acquéreurs un courriel les informant de l’acceptation de leur demande de prêt. Le 16 janvier 2017, le vendeur avait sommé les acquéreurs par LRAR, reçue le 19 janvier 2017, d’avoir à justifier de l’obtention ou non de leur prêt. Quatre jours plus tard, les époux lui avaient répondu l’avoir obtenu mais que les offres restaient en cours d’édition et qu’un déblocage des fonds était prévu aux alentours du 10 février suivant. Une offre de prêt avait finalement été émise par la banque le 24 janvier 2017 pour un montant de 539 000 euros, envoyée par courriel, trois jours plus tard, au notaire du vendeur. Le 7 février 2017, considérant que les acquéreurs n’avaient pas justifié de l’obtention de la totalité des prêts, le vendeur leur avait notifié sa renonciation à poursuivre l’exécution de la vente. Le 23 février 2017, les bénéficiaires de la promesse avaient assigné le vendeur en perfection de la vente et en paiement de la clause pénale. Reconventionnellement, le vendeur avait sollicité le constat de la caducité de la promesse de vente et le paiement du dépôt de garantie.
La cour d’appel déclara la promesse de vente caduque et rejeta leur demande au titre de la clause pénale. Devant la Cour de cassation, les acquéreurs invoquaient la règle selon laquelle le juge doit respecter la loi des parties. Or, la promesse de vente ayant expressément prévu leur intention de recourir, pour s’acquitter du paiement total du prix de vente, à un prêt d’un « montant maximum » de 725 000 euros, dont 260 000 euros de crédit-relais, les demandeurs au pourvoi estimaient avoir justifié, dans le délai de mise en demeure qui leur avait été adressée par le vendeur, avoir obtenu le prêt contractuellement exigé, matérialisé par une offre de la banque, en date du 24 janvier 2017, d’un crédit d’un montant de 539 900 euros. Si l’infériorité du montant du prêt obtenu au montant « maximum » stipulé dans la promesse pouvait justifier la déception du vendeur, elle ne pouvait en revanche justifier la caducité de la promesse, le prêt accordé par une banque à un montant inférieur au montant maximal prévu dans la promesse restant conforme aux stipulations contractuelles.
La Cour de cassation adhère à la thèse du pourvoi. Au visa de l’article 1103 du Code civil, selon lequel « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits », la Cour de cassation désapprouve la cour d’appel d’avoir retenu que les acquéreurs n’avaient pas justifié de la réalisation de la condition suspensive dans les termes contractuels pour prononcer la caducité de la promesse : « En statuant ainsi, alors qu’un prêt accordé à un montant inférieur au montant maximal prévu est conforme aux stipulations contractuelles, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Rappelons qu’une vente conclue sous condition suspensive produit ses effets uniquement lors de la survenance de l’événement érigé en condition.
En effet, la condition est suspensive lorsqu’elle soumet la naissance même de l’obligation à la réalisation d’un événement futur et incertain (C. civ., art. 1304, al. 2). Tant que la condition, pendante, n’est pas dénouée, l’obligation n’existe donc pas encore. Aussi bien, si une vente est conclue sous la condition suspensive d’obtention d’un prêt, l’acheteur n’est pas, dans l’attente de la réponse de la banque, tenu de payer le prix et par symétrie, le vendeur n’a pas encore à livrer la chose. En cas de non-réalisation de cette condition, cette défaillance conduit à considérer l’obligation comme n’ayant jamais existé (C. civ., art. 1304-6, al.3). Elle devient pure et simple, a contrario, en cas et à la date d’accomplissement de celle-ci. Pour poursuivre l’exemple induit par l’espèce d’une vente conclue sous la condition suspensive de l’obtention d’un prêt, la vente sera réputée conclue au jour où le prêt sera octroyé, correspondant au jour du dénouement de la condition.
Rapportées aux promesses de vente et au cas d’espèce, ces règles impliquent que la défaillance, même partielle (lorsque l’intégralité du prêt n’est pas obtenue), de la condition suspensive emporte la caducité de la promesse et le droit du promettant, consécutif à cet effet, de renoncer à parfaire la vente à la finalisation de laquelle il s’était pourtant engagé.
Ces effets invitent alors le bénéficiaire de la promesse, en sa qualité d’emprunteur, à faire preuve de diligence pour obtenir le financement de la vente dans les délais prévus et selon les termes du contrat de promesse. Ainsi lui incombe-t-il, notamment, de solliciter un prêt conforme aux stipulations contractuelles (v. pour une dernière application, Civ. 3e, 13 févr. 2020, n° 19-12.240). L’emprunteur doit alors rapporter la preuve d’avoir orienté ses démarches en ce sens : « Il appartient à l’emprunteur de démontrer qu’il a sollicité un prêt conforme aux caractéristiques définies dans la promesse de vente », Civ. 1re, 9 févr. 1999, n° 97-10.195). Par un arrêt de principe, la Cour de cassation a toutefois admis que la condition suspensive d’obtention d’un prêt est réputée réalisée dès la présentation par un organisme de crédit d’une offre régulière correspondant aux caractéristiques du financement de l’opération stipulées par l’emprunteur dans l’acte (Civ. 1re, 9 déc. 1992, n° 91-12.498).
En l’espèce, celle-ci avait eu lieu le 24 janvier 2017, et transférée par courriel à la banque trois jours plus tard. L’existence de cette offre de prêt devait alors conduire à considérer la condition suspensive réalisée et la vente promise définitivement conclue (Civ. 3e, 7 nov. 2007, n° 06-11.750, les juges ayant induit de la production par les acquéreurs de documents justifiant l'accord de la banque pour un prêt conforme aux montants et aux conditions prévues à la promesse l'existence d'une offre de prêt emportant réalisation de la condition suspensive). La conclusion inverse ayant été retenue au fond, la discussion portait alors sur le point de savoir si l’obtention par l’acquéreur d’un prêt d’un montant inférieur au montant maximum stipulé dans la promesse remettait en cause la conformité du crédit obtenu aux stipulations contractuelles. S’étant appuyé sur cet argument pour opposer aux acquéreurs son refus de réitérer la vente, le promettant l’avait à nouveau exploité, avec succès, en cause d’appel : selon le défendeur, les bénéficiaires ne prouvaient pas avoir obtenu de la banque le financement optimum de 725 000 euros stipulée dans le compromis. Or, celui-ci indiquait précisément que ce chiffre représentait le « maximum » du montant du prêt à obtenir.
« Maximum » : loin d’être anodin, ce terme est au cœur de la décision de la Cour de cassation de censurer l’arrêt des juges du fond lesquels ont, au mépris des termes du contrat, débouté les acquéreurs de leur demande en perfection de la vente. De cette décision ressort ainsi, pratiquement, l’enseignement suivant : le fait que l'acquéreur obtienne un crédit d'un montant inférieur au montant maximal stipulé suffit pour que la condition suspensive soit jugée remplie et le compromis de vente, effectif et promis à être régularisé devant notaire.
Cette décision en appelle alors à la double vigilance du juge et des parties au contrat : le premier doit, en vertu de la force obligatoire du contrat, veiller au respect des termes précisément employés dans la loi des parties ; les seconds sont, en rapport avec l’obligation incombant au premier, invités à prêter une attention toute particulière à la rédaction des clauses relatives non seulement au montant, mais également à la durée ou aux taux d’intérêt du prêt érigé en condition de la promesse de vente conditionnelle (Civ. 3e, 13 févr. 2020, préc. ; Civ. 3e, 19 janv. 2017, n° 15-17.145 : Solliciter un prêt d’une durée plus longue et à un taux plus élevé que prévu est fautif ). La portée de la formulation choisie pour définir les contours du financement de la vente est ici rappelée en faveur de l’acquéreur au motif explicite de son respect des termes du compromis mais également au motif, plus implicite, que ce dernier avait agi avec la célérité et la diligence nécessaires pour obtenir effectivement le financement convenu, quoique inférieur à celui optimal stipulé dans le compromis. C’est ainsi que dans une affaire proche de celle ici commentée, la Cour de cassation avait autrement jugé, pour obliger le bénéficiaire d’une promesse de vente à restituer au promettant le montant de l’indemnité d’immobilisation, que la demande d’un prêt d’un montant « inférieur au montant total du financement prévu dans la promesse », avait rendu « plus difficile l’obtention du crédit », puisque la banque avait exigé un apport personnel, et qu’en outre, le bénéficiaire « ne démontrait pas avoir accompli les diligences nécessaires pour obtenir un prêt conforme aux spécifications contractuelles » (Civ. 3e, 24 nov. 2016, n° 13-21.029). Si l’on confronte cette solution à celle ici rendue, on observe que la précédente évoque un montant « total » du prêt quand celle rapportée relève un montant « maximum », ce qui implique que le comportement de l’emprunteur soit fautif dans le premier cas, irréprochable dans le second. Leur combinaison permet encore une fois de souligner l’importance des termes contractuels choisis : « total » renvoie à un montant à obtenir impérativement, « maximum » renvoie à un montant à obtenir idéalement. C’est pourquoi en l’espèce, le vendeur s’est vu opposer par la Cour de cassation son impossibilité de refuser la vente promise au motif que le crédit accordé, même en-deçà du maximum escompté, restait conforme à la lettre du contrat.
De surcroît, la demande de prêt avait été présentée en temps utile et il n’était pas contesté que les acquéreurs aient sollicité la banque pour l’octroi d’un prêt d’un montant supérieur à celui finalement obtenu (la Cour parle d’ailleurs du montant du prêt qui le leur avait été « accordé »), afin que le prêt puisse couvrir le montant total de l’acquisition. Ainsi les acquéreurs avaient-ils agi avec la diligence requise en sorte de voir la condition accomplie dans le respect des termes du compromis (v. contra, Civ. 3e, 11 juill. 2005, n° 03-17.898, pour une demande de prêt présentée hors délai et pour un montant supérieur à celui mentionné dans la promesse, l’emprunteur ayant ainsi agi en sorte d’empêcher l’accomplissement de la condition suspensive d’obtention d’un prêt). Le confirme d’ailleurs le motif avancé pour refuser au vendeur la conservation du dépôt de garantie. La promesse de vente stipulait en effet que le dépôt de garantie ne resterait acquis au vendeur, par application de la clause pénale stipulée à l’acte, que si le défaut de réalisation d’une des conditions suspensives était dû à la responsabilité de l’acquéreur. Or outre celle relative à l’obtention du prêt, une autre condition suspensive, tenant à l’information du vendeur, dans les délais contractuellement prévu, du prêt obtenu, est elle jugée par la Cour comme également réalisée.
La diligence des emprunteurs pour obtenir le prêt convenu dans les délais prévus et selon les termes du contrat obligeait alors le vendeur, même insatisfait du montant obtenu, à conclure la vente.
Références :
■ Fiche d’orientation Dalloz : Condition (obligation conditionnelle)
■ Civ. 3e, 13 févr. 2020, n° 19-12.240: AJDI 2020. 706
■ Civ. 1re, 9 févr. 1999, n° 97-10.195 P: D. 1999. 59 ; RDI 1999. 274, obs. J.-C. Groslière ; ibid. 292, obs. H. Heugas-Darraspen
■ Civ. 1re, 9 déc. 1992, n° 91-12.498 P: D. 1993. 210, obs. A. Penneau ; RDI 1993. 305, étude F. Steinmetz
■ Civ. 3e, 7 nov. 2007, n° 06-11.750 P: D. 2007. 3002 ; ibid. 2008. 1224, chron. A.-C. Monge et F. Nési ; RDI 2008. 262, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD com. 2008. 157, obs. D. Legeais
■ Civ. 3e, 19 janv. 2017, n° 15-17.145: AJDI 2017. 225
■ Civ. 3e, 24 nov. 2016, n° 13-21.029: AJDI 2017. 225
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