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Droit de la consommation
Vente sur Internet : un contrat sans risque pour le consommateur
Dans le cadre d’une vente à distance, le transfert des risques au consommateur a lieu au moment de la livraison, par laquelle ce dernier ou un tiers désigné prend physiquement possession du bien vendu.
Civ. 1re, 3 févr. 2021, n° 19-21.046
Alors qu’en droit commun de la vente, le transfert de propriété et, corrélativement, celui des risques, s’opère au jour de la conclusion du contrat (C. civ., art. 1196), le droit de la consommation prévoit une règle dérogatoire en faveur du consommateur contractant à distance. En effet, l’article L. 216-4 du Code de la consommation, issu de la loi « Hamon » n° 2014-344 du 17 mars 2014, dispose que « tout risque de perte ou d'endommagement des biens est transféré au consommateur au moment où ce dernier ou un tiers désigné par lui, et autre que le transporteur proposé par le professionnel, prend physiquement possession de ces biens ». Ce texte crée ainsi une dissociation entre le transfert de la propriété et celui des risques qu’il n’est possible de réaliser, sur le fondement du droit commun des contrats, que dans la mesure où les parties l’ont convenu, notamment en retardant la date du transfert de propriété. Sur le terrain spécialement protecteur du droit de la consommation, seule la livraison du bien, entendue comme sa prise de possession physique par l’acheteur, opère ce transfert des risques. La règle est d’ordre public : aucune stipulation contractuelle contraire ne permet donc d’y déroger (C. consom., art. L. 216-6https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=CCIV173100). L’adage res perit domino est ainsi impérativement écarté au profit de l’adage res perit debitori.
Tel est l’enseignement essentiel de l’arrêt rapporté, alors qu’était en cause un contrat de vente de produits achetés sur Internet qui, perdus durant leur transport, n’avaient pu être livrés au consommateur. Inopérant, le motif retenu par les premiers juges pour refuser d’engager la responsabilité du vendeur demandée par l’acquéreur est censuré par la Cour : peu importait que le transporteur eût indemnisé le consommateur ou que l’acheteur ne rapportât pas la preuve d’un manquement du vendeur à ses obligations, dès lors « (…) qu’il résultait de ses constatations que l’acheteur n’avait pas pris physiquement possession des biens achetés sur Internet ».
Sur un plan factuel, la motivation du tribunal se comprenait, l’absence de réception du colis ne pouvant être reprochée au vendeur mais au transporteur qui l’avait perdu. Toutefois, l’acquéreur avait naturellement dirigé son action contre le vendeur, en sa qualité de cocontractant, sur lequel pèse le risque de la perte du bien, quand bien même celle-ci serait due à la défaillance du transporteur. Autrement dit, le vendeur reste tenu des risques de perte de la chose, depuis le moment de son transport jusqu’à la livraison effective du bien vendu. Cette notion de livraison se trouvait donc alors au cœur de la discussion. Nul n’ignore la distinction opérée en droit des contrats spéciaux entre la délivrance et la livraison : la première s’effectue par le dessaisissement et la mise à disposition du bien, la seconde par la remise effective de la chose entre les mains de l’acquéreur (Ph. le Tourneau [sous la dir. de], Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2021, n° 336.61). En droit de la vente à distance, la livraison s’entend de la prise de possession physique, c’est-à-dire matérielle, de l’objet vendu (C. consom., art. L. 216-1 et 4). Cela étant, en l’espèce, la difficulté ne résidait pas dans l’application de ce distinguo théorique : le colis ayant été perdu, l’acquéreur n’avait pu en aucun cas, et de n’importe quelle manière, s’en saisir. Le problème provenait plus spécialement du mode de livraison convenu entre les parties : une livraison sans signature. Le vendeur avait alors tenté d’exploiter cette stipulation pour soutenir que le colis avait bien été livré à l’adresse indiquée. Cependant, le transporteur ayant admis sa défaillance par l’indemnisation forfaitaire octroyée à l’acquéreur, la cause était entendue et perdue pour le vendeur qui ne pouvait, dans ces circonstances, échapper au risque de la perte de la chose pesant sur lui. Il est toutefois intéressant de relever que le conflit aurait certainement pris un autre tour si le transporteur avait, dans le même sens que son cocontractant, soutenu que le colis avait bien été livré. Sur ce point, il est également important de préciser que l’article L. 216-4 du Code de la consommation n’est applicable que lorsque le vendeur choisit lui-même le transporteur (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, 2020, p. 271, n° 235). Toute autre aurait donc été la solution si le consommateur avait choisi d’avoir recours à un transporteur autre que celui du vendeur : le transfert des risques se serait alors effectué par la remise du bien au transporteur (C. consom., art. L. 216-5).
En tout état de cause, on comprend que la solution retenue en droit de la consommation est évidemment favorable au consommateur, surtout si on la compare à celle retenue par la théorie générale du contrat qui par la «concomitance du transfert de propriété et du transfert des risques» qu’elle instaure (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 488, n° 536), augmente naturellement les cas dans lesquels les risques, transférés solo consensu en même temps que la propriété, pèseront sur l’acheteur. Sous l’angle de la ratio legis, cette divergence ne mérite pas d’être contestée, la finalité poursuivie par la disposition considérée résultant de la transposition d’une directive européenne du 25 octobre 2011 qui avait précisément pour but d’unifier le degré de protection dans les ventes à distance (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, op. cit. p. 271, n° 235). Le rappel de la teneur et de la portée de l’article L. 216-4 du Code de la consommation auquel procède ici la Cour est parfaitement conforme à la politique juridique poursuivie : la protection du consommateur, a fortiori lorsqu’il contracte à distance, justifie de déroger au droit commun et de respecter le primat légal de l’adage res perit debitori spécialement prévu au profit de l’acquéreur.
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