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[ 6 mars 2020 ] Imprimer

Droit des obligations

Vice caché : le prix du bien acquis est sans incidence sur la réparation du vice causé

L’action exclusivement indemnitaire engagée en réparation d’un vice caché peut, sans méconnaître le principe de la réparation intégrale, donner lieu à l’octroi de dommages-intérêts dont le montant excède la valeur de la chose ou le montant du prix de la vente.

Un particulier avait vendu à un couple une maison d’habitation au prix de 98 000 euros.

À la suite de l’apparition de certains désordres et après expertise, les acheteurs avaient assigné le vendeur en indemnisation, sur le fondement de la garantie des vices cachés. Considérant que la réparation du bien vicié ne pourrait être obtenue autrement que par sa démolition et par sa reconstruction, la cour d’appel, saisie sur renvoi après cassation (Civ. 3e, 14 déc. 2017, n° 16-24.170), fit correspondre le montant des indemnités allouées aux acheteurs au coût estimé des travaux de démolition et de reconstruction, soit 129 931 euros. 

A l’appui de son pourvoi en cassation, le vendeur faisait grief à la cour d’appel d’avoir méconnu le principe de la réparation intégrale du préjudice, qui doit être mis en œuvre sans perte ni profit pour la victime, reprochant aux juges du fond d’avoir injustement enrichi les acheteurs du fait du montant des indemnités accordées qui, quoique destinées à mettre fin aux vices cachés constatés, avaient eu indirectement pour effet de leur permettre, par une rénovation complète du bien qu’ils avaient choisi de conserver, de profiter d’un bien entièrement neuf pour le prix d’un bien ancien, dégradé et vétuste qu’ils avaient, vices mis à part, initialement choisi d’acquérir. 

Aussi le vendeur soutenait-il que les dommages intérêts dus en réparation d’un vice caché ne sauraient avoir pour effet de compenser la différence de valeur du bien vendu au-delà de l’amoindrissement causé par un tel vice, un tel résultat ne pouvant être obtenu qu’à la condition d’avoir engagé une action en réduction du prix ; en sorte que la cour d’appel avait ainsi procédé, au mépris de la règle de la réparation du dommage sans profit pour la victime, à un rééquilibrage injustifié du contrat. Le demandeur au pourvoi précisait enfin qu’il importait peu, à cet égard, que les acheteurs aient fait le choix de ne pas demander la restitution partielle du prix de vente ou, pour le dire autrement, qu’ils aient exercé une seule action indemnitaire, indépendamment de toute autre action susceptible d’être engagée sur le fondement de la garantie des vices cachés, soit en résolution de la vente (action rédhibitoire), soit en diminution du prix (action estimatoire). 

C’est sur ce dernier point que le rejet du pourvoi, prononcé, était encouru. 

Après avoir rappelé qu’il résulte de l’article 1645 du Code civil que le vendeur de mauvaise foi, sachant au moment de la vente les vices de la chose, est tenu d’indemniser l’acheteur, et précisé que ce dernier peut agir en indemnisation indépendamment de toute autre action, rédhibitoire ou estimatoire (Com. 19 juin 2012, n° 11-13.176 ; Civ. 1re, 26 sept. 2012, n° 11-22.399), afin d’obtenir la réparation intégrale de tout préjudice imputable au vice, elle juge qu’en l’espèce, les acheteurs, ayant choisi de conserver le bien sans restitution de tout (action rédhibitoire) ou partie (action estimatoire) du prix de vente et de ne demander au vendeur, dont la mauvaise foi était établie, que la seule indemnisation de leur préjudice, en l’occurrence celui subi par la chose elle-même, détériorée au point d’avoir à être démolie puis reconstruite, la cour d’appel a pu en déduire, sans opérer un rééquilibrage du contrat, que la demande formée par les acquéreurs en paiement du coût des travaux de démolition et de reconstruction devait être accueillie quoique leur montant fût supérieur au prix d’achat du bien, dès lors qu’il « constituait le montant d’indemnisation sur laquelle devait s’exercer la garantie (du vendeur) ». 

En effet, en raison de l’autonomie des actions inhérentes à la garantie des vices cachés (rédhibitoire ou estimatoire) et de l’action en indemnisation propre à la responsabilité civile, fondée sur la faute du vendeur garant des vices cachés, lorsque l’action indemnitaire est engagée indépendamment des autres, soit ni à titre complémentaire ni à titre subsidiaire (v. notam., Civ. 3e, 25 juin 2014, n° 13-17.254), il est indifférent que les dommages intérêts excèdent tel qu’en l’espèce la valeur de la chose ou le montant du prix qu’aurait dû restituer le vendeur dans le cadre d’une action rédhibitoire (Civ. 3e, 8 oct. 1997, n° 95-19.808). La jurisprudence a même admis, conformément à l’indépendance de principe des actions, qu’un vendeur d’ardoises impropres à leur utilisation soit condamné non seulement à la restitution intégrale du prix, en conséquence de la résolution de la vente, mais également au coût de la réfection de la toiture, au titre de l’indemnisation du préjudice subi (Civ. 1re, 6 juill. 1999, n° 97-16.885). En revanche, si l’acquéreur demande l’indemnisation de son préjudice en même temps qu’une restitution partielle du prix, dans le cadre d’une action estimatoire, cette restitution devra être versée en déduction du montant de l’indemnité destinée à compenser la démolition et la reconstruction, la restitution comme l’indemnisation poursuivant le but commun de compenser la perte d’utilité de la chose (v. Civ. 1re, 6 juill. 1999, n° 97-16.885, où pour une maison achetée 98 000 euros, la restitution partielle avait été évaluée à 60 000 euros, tandis que le coût de la démolition et la reconstruction s’élevait à 145 000 euros ; les juges du fond ne pouvaient pas condamner le vendeur à restituer 60 000 euros et à verser 145 000 euros de DI sans méconnaître le principe de la réparation intégrale ; sur ce point, v. P. Puig, Les contrats spéciaux, Dalloz, 2019, 8 éd., n°477 ). Mais contrairement à ce que soutenait l’auteur du pourvoi, cette solution ne vaut que lorsque les deux actions, estimatoire et indemnitaire, sont concurremment exercées, ce qui n’était pas en l’espèce le cas.

Civ. 3e, 30 janv. 2020, n° 19-10.176

Références

■ Civ. 3e, 14 déc. 2017, n° 16-24.170 P: D. 2017. 2534

■ Com. 19 juin 2012, n° 11-13.176 P:  D. 2012. 1737 ; RDI 2012. 519, obs. P. Malinvaud ; ibid. 2014. 112, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2012. 741, obs. P.-Y. Gautier

■ Civ. 1re, 26 sept. 2012, n° 11-22.399 P: D. 2012. 2306 ; RDI 2014. 112, obs. P. Malinvaud

■ Civ. 3e, 25 juin 2014, n° 13-17.254: AJDI 2015. 219, obs. J.-P. Borel ; RTD civ. 2014. 902, obs. P.-Y. Gautier

■ Civ. 3e, 8 oct. 1997, n° 95-19.808 P

■ Civ. 1re, 6 juill. 1999, n° 97-16.885

 

Auteur :Merryl hervieu


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