Actualité > À la une

À la une

[ 15 avril 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Vice caché : précisions sur l’objet de la preuve

La cour d’appel qui juge le vendeur garant des vices cachés de la chose vendue sans préciser en quoi le vice allégué la rendait impropre à l’usage auquel elle était destinée, ou en diminuait tellement le prix que l’acheteur ne l’aurait pas acquise ou alors à moindre prix, prive sa décision de base légale.

Com. 10 mars 2021, n° 19-15.315

À la suite d’une panne du véhicule professionnel qu’elle venait d’acquérir, une société assigne son vendeur ainsi que le vendeur intermédiaire du véhicule en réparation de son préjudice. Déclaré responsable du préjudice subi par son acheteuse, et condamné in solidum avec le vendeur intermédiaire à lui payer certaines sommes, le vendeur originaire se pourvoit en cassation. Au moyen de son pourvoi, il allègue que le désordre litigieux ne rendait pas le véhicule impropre à sa destination, ainsi que cela résultait du rapport d’expertise. Aussi, en se bornant à affirmer que le désordre survenu était en lien direct et certain avec un défaut de conception ou de montage qui lui serait imputable pour en déduire qu’il était tenu au titre de la garantie des vices cachés envers la société acheteuse, sans constater que le vice allégué rendait le véhicule impropre à l’usage auquel il était destiné, ou diminuait celui-ci au point que l’acheteur ne l’aurait pas acquis ou en aurait donné un moindre prix, la cour d’appel aurait privé sa décision de base légale au regard de l’article 1641 du Code civil.

La Haute juridiction accueille le moyen : elle rappelle les termes de l’article précité, disposant que « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus ». Or pour engager la garantie du demandeur au pourvoi, la cour d’appel, après avoir rappelé que le vendeur est tenu de la garantie des vices cachés et le sous-acquéreur, recevable à engager son action contre le vendeur originaire, s’était contentée d’énoncer que le désordre survenu était en lien direct et certain avec un défaut de conception ou de montage imputable au vendeur initial, qui devait donc sa garantie. Mais en se déterminant ainsi, « sans dire en quoi le vice allégué rendait le véhicule impropre à l’usage auquel il était destiné ou en diminuait tellement l’usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquis ou en aurait donné un prix moindre, la cour d’appel a privé sa décision de base légale » : aussi la Cour de cassation casse et annule l’arrêt attaqué.

L’action en garantie des vices cachés est définie aux articles 1641 et suivants du Code civil. Fréquemment engagée, elle n’est cependant pas toujours couronnée de succès car sa mise en œuvre suppose la réunion de multiples conditions cumulatives tenant au vice lui-même :

L’existence d’un vice interne à la chose, c’est-à-dire un vice structurel de conception (ce qui suppose d’identifier la cause exacte du dysfonctionnement) ;

La gravité suffisante du vice pour affecter l’usage habituel de la chose vendue (vice rendant la chose impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminue tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il l’avait connu) ;

L’antériorité du vice à la vente, c’est-à-dire au transfert de la propriété et des risques de la chose, indépendamment de la date de son apparition ;

Le caractère caché du vice, l’apparence du vice au jour de la réception de la chose vendue restant à la charge de l’acquéreur.

La thèse du pourvoi rappelait à juste titre le caractère cumulatif de ces conditions, en l’occurrence des deux premières : en effet, si la garantie suppose, dans un premier temps, la démonstration d’un défaut de la chose, c’est-à-dire d’une défaillance, d’une malfaçon dans sa conception ou d’une anomalie structurelle de la chose, encore faut-il que ce défaut entachant la chose ait pour effet de compromettre l’usage auquel on la destine. 

Le cumul de ces deux éléments de définition s’explique par leur égale importance

Selon une définition conceptuelle, le vice se présente d’abord comme un défaut de conception de la chose, permettant en fait opportunément à la jurisprudence de circonscrire la garantie aux seuls vices internes à la chose vendue. Il ne suffit pas en effet que la chose acquise n’offre pas à l’acheteur entière satisfaction ; encore faut-il que cette déception trouve sa cause dans la chose elle-même, c’est-à-dire sa conception, sa fabrication, ses éléments intrinsèques. 

Ainsi le vendeur n’a-t-il pas à garantir les performances du matériel qu’il vend lorsque celles-ci dépendent de facteurs extérieurs dont il n’a pas la maîtrise (Com. 1er déc. 1992, n° 90-21.804, à propos de la rentabilité économique du matériel vendu). Appliqué au droit commun de la vente, un raisonnement similaire a pu être également observé en matière de cession de parts sociales pour exclure la garantie du cédant en cas d’extranéité du vice allégué des parts cédées : ainsi la révélation d'un passif social grevant une société ne constitue-t-elle pas un vice caché des droits sociaux cédés, ces derniers n’étant pas en eux-mêmes viciés (Com. 4 juin 1996, n° 94-13.047 ; adde, Civ. 3e, 12 janv. 2000 ; n° 97-13.155).

Selon une définition fonctionnelle, le vice se définit également par son effet sur l’usage de la chose. Toujours à l’effet de délimiter l’étendue de la garantie du vendeur, la légitimité de l’insatisfaction de son acheteur doit s’apprécier au regard de la fonction attendue de la chose acquise, sa destination naturelle, l’usage qui pouvait en être normalement escompté. Comme le rappelle la Cour :

Soit la chose est totalement impropre à son usage (téléviseur qui implose, tuiles gélives, système d’alarme complètement inefficace, etc), auquel cas le vice, jugé rédhibitoire, est susceptible de justifier la résolution du contrat ;

Soit le défaut diminue seulement l’usage attendu de la chose et la vente pourra être maintenue mais en contrepartie d’une réduction du prix, par la voie de l’action dite estimatoire (par exemple, un cheval atteint de cécité, une voiture dont la consommation est excessive, ou encore un immeuble dont la toiture-terrasse présente un défaut d’étanchéité provoquant des infiltrations d’eau). 

En tout état de cause, les juges du fond ne peuvent délaisser cette seconde approche fonctionnelle du vice caché pour le caractériser au seul regard de la première, conceptuelle. Ainsi doivent-ils non seulement constater l’existence d’un défaut structurel et interne au bien vendu mais également vérifier que ce défaut rend le bien inutilisable ou, ce qui est plus fréquent, qu’il en diminue nettement l’usage escompté par l’acheteur, sous peine de cassation pour défaut de base légale (v. not. Civ. 3e, 20 avr. 2017, n° 15-24.325 ; Civ. 1re, 26 avr. 2017, n° 16-11.632). C’est précisément ce qui justifie ici la cassation de la décision de la juridiction d’appel, ayant accueilli l’action indemnitaire de l'acheteur alors même que ce dernier n’avait pas rapporté la preuve d'une usure anormale du véhicule le rendant impropre à la destination qui pouvait en être raisonnablement attendue. Les défaillances du système de freinage constatées par un contrôle technique, certes constitutives de défauts de fonctionnement au surplus indécelables au moment de la vente, ne pouvaient pour autant suffire au succès de l’action, dont dépendait la preuve supplémentaire par l'acquéreur que de tels défauts rendaient le véhicule impropre à la circulation (dans le même sens, v. Civ. 1re, 20 mai 2020, n° 19-14.297 ; comp , Civ. 1re, 17 oct. 2018, n° 17-26.358 ; v. aussi le cas où le défaut rend le véhicule dangereux à la circulation, Civ. 1re, 17 oct. 2018, n° 16-19.858).

Références :

■ Com. 1er déc. 1992, n° 90-21.804 P: D. 1993. 238, obs. O. Tournafond ; RTD com. 1993. 560, obs. B. Bouloc

■ Com. 4 juin 1996, n° 94-13.047 P: D. 1996. 176 ; RTD com. 1996. 680, obs. C. Champaud et D. Danet ; ibid. 1997. 111, obs. Y. Reinhard et B. Petit

■ Civ. 3e, 12 janv. 2000, n° 97-13.155 P: D. 2000. 46 ; AJDI 2000. 950 ; ibid. 951, obs. F. Cohet-Cordey ; RDI 2000. 188, obs. J.-C. Groslière

■ Civ. 3e, 20 avr. 2017, n° 15-24.325

■ Civ. 1re, 26 avr. 2017, n° 16-11.632

■ Civ. 1re, 20 mai 2020, n° 19-14.297

■ Civ. 1re, 17 oct. 2018, n° 17-26.358RTD com. 2018. 1009, obs. B. Bouloc

■ Civ. 1re, 17 oct. 2018, n° 16-19.858RTD com. 2018. 1005, obs. B. Bouloc

 

Auteur :Merryl Hervieu


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr