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Vice de violence : précisions sur l’appréciation de l’avantage manifestement excessif
Dans un arrêt rendu le 29 janvier 2025 à propos d’un protocole successoral, la première chambre civile revient sur la notion d’avantage manifestement excessif caractéristique du vice de violence au sens des articles 1141 et 1143 du Code civil.
Civ. 1re, 29 janv.2025, n° 23-21.150
Dans l’arrêt sélectionné, la Cour de cassation précise les contours de la notion de vice de violence telle qu’elle résulte du droit issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (C. civ. art. 1140 s.). C’est en effet à l’aune du droit des obligations et de la théorie des vices du consentement que la première chambre civile vient en l’espèce trancher un litige d’ordre successoral et poursuivre l’œuvre prétorienne de clarification du régime applicable au vice de violence au sein du Code civil (v. déjà, Com. 21 sept. 2022, n° 21-12.218 ; Civ. 2e, 9 déc. 2021, n° 20-10.096).
Les faits à l’origine du pourvoi débutent par la rédaction d’un premier testament olographe daté du 21 février 2014, par lequel sa rédactrice avait institué son neveu et ses deux nièces en qualité de légataires universels. Le 20 septembre 2017, elle avait rédigé un second testament afin de révoquer ses dispositions antérieures. Aux termes de cet acte, sa succession devait se régler selon les règles de dévolution légale. Le 11 décembre de la même année, la testatrice décède. Parents des trois légataires universels désignés en 2014, les frère et sœur de la défunte renoncent à la succession. La validité du testament révocatoire du 20 septembre 2017 est par la suite remise en cause au point qu’une action en nullité est envisagée par les cohéritiers. L’enjeu est de taille : si cette libéralité devait être annulée, il faudrait revenir au testament de 2014 instituant les différents neveux de la testatrice comme légataires universels. Ces derniers décident en conséquence de conclure, le 14 février 2018, un protocole transactionnel en sorte de renoncer à l’annulation du second testament de 2017 et de revenir à une dévolution de la succession par ordre et par degré. En outre, dans cet accord, la cession d’actions de deux sociétés faisant partie de la masse successorale est actée et en sa qualité de président de l’une des deux sociétés en question, le neveu de la défunte s’engage à « rééquilibrer partiellement l’actif net successoral » au profit de ses deux cousines en promettant de verser à chacune 5,845 % de cet actif net. Nonobstant la réalisation de cette cession, des difficultés subsistent sur le règlement de la succession. Les nièces de la défunte décident alors d’assigner leur cousin afin de provoquer le partage et de voir ordonner l’exécution du protocole du 14 février 2018. Or le défendeur leur oppose la nullité de la transaction, motif pris que celle-ci serait entachée du vice de violence au sens des articles 1141 et 1443 du Code civil ; dans cette perspective, il soutient n’avoir consenti à avantager ses cousines à son détriment que sous la menace, proférée par ces dernières le soir de la conclusion du protocole, d’une action en nullité du testament de 2017. Il est en effet acquis que la menace d’une action en justice peut constituer le vice de violence, notamment dans le cas où son auteur cherche par ce biais à obtenir un avantage manifestement excessif, soit sans rapport ou hors de proportion avec l’engagement initial (C. civ., art. 1141 ; v. ant. à l’ord. 2016, Civ. 3e, 17 janv. 1984, n° 82-15.753). En cause d’appel, les juges refusent toutefois de caractériser le vice de violence au motif que l’avantage obtenu par les nièces de la défunte résultant en application de cet accord n’est pas manifestement excessif. Persistant à opposer la nullité du protocole, l’héritier se pourvoit en cassation. Le rejet de son pourvoi permet de tirer plusieurs enseignements sur les éléments d’appréciation du vice de violence au regard du droit issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 telle qu’interprétée par la loi de ratification n° 2018-287 du 20 avril 2018. La Cour de cassation pose sur ce fondement un principe général selon lequel « dans un contrat synallagmatique, l’obtention d’un avantage manifestement excessif au sens des articles 1141 et 1143 du Code civil doit s’apprécier aussi au regard des avantages obtenus par l’autre partie » (pt 8, nous soulignons). Dans un contrat caractérisé par la réciprocité des obligations, la notion d’avantage manifestement excessif suppose logiquement une appréciation globale de l’avantage consenti, par une méthode comparative mettant en perspective ce qui est obtenu par celui qui se prévaut de l’engagement avec ce qui est reçu par celui qui oppose la nullité. Autrement dit, la notion d’excès doit être appréciée par rapport à la contrepartie reçue par celui qui s’en prétend victime. Partant, même disproportionné, un avantage peut ne pas être jugé manifestement excessif dans le cas où le demandeur à la nullité tire lui-même profit de la situation contractuelle. Tel était le cas en l’espèce : les juges du fond avaient en ce sens observé que le protocole d’accord n’était pas seulement avantageux pour les deux nièces mais qu’il l’était également pour leur cousin excipant de sa nullité ; en effet, après avoir versé 2 354 912,82 € à chacune d’elles, le cohéritier a pu lui-même obtenir 13 913 564 € là où il n’aurait eu droit, en cas d’annulation du testament, qu’à la somme nettement inférieure de 10 155 590 € (pt 9). Au cœur de la méthode choisie par la première chambre civile, la comparaison des avantages obtenus par l’ensemble des parties au protocole devait en l’espèce conduire à exclure l’octroi d’un avantage manifestement excessif aux nièces de la défunte, et à écarter ainsi le vice de violence allégué par son neveu. En somme, malgré l’existence d’un avantage certain pour les demanderesses initiales à l’action en partage, le défendeur opposant la nullité ne réunissait pas les conditions nécessaires pour admettre que l’on avait abusé de sa dépendance par la menace d’une voie de droit au sens des articles 1141 et 1143 du Code civil. Adoptant une appréciation étroite de la notion d’avantage manifestement excessif, la Cour de cassation entend ainsi préserver la force obligatoire des conventions et, lorsque celles-ci ont pour objet le règlement d’une succession, aplanir les difficultés inhérentes à ce type d’opérations.
Références :
■ Com. 21 sept. 2022, n° 21-12.218
■ Civ. 2e, 9 déc. 2021, n° 20-10.096 : D. 2022. 384, note G. Chantepie ; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; Just. & cass. 2022. 221, rapp. F. Besson ; ibid. 228, avis S. Grignon Dumoulin ; AJ fam. 2022. 8, obs. F. Eudier ; RTD civ. 2022. 121, obs. H. Barbier
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