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Droit des obligations
Vices cachés et point de départ de la prescription commerciale : l’appel à l’unité
À rebours de l’orthodoxie d’application, par la première chambre civile et par la chambre commerciale, des règles relatives à la prescription de l’action récursoire en garantie des vices cachés, la troisième chambre civile juge qu’au nom du droit à un procès équitable, le bref délai de l’action récursoire exercée par l’entrepreneur à l’encontre de son vendeur et du fabricant ne court pas à compter de la vente mais du jour où il est lui-même assigné en responsabilité, le délai quinquennal de prescription étant suspendu jusqu’à cette date.
Civ. 3e, 16 févr. 2022, n° 20-19.047 B
Nul n’a un droit acquis à une jurisprudence figée. Pourrait-on a minima faire-valoir un droit à son unité ? À la question des règles de prescription de l’action récursoire en garantie des vices cachés, la jurisprudence se montre divisée. L’arrêt rapporté signe la persistance de cette division observée depuis quelques années en cas de vente commerciale, au sujet particulier de l’action en garantie de l’entrepreneur contre le vendeur initial d’un bien affecté d’un vice caché au préjudice du maître de l’ouvrage.
En l’espèce, un constructeur avait acheté des matériaux à une société, qui les avait elle-même acquis auprès d’un fabricant. Le constructeur les avait incorporés, en 2004, dans la toiture du maître de l’ouvrage. Par la suite victime d’infiltrations, ce dernier avait, en 2014, assigné en référé son cocontractant puis en 2016, au fond. Le constructeur avait alors appelé en garantie le vendeur et le fabricant des matériaux.
En pareille hypothèse, la jurisprudence dominante fait dépendre la recevabilité de l’action du respect d’un double délai de prescription légalement prévu. Au cas d’espèce de ventes successives et d’action récursoire en garantie d’un revendeur (le constructeur) contre un vendeur antérieur ayant la qualité de commerçant, l’action doit être engagée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice (C. civ., art. 1648), sans jamais pouvoir excéder le délai de cinq ans prévu par l’article L. 110-4 du code de commerce, qui court à compter de la vente initiale, l’action récursoire contre le fabricant ne pouvant offrir à l’acquéreur final plus de droits que ceux qui étaient détenus par le vendeur intermédiaire (Civ. 1re, 6 juin 2018, n° 17-17.438). Ainsi l’action en garantie des vices cachés, « même si elle doit être exercée dans les deux ans de la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription prévu par l’article L.110-4 du code de commerce, qui court à compter de la vente initiale » (Com. 16 janv. 2019, n° 17-21.477). Adoptée par la chambre commerciale comme par la première chambre civile, cette théorie du double délai suppose de distinguer soigneusement le délai de deux ans (processuel), éteignant l’action en garantie, de la durée quinquennale d’existence de la garantie (substantielle), l’enjeu étant que le demandeur à l’action qui ne découvrirait le vice qu’après ce délai quinquennal est en tout état de cause déchu du droit d’invoquer la garantie des vices cachés (Com. 27 nov. 2001, n° 99-13.428).
Dans la même hypothèse, la troisième chambre civile de la Cour de cassation oppose une opinion dissidente, ici réaffirmée sur le fondement nouveau du droit d’accès au juge, composante du droit à un procès équitable (Conv. EDH, art. 6.1) : « Sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, le constructeur dont la responsabilité est ainsi retenue (à l’égard du maître de l’ouvrage) en raison des vices affectant les matériaux qu'il a mis en œuvre pour la réalisation de l'ouvrage, doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale ». Et la Cour d’en déduire ce qu’elle concluait déjà il y a quatre ans, à savoir que le délai dont dispose l’entrepreneur pour agir en garantie des vices cachés contre le vendeur et le fabricant court à compter de la date de l’assignation délivrée contre lui par le maître de l’ouvrage (v. déjà, Civ. 3e, 6 déc. 2018, n° 17-24.111). À l’effet de garantir son droit d’accès au juge, la troisième chambre civile considère que même en présence d’une vente commerciale, l’action récursoire du constructeur, en principe enfermée dans le délai spécial de prescription de l’article L. 110-4 du code de commerce fixant son point de départ à la date de vente, est également engagée sur le fondement du texte général de l’article 1648, qui fait courir l’action à compter du jour de la découverte du vice. L’action ne pouvant donc sur ce fondement commencer à courir avant l’apparition du vice (ici par l’assignation), le délai de la prescription commerciale ne part plus de la vente, mais du jour de l’assignation de l’entrepreneur par le maître de l’ouvrage. En outre, conformément à l’adage contra non valentem (désormais codifié à l’art. 2234 C. civ.), le délai de prescription de l’article L. 110-4 du code de commerce se voit alors suspendu au bénéfice de l’entrepreneur qui, jusqu’à la date de son assignation par son client, se trouve dans l’impossibilité d’agir : « l'entrepreneur ne pouvant pas agir contre le vendeur et le fabricant avant d'avoir été lui même assigné par le maître de l'ouvrage ».
Confirmée par la présente décision, cette solution qui, pour garantir l’effectivité du droit d’agir du demandeur en garantie, réforme les règles légales du double délai présente en outre l’inconvénient pratique de prolonger le temps pendant lequel le vendeur initial risque d’être appelé en garantie. Ne pouvant en principe y être tenu, en matière civile ou commerciale, au-delà d’un délai de cinq ans, le vendeur originaire verrait au contraire, en conséquence de la position adoptée par la troisième chambre civile, sa garantie due sans limite de temps puisque comme le rappelle la Cour, le délai de l’action récursoire offerte à l’entrepreneur est, en conséquence de la fixation de son point de départ à la date de son assignation, « suspendue jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l'ouvrage » (v. déjà, Civ. 3e, 6 déc. 2018, préc.). Ce qui, en l’espèce, a permis au constructeur assigné en référé par le maître de l’ouvrage dès 2014 d’exercer l’action en garantie des vices cachés contre le vendeur originaire (le délai prévu par l’article L. 110-4 du code de commerce étant, à la date des faits litigieux, de dix ans). Sur ce point, la solution rendue par la troisième chambre civile est encore source de confusion : en effet, si en matière civile, le délai de l’article 1648 du code civil est susceptible d’interruption pour une des causes prévues par les articles 2240 à 2248 du même code, principalement en la matière par une citation en référé, il n’est pas susceptible de suspension. Or cette distinction n’est pas neutre : en effet, alors que la suspension de la prescription en arrête temporairement le cours, durant le temps où le créancier se trouve empêché d’agir, sans effacer le délai déjà couru (C. civ., art. 2230), l’interruption du délai a pour autre effet, plus favorable à celui qui pourrait se voir opposer la prescription de son action, d’effacer le délai de prescription acquis et de faire courir un nouveau délai de même durée que l’ancien (C. civ., art. 2231).
Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, la réunion d'une chambre mixte serait souhaitable.
Références :
■ Civ. 1re, 6 juin 2018, n°17-17.438 P : D. 2018. 2166, note C. Grimaldi ; ibid. 2039, chron. C. Barel, S. Canas, V. Le Gall, I. Kloda, S. Vitse, S. Gargoullaud, R. Le Cotty, J. Mouty-Tardieu et C. Roth ; AJ contrat 2018. 377, obs. D. Mainguy ; RTD civ. 2018. 919, obs. P. Jourdain ; ibid. 931, obs. P.-Y. Gautier.
■ Com. 16 janv. 2019, n°17-21.477 P : D. 2019. 124 ; ibid. 1956, obs. L. d'Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; ibid. 2020. 1074, obs. C. Witz et B. Köhler ; AJ contrat 2019. 139, obs. C. Nourissat ; RTD civ. 2019. 294, obs. L. Usunier ; ibid. 358, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 2019. 199, obs. B. Bouloc.
■ Com. 27 nov. 2001, n°99-13.428 P
■ Civ. 3e, 6 déc. 2018, n°17-24.111 : RDI 2019. 163, obs. M. Faure-Abbad.
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