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[ 20 novembre 2023 ] Imprimer

Droit des obligations

Vices cachés : le vendeur qui se comporte comme un constructeur ne peut éluder sa garantie !

Prive sa décision de base légale une cour d'appel qui fait application d'une clause d'exclusion de garantie des vices cachés prévue par l'acte de vente, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la société venderesse avait elle-même réalisé les travaux à l'origine des désordres affectant le bien vendu, de sorte qu'elle s'était comportée en constructeur et devait être présumée avoir connaissance du vice.

Civ. 3e, 19 oct. 2023, n° 22-15.536

Dans l’arrêt sous commentaire, la Cour de cassation devait répondre à la question suivante : une société civile immobilière ayant elle-même réalisé les travaux à l'origine des désordres affectant le bien vendu doit-elle être considérée comme un vendeur professionnel ? À premières vues, la question semble pourtant purement théorique. Il n'en est rien : en effet, le vendeur professionnel est, de lege lata, irréfragablement présumé connaître les vices de la chose qu'il vend. Or un vendeur de mauvaise foi s'expose à deux conséquences majeures : d'une part, l'action indemnitaire de l'article 1645 peut être engagée contre lui ; d'autre part, il ne peut se prévaloir d'une clause limitant ou excluant la garantie des vices cachés. C’est autour de ce dernier point que s’est, en l’espèce, cristallisé le litige.

Une société civile immobilière avait fait réaliser par son gérant, sans faire appel à un professionnel, différents travaux d'extension sur une maison d'habitation. Une fois ces travaux réalisés, la SCI avait vendu la maison. Ayant découvert de nombreux désordres, notamment d’importantes fuites, l'acquéreur avait assigné la SCI venderesse sur le fondement de la garantie des vices cachés. Celle-ci lui avait opposé la clause d'exclusion de garantie stipulée au contrat de vente. Stipulation qui, rappelons-le, ne peut bénéficier qu'au vendeur de bonne foi. En appel, faute de preuve que la venderesse avait eu connaissance du vice affectant l'immeuble, la cour admit de faire application de la clause élusive de la garantie stipulée à son profit, et rejeta la demande de l’acquéreur. Devant la Cour de cassation, ce dernier invoqua la règle prétorienne selon laquelle le vendeur ayant réalisé lui-même les travaux à l'origine d'un vice caché est présumé en avoir eu connaissance à la date de la vente. Adhérant à la thèse du pourvoi, la troisième chambre civile rappelle que le vendeur professionnel, auquel est assimilé le vendeur qui a réalisé lui-même les travaux à l'origine des vices de la chose vendue, est tenu de les connaître et ne peut se prévaloir d'une clause limitative ou, a fortiori, exclusive de la garantie des vices cachés. À cet égard, la Cour précise que cette extension de la présomption de connaissance du vice par le vendeur professionnel à tout professionnel assimilé (constructeur ou maître d’œuvre) résulte d’une jurisprudence constante (Civ. 3e, 26 févr. 1980, n° 78-15.556, Bull. III, n° 47 ; Civ. 3e, 9 févr. 2011, n° 09-71.498, Bull. III, n° 24 ; Civ. 3e, 10 juill. 2013, n° 12-17.149, Bull. III, n° 101). Or pour rejeter les demandes indemnitaires de l'acquéreur, l'arrêt d’appel a retenu que l’acheteur ne rapportait pas la preuve que la SCI avait connaissance du vice caché affectant l'immeuble à la date de sa vente et que celle-ci était donc fondée à lui opposer la clause de non-garantie figurant dans l'acte de vente. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la SCI avait elle-même réalisé les travaux à l'origine des désordres affectant le bien vendu, peu important les changements survenus quant à l'identité de ses associés et gérants, de sorte qu'elle s'était comportée en constructeur et devait être présumée avoir connaissance du vice, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Comme le rappelle la Cour, le vendeur de mauvaise foi, soit celui qui connaissait le vice de la chose au moment de la conclusion du contrat (C. civ., art. 1645), est tenu à la réparation intégrale du dommage subi par l'acquéreur. Ainsi, la mauvaise foi du vendeur prive ipso facto d’efficacité la clause d’exclusion de la garantie des vices cachés éventuellement stipulée au contrat. Le problème fréquent en jurisprudence et qui se posait de nouveau au cas d’espèce consiste à savoir comment rapporter la preuve de la mauvaise foi du vendeur. L’administration de cette preuve varie en fonction de la qualité du vendeur. En effet, lorsque le vendeur a la qualité de professionnel, la preuve de sa mauvaise foi ne pose pas de difficultés à l’acquéreur puisque ce dernier bénéficie de la présomption selon laquelle tout vendeur professionnel est présumé avoir eu connaissance du vice à la date de la vente. Soutenue par une doctrine favorable à la protection maximale de l'acquéreur (V. par ex., L. Josserand, note au DP 1926, 1, p. 9, in fine, citant Pothier. – J. Savatier, note JCP 1963, II, 13159), la jurisprudence a définitivement adopté cette solution par un arrêt en date du 24 novembre 1954, déclarant tenu à la réparation intégrale du dommage subi par l’acheteur « le vendeur qui connaissait les vices de la chose, auquel il convient d'assimiler celui qui, par sa profession, ne pouvait les ignorer » (Civ. 1re, 24 nov. 1954, n° 54-07.171 ; comp. Cass. req., 10 mai 1909, DP 1912, 1, p. 16, l'arrêt se fondant sur la faute du professionnel et non sur sa mauvaise foi, les juges considérant que même s'il ignorait le vice, le vendeur était tout de même en faute dès lors que par sa profession, il était tenu de le connaître, et devait alors indemniser l'acquéreur). Depuis cet arrêt de principe, la jurisprudence assimilant le professionnel à un vendeur de mauvaise foi est parfaitement constante. 

Au contraire, prouver la mauvaise foi du vendeur profane se révèle moins aisé. La preuve est, en principe, à la charge de l'acheteur. Même si ce dernier peut la rapporter par tous moyens, la preuve de la connaissance effective du vice par le vendeur doit ici être rapportée, sa mauvaise foi n’étant pas présumée. C’est en l’espèce ce que la cour d’appel avait exigé de l’acheteur pour refuser de faire droit à sa demande. Considérant qu’il avait échoué à rapporter cette preuve, elle donna alors effet à la clause élusive de la garantie opposée par la venderesse de bonne foi. Or, juge la troisième chambre civile, il n’était pas requis de l'acquéreur qu'il fît la preuve de la connaissance effective par la SCI des vices affectant la chose. Cette connaissance était présumée., son vendeur étant assimilé depuis plusieurs décennies à un vendeur professionnel. Ayant elle-même réalisé, antérieurement à la vente, les travaux à l’origine du vice affectant le bien vendu, la SCI venderesse revêtait, par son comportement, la qualité de constructeur en sorte qu’elle était présumée avoir eu connaissance du vice, ce qui devait avoir pour effet de priver d’efficacité la clause excluant sa garantie (v. Civ. 3e, 4 mai 2016, n° 15-12.429, DAE, 3 juin 2016, note Merryl Hervieu ; adde, Civ. 3e, 19 nov. 2008, n° 07-17.880, cassation d'un arrêt ayant appliqué une clause d'exclusion de garantie en retenant la bonne foi des vendeurs alors que ceux-ci avaient procédé à des réparations importantes de solives attaquées par des insectes xylophages). C’est ce refus d’assimilation de la SCI venderesse, malgré sa réalisation des travaux, à un vendeur professionnel de mauvaise foi, qui justifie la cassation de la décision des juges du fond. 

Il est enfin à noter que la Cour ne prête aucune importance aux "changements survenus quant à l'identité des associés et gérants". La connaissance effective des vices par les gérants et associés actuels de SCI est ainsi dénuée d'incidence. Dit autrement, peu importe que ces derniers n'aient pas eu connaissance du vice. Le seul élément déterminant, en la circonstance, est que la SCI se soit comportée en constructeur. Celle-ci était donc bien de mauvaise foi, peu important d’établir la connaissance effective, par cette personne morale, des vices à réparer. 

Références :

■ Civ. 3e, 26 févr. 1980, n° 78-15.556 

■ Civ. 3e, 9 févr. 2011, n° 09-71.498 D. 2011. 1328, note J.-P. Storck ; ibid. 2012. 1980, obs. H. Groutel

■ Civ. 3e, 10 juill. 2013, n° 12-17.149 : D. 2013. 1834

■ Civ. 1re, 24 nov. 1954, n° 54-07.171 

■ Cass. req., 10 mai 1909, DP 1912, 1, p. 16

■ Civ. 3e, 4 mai 2016, n° 15-12.429 DAE, 3 juin 2016, note Merryl Hervieu, AJDI 2016. 540

■ Civ. 3e, 19 nov. 2008, n° 07-17.880 D. 2008. 3085 ; ibid. 2009. 2448, obs. F. G. Trébulle ; RTD civ. 2009. 115, obs. B. Fages

 

Auteur :Merryl Hervieu


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