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[ 10 mars 2014 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Victimes d’infractions : principe de réparation intégrale

Mots-clefs : Responsabilité civile, Infraction pénale, Victimes d’infractions, Indemnisation, Réparation intégrale

Le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.

Les lois des 3 janvier 1977, 2 février 1981, 8 juillet 1983, 6 juillet 1990, 9 mars 2004 et 1er juillet 2008 ont progressivement défini le champ d'application des articles 706-3 à 706-15-2 du Code de procédure pénale relatifs au recours indemnitaire ouvert à certaines victimes de dommages résultant d'une infraction, dont l’indemnisation est prise en charge par un Fonds de garantie (des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions ; C. pr. pén., art.706-4 à 706-15 et R.50-1 à R.50-28).

Si avant la loi du 6 juillet 1990, la Cour de cassation décidait que l'indemnité que les victimes d'infraction pouvaient obtenir n'avait pas le caractère de dommages-intérêts mais correspondait à un secours apporté par l'État en vertu d'un devoir de solidarité (Civ. 2e, 21 oct. 1987 ; Civ. 2e, 4 janv. 1989), elle estima, par la suite, au contraire, que l'article 706-3 du Code de procédure pénale consacre pour la victime un droit à réparation intégrale, conformément au droit commun (v. avis du 29 sept. 1998). C’est au rappel de ce principe que procède la Cour dans la décision rapportée.

En l’espèce, à la suite d’un accident de la circulation, une victime de blessures involontaires avait saisi les juges du fond de conclusions faisant valoir qu'elle avait dû refuser, en raison de l’altération de son état de santé causée par l'accident, la proposition d'emploi à temps plein faite par son employeur et qu’il convenait, en conséquence, de calculer le montant de son indemnisation sur la base d'un travail à temps plein.

La cour d'appel retint, au contraire, que la victime ne pouvait prétendre à une indemnisation calculée sur le salaire à temps plein qu'elle aurait perçu si l'accident ne s’était pas produit dès lors que, antérieurement à celui-ci, elle travaillait à temps partiel.

Cette analyse est censurée par la chambre criminelle reprochant aux juges du fond, au visa de l’article 1382 du Code civil, de ne pas avoir recherché si la victime n'avait pas été privée de la chance d'occuper un emploi à temps plein par la survenance de l'accident.

Toute personne ayant subi un préjudice né de faits, volontaires ou non, présentant le caractère matériel d'une infraction, peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne lorsque ces faits soit ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnelle égale ou supérieure à un mois, soit sont prévus et réprimés par les articles 222-22 à 222-30, 225-4-1 à 225-4-5 et 227-25 à 227-27 du Code pénal (C. pr. pén., art. 706-3).

Érigé en postulat (v. Civ., 28 oct. 1954 ; Civ. 2e, 21 avr. 2005 ; Civ. 2e, 28 mai 2009 ; Crim. 13 déc. 1995), le principe de droit commun de la réparation intégrale du dommage corporel (ou restitutio in integrum) se trouve également consacré par le dispositif spécial propre à l’indemnisation des victimes d’infractions.

Comme le rappelle ici la Cour, le principe de la réparation intégrale, hérité du régime général de la responsabilité civile, se referme sur la règle « Tout le préjudice, mais rien que le préjudice », qui a elle-même comme corollaire le principe du non-cumul d'indemnisation.

On peut cependant s’interroger sur le maintien effectif de ce second principe, objectivement entamé par les lois du 5 juillet 1985(L. n° 85-677, 5 juill. 1985, art. 31) et du 21 décembre 2006 (L. n° 2006-1640) instituant, en cas de subrogation légale de tiers payeurs, un droit de préférence en faveur de la victime ou ses ayants droit. Grâce à ces deux versants, cette règle de la réparation intégrale du dommage a pour fonction, en l'absence dans notre droit de recours obligatoire à un barème légal et forfaitaire d'évaluation, de sanctionner toute forme d'excès ou d'insuffisance dans la réparation.

Si la réparation doit être intégrale, il s'ensuit, tout d’abord, qu’elle ne doit pas, par le haut, excéder le montant du préjudice dans la mesure où la réparation ne doit pas être une source d'enrichissement pour la victime ou ses ayants droit, quoiqu’en réalité, cette première déclinaison du principe se révèle difficilement vérifiable en matière d'évaluation des préjudices résultant de l'atteinte à l'intégrité physique de la personne. Si la réparation doit être intégrale, il s'ensuit, ensuite et à l’inverse, qu’elle ne doit pas, par le bas, être inférieure, au montant du préjudice.

En somme, l’indemnisation doit réparer tout le dommage né d’une infraction, mais rien que le dommage (v. Ph. Le Tourneau). Puisqu’il s’agit, conformément à la responsabilité délictuelle de droit commun, de replacer la victime dans l’état où elle se trouvait avant la survenance du dommage, l’indemnité doit alors avoir pour mesure le préjudice subi. L’auteur du dommage est donc tenu à la réparation intégrale du préjudice causé à la victime, de telle sorte qu’il ne puisse y avoir, selon l’expression à nouveau consacrée par la Haute cour dans cet arrêt, « ni perte ni profit » pour aucune des parties (v. déjà Civ. 2e, 23 janv.2003).

En l’espèce, l’intégralité de la compensation supposait de prendre en compte, au titre des conséquences patrimoniales du dommage corporel, l’incidence professionnelle de l’accident pour la victime, privée de la chance de solliciter et d’obtenir un emploi à temps plein.

Crim. 18 févr. 2014, n°12-87629

Références

■ Article 706-3 du Code de procédure pénale

« Toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes : 

1° Ces atteintes n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (n° 2000-1257 du 23 décembre 2000) ni de l'article L. 126-1 du code des assurances ni du chapitre Ier de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation et n'ont pas pour origine un acte de chasse ou de destruction des animaux nuisibles ; 

2° Ces faits :

-soit ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois ;

-soit sont prévus et réprimés par les articles 222-22 à 222-30, 224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-5, 225-14-1 et 225-14-2 et 227-25 à 227-27 du code pénal ; 

3° La personne lésée est de nationalité française ou les faits ont été commis sur le territoire national.

La réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime. »

■ Article 1382 du Code civil

« Le présent chapitre est relatif à la procédure européenne de règlement des petits litiges prévue par le règlement (CE) n° 861 / 2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges. 

Lorsque le règlement (CE) n° 44 / 2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale désigne les juridictions d'un État membre sans autre précision, la juridiction territorialement compétente est celle du lieu où demeure le ou l'un des défendeurs. »

■ Civ. 2e, 21 oct. 1987, n°86-14.36685-14.72386.11-548Bull. civ. II, n° 204.

■ Civ. 2e, 4 janv. 1989, n°87-19.274, Bull. civ. II, n° 3.

 Cass., avis, 29 sept. 1998, n°09-80.008, Bull. civ. n° 11 ; RCA 1999, comm. 39.

■ Civ., 28 oct. 1954, JCP G 1957, II, 8765, note J. Mazars.

■ Civ. 2e, 21 avr. 2005, n°04-06.023, Bull. civ. II, n° 112.

 Civ. 2e, 28 mai 2009, n° 08-16.829.

 Crim. 13 déc. 1995, n°95-80.790.

■ Civ. 2e, 23 janv. 2003, n°01-00.200.

 Ph. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats 2012-2013, Dalloz, 2012 n°750 et n°2523.

 

Auteur :M. H.


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