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Procédure pénale
Vidéo surveillance sur la voie publique: seul le juge d’instruction peut décider de jouer à big brother !
Si le juge d’instruction a le pouvoir de faire procéder à une vidéo-surveillance sur la voie publique aux fins de rechercher des preuves des infractions dont il est saisi, à l’encontre des personnes soupçonnées de les avoir commises, une telle ingérence dans la vie privée présentant, par sa nature même, un caractère limité et étant proportionnée au regard de l’objectif poursuivi, il doit résulter des pièces de l’information que la mesure a été mise en place sous le contrôle effectif de ce magistrat et selon les modalités qu’il a autorisées.
A la suite d’un signalement du procureur du Roi de Mons (Belgique) mettant en cause plusieurs ressortissants français utilisant un véhicule de location belge pour effectuer des importations de produits stupéfiants des Pays-Bas vers la France, une enquête préliminaire a été diligentée, suivie de l’ouverture d’une information judiciaire. Dans le cadre des investigations menées, le juge des libertés et de la détention a autorisé puis prolongé l’interception de la ligne téléphonique de deux individus. Par ailleurs, le procureur de la République a autorisé la géolocalisation en temps réel d’un véhicule pour une durée de quinze jours, mesure prolongée par décision du juge des libertés et de la détention. Enfin, en exécution d’une commission rogatoire délivrée par le juge d’instruction, les enquêteurs ont mis en place un dispositif de vidéo-surveillance filmant la voie publique pendant environ deux mois. Interpellés puis mis en examen des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, trois suspects ont déposé des requêtes en nullité concernant tant les écoutes téléphoniques, la géolocalisation du véhicule que l’installation et d’exploitation de la vidéo-surveillance sur la voie publique. Un point commun irrigue leurs demandes d’annulation d’actes de la procédure : l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à la vie privée concernant le contrôle de la pertinence de la surveillance vidéo ou l'absence de la motivation des écoutes téléphoniques ou de la géolocalisation.
L’arrêt rendu par la chambre criminelle le 11 décembre dernier se distingue particulièrement concernant la mesure de vidéo surveillance. Les demandeurs au pourvoi soutenaient qu’une mesure de surveillance secrète par pose, par les enquêteurs de police, d’un système de vidéo-surveillance sur la voie publique constitue une ingérence dans la vie privée qui ne peut être légalement effectuée que dans les conditions prévues par l'article 8, alinéa 2, de la Convention européenne des droits de l'homme. Tel n’est pas le cas en droit positif, selon eux, où il n’existe aucun cadre légal suffisamment précis pour procéder à ladite mesure, contrairement à la « captation d’images dans un lieu privé » prévue à l’article 706-96 du Code de procédure pénale. La mise en œuvre, sur la voie publique, d’un dispositif de vidéo-surveillance en exécution d’une commission rogatoire délivrée sur le fondement de l’article 81 du Code de procédure pénale ne satisfait pas aux qualités de prévisibilité de la loi.
Ce faisant, les demandeurs reprenaient un raisonnement qui avait pu faire ses preuves en matière d’écoutes téléphoniques ou de géolocalisation. Rappelons que les écoutes judiciaires étaient admises par la Cour de cassation sur le fondement notamment de l’article 81, alinéa 1er du Code de procédure pénale, et que la France fut condamnée par la Cour de Strasbourg, en avril 1990 (CEDH 24 avr. 1990, Huvig et Kruslin , n° 11105/84 et 11801/85), non pas pour une absence de loi au sens formel mais parce que la condition de « prévisibilité » n'était pas assurée. De même, aucune disposition du code de procédure pénale ne prévoyait spécialement la possibilité de recourir à la géolocalisation. L’insuffisance d’un tel encadrement juridique s’est trouvée mise à mal par la Cour européenne des droits de l’homme. Cette dernière exige en la matière que cette ingérence dans la vie privée des individus soit prévue par une loi suffisamment précise et qu’elle offre des « garanties adéquates et suffisantes contre les abus » (CEDH 2 sept. 2010, Uzun c/ Allemagne, n° 35623/05). A cet égard, la prévisibilité du droit français pouvait sembler imparfaite.
Au visa des articles 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et 81 du Code de procédure pénale, la chambre criminelle affirme dans un attendu de principe que « si le juge d’instruction tire du second de ces textes, interprété à la lumière du premier, le pouvoir de faire procéder à une vidéo-surveillance sur la voie publique aux fins de rechercher des preuves des infractions dont il est saisi, à l’encontre des personnes soupçonnées de les avoir commises, une telle ingérence dans la vie privée présentant, par sa nature même, un caractère limité et étant proportionnée au regard de l’objectif poursuivi, il doit résulter des pièces de l’information que la mesure a été mise en place sous le contrôle effectif de ce magistrat et selon les modalités qu’il a autorisées ».
Elle note alors que les juges du fond avaient bien relevé que la mesure avait été effectuée sous le contrôle du juge d’instruction et pour un temps limité, qu’elle était nécessaire pour identifier les auteurs des importations et localiser le lieu de stockage des produits stupéfiants et proportionnée à la gravité des infractions objet de l’enquête, mais les censure néanmoins car « il ne résulte d’aucune de ces pièces (de la procédure) que, préalablement à la mise en place de la vidéo surveillance critiquée, le magistrat instructeur ait autorisé les officiers de police judiciaire, auxquels il avait délivré une commission rogatoire rédigée en des termes généraux, à y procéder et qu’il en ait fixé la durée et le périmètre ».
Ce que censure ici la Cour, ce n’est pas le principe du recours à une vidéo-surveillance sur la voie publique fondée sur le texte général de l’article 81 du Code de procédure pénale. Une telle mesure n’est pas contraire à l’article 8 de la Convention européenne, dès lors qu’elle a été expressément et précisément autorisée par le juge d’instruction et non simplement contrôlée par lui. Délivrer, comme en l’espèce, une commission rogatoire aux fins de procéder d'une manière générale « à tous actes utiles à la manifestation de la vérité » revient pour le juge d’instruction à déléguer l’initiative d’une telle mesure sans en fixer les contours et donc à ne pas soumettre ladite mesure à son autorisation.
Enfin, on soulignera que concernant les deux premières nullités soulevées (interception téléphoniques et géolocalisation), les moyens développés sont similaires. Les demandeurs au pourvoi invoquent la nullité tirée du défaut de motivation des décisions ayant ordonné puis prolongé ces mesures. Une telle motivation constituerait une garantie essentielle contre le risque d'une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle et permettrait à l'intéressé de connaître les raisons précises pour lesquelles la mesure puis sa prolongation ont été autorisées. L’argumentation avait peu de chance de prospérer au regard de la jurisprudence antérieure (en matière d’écoutes téléphoniques, V. Crim. 13 oct. 1999, n° 96-80.774, 96-83.874 et 98-80.044 ; Crim. 17 nov. 2015, n° 15-83.437). Dans les deux cas, la chambre criminelle rejette le moyen relatif à l'absence de motivation et refuse d’imposer une telle obligation au magistrat (juge d’instruction ou procureur) qui ordonne la mesure, obligation au demeurant non prévue par les textes, contrairement à ce que prévoit la loi pour la captation de paroles (hors conversation téléphonique) ou d'images, possible en matière de criminalité organisée (C. pr. pén., art. 706-96 qui prévoit une « ordonnance motivée » ).
Crim. 11 décembre 2018, n° 18-82.365
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 8
« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
■ CEDH 24 avr. 1990, Huvig et Kruslin , n° 11105/84 et 11801/85 : RFDA 1991. 101, chron. V. Berger, H. Labayle et F. Sudre ; RSC 1990. 615, obs. L.-E. Pettiti ; D. 1990. 353, note Pradel ; RTD civ. 1991. 292, obs. J. Hauser.
■ CEDH 2 sept. 2010, Uzun c/ Allemagne, n° 35623/05 : Dalloz actualité, 20 sept. 2010, obs. S. Lavric ; D. 2011. 724, obs. S. Lavric, note H. Matsopoulou ; RSC 2011. 217, obs. D. Roets
■ Crim. 13 oct. 1999, n° 96-80.774, 96-83.874 et 98-80.044 P: RSC 2000. 410, obs. J.-F. Renucci ; RTD com. 2000. 477, obs. B. Bouloc ; RSC 2000. 410, obs. J.-F. Renucci ; RTD com. 2000. 477, obs. B. Bouloc
■ Crim. 17 nov. 2015, n° 15-83.437 P: AJ pénal 2016. 217, obs. J. Andréi
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