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Droit pénal général
Viol sur mineur de 15 ans : pas de présomption de non consentement
D’une part la nouvelle définition de la contrainte et de la surprise donnée par l’article 222-22-1 du Code pénal a simple valeur interprétative en ce qu’elle ne redéfinit pas les éléments constitutifs du viol. D’autre part, il n’existe toujours aucune présomption de non consentement pour le mineur de 15 ans en droit français. En revanche, le délit de corruption de mineur ne doit pas (plus) être apprécié en fonction d’un seuil d’âge dans la minorité.
Crim. 17 mars 2021, n° 20-86.318
Une jeune fille informe avoir subi en 2009, alors qu’elle était âgée de 13 et 14 ans, à plusieurs reprises des viols commis par plusieurs pompiers. Une information judiciaire est ouverte en 2011 contre trois de ces hommes pour viols commis en réunion sur mineur de 15 ans et sur personne vulnérable (la plainte initiale concernait un seul fait commis en novembre 2009, la saisine du juge d’instruction a été étendue au gré des révélations – parfois fluctuantes – de la jeune fille).
Par une ordonnance en date du 19 juillet 2019, le juge d’instruction requalifie les faits en atteinte sexuelle commise sans violence, contrainte, menace ou surprise sur mineur de 15 ans commis en réunion et renvoie les trois prévenus devant le tribunal correctionnel. Un non-lieu est prononcé au bénéfice des autres pompiers.
Le 12 novembre 2020, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles confirme l’ordonnance du juge d’instruction. La victime, accompagnée de ses parents et frère (tous constitués partie civile), forme un pourvoi devant la Cour de cassation. Elle conteste principalement la requalification des faits opérée par les juridictions d’instruction, estimant d’une part que la contrainte était caractérisée du fait de l’abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à une relation sexuelle et, d’autre part, que les circonstances aggravantes de vulnérabilité de la victime et d’abus de l’autorité conférée par la fonction de pompier devaient être retenues. Subsidiairement, elle estime que le délit de corruption de mineurs est constitué à l’encontre d’un pompier qui bénéficie d’un non-lieu.
Dans un premier temps, la Cour de cassation rejette les premiers moyens du pourvoi contestant l’opération de requalification des faits en atteinte sexuelle estimant que la chambre de l’instruction a suffisamment et souverainement justifié sa décision concernant l’absence de contrainte : la jeune fille « disposait du discernement nécessaire pour les actes dénoncés auxquels elle a consenti ».
La décision est intéressante pour au moins trois motifs d’intérêts distincts.
■ En raison d’abord du rappel (non surprenant) ainsi effectué quant à l’opération de requalification des faits. La qualification juridique est seulement proposée par le ministère public. Le juge (d’abord d’instruction le cas échéant et/ou de jugement), saisi in rem (c’est-à-dire de faits matériels) peut approuver cette qualification, mais aussi procéder à une disqualification et à une requalification. Il n’est pas lié par la qualification juridique proposée par le parquet si elle lui paraît inappropriée aux faits, à l’instar du présent contentieux où une multitude d’éléments factuels et probants ont conduit à la requalification.
■ En raison ensuite de l’appréciation (non surprenante) portée sur la valeur de l’article 222-22-1 du Code pénal et de l’application dans le temps du texte. La nouvelle définition de la contrainte et de la surprise donnée par la loi dite Schiappa n° 2018-703 du 3 août 2018 a simple valeur interprétative. En conséquence, elle est donc non seulement immédiatement applicable aux faits commis avant son entrée en vigueur non définitivement jugés (comme les faits de l’espèce), mais elle ne dispense pas le juge à caractériser en quoi une agression sexuelle (viol ou autres agressions sexuelles) a été commise avec violence, contrainte, menace ou surprise. Si la contrainte ou la surprise lorsque les faits sont commis sur un mineur de quinze ans, « sont caractérisées par l'abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes » (C. pén., art. 222-22-1, al. 3), la vulnérabilité doit être démontrée, et partant l’absence de discernement également. Le juge d’instruction, puis la chambre de l’instruction ont décidé souverainement que la victime n’était pas vulnérable et qu’elle était douée de discernement (en substance, les crises de tétanie qui ont justifié plus de cent trente interventions des pompiers sont insuffisantes pour caractériser une vulnérabilité chez la victime ; les relations sexuelles s’étant systématiquement déroulées en dehors des interventions professionnelles l’abus d’autorité conférée par la fonction de pompier ne peut pas non plus être retenue). Il en est de même pour la différence d’âge qui peut constituer la contrainte ou la morale (C. pén., art. 222-22-1, al. 2) : elle n’est qu’une conjoncture que le juge doit prendre en compte sans être tenu de considérer qu’elle le contraint à retenir la contrainte ou la surprise : « le [nouveau] texte ne modifie pas les éléments constitutifs de l’infraction (…). Il a pour seul objet de désigner certaines circonstances de fait que le juge doit prendre en compte pour apprécier si, dans le cas d’espèce, les agissements ont été commis avec contrainte ou surprise ». La contrainte et la surprise doivent toujours être appréciées in concreto (c’est-à-dire en tenant compte des particularités de la victime et des circonstances de l’infraction) et ici, bien que les auteurs majeurs avaient tous plus de 22 ans au moment des faits la chambre de l’instruction n’a pas retenu la contrainte ou la surprise.
■ En raison enfin du lien contextuel avec le vote récent par l’Assemblée nationale de la proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste (AN, prop. de loi n° 576, 15 mars 2021) et donc de la tentative (surprenante) d’une réintroduction d’une présomption d’absence de consentement du mineur de 15 ans. Il est envisagé la création d’une nouvelle infraction, « le crime de viol sur mineur de 15 ans », qui serait constituée par toute relation sexuelle entre un majeur et un mineur de 15 ans dès lors qu’il existe une différence d’âge de 5 ans entre eux (certaines situations d’exception seraient retenues). L’idée avait déjà envisagée en 2018 avant d’être abandonnée eu égard au risque d’inconstitutionnalité (instaurer une présomption de non consentement pour le mineur de 15 ans victime revient à instaurer une présomption de culpabilité pour le majeur soupçonné). Non seulement le risque existe toujours (V. CE, avis, 15 mars 2018, n° 394437), mais l’articulation avec le délit d’atteinte sexuel (C. pén., art. 227-25 s.) limiterait tellement le champ d’application de cette infraction que son maintien interrogerait alors.
Dans un second temps, la Cour de cassation opère une censure partielle de la décision de la chambre de l’instruction qui n’a pas recherché « si les personnes incriminées avaient connaissance de ce que la plaignante était âgée de moins de 18 ans » pour justifier qu’il n’y avait pas lieu à renvoyer certains prévenus devant le tribunal correctionnel pour corruption de mineur par l’utilisation d’un réseau de communications électroniques (C. pén., 222-22 s.). En effet, la loi n° 2013-711 du 5 aout 2013 a supprimé la circonstance de 15 ans et la nouvelle version du texte sanctionne la corruption de mineur sans distinction d’âge. Or, la chambre de l’instruction a discuté par erreur de la seule connaissance ou non par les pompiers du seuil de 15 ans. La cassation paraît ainsi sans appel et sans surprise.
Références
■ Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, « Viol », Audrey Darsonville, n° 35 s.
■ « Ceci n’est pas une présomption de non-consentement », Salomé Papillon, AJ pénal 2021. 60
■ « La présomption de non consentement des mineurs victimes d’agressions sexuelles : le retour ? », Laurent Saenko, D. 2020. 528.
■ « Affaire « Julie » ou l’opposition de la chambre criminelle à une présomption de non-consentement en faveur du mineur de 15 ans », Julie Gallois, JCP 29 mars 2021, p. 351.
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