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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Violation du secret de l’instruction par un journaliste
Mots-clefs : Journaliste, Liberté d’expression, Secret de l’instruction, Équité de la procédure, Débat d’intérêt général, Procès équitable
Le secret de l’instruction prime sur le droit à la liberté d’expression d’un journaliste ayant divulgué des informations couvertes par le secret dans une affaire pénale en cours.
Il s’agissait dans l’affaire présentée devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), de la condamnation, en 2005, d’un journaliste suisse à la suite de la publication d’un article relatif à l’affaire d’un automobiliste qui, après avoir soudainement foncé sur des piétons dans la ville de Lausanne, avait tué trois personnes et en avait blessé huit autres. Alors que l’instruction était encore ouverte au moment de la publication de l’article et conformément aux dispositions de droit interne (C. pén. suisse, art. 293), des poursuites pénales à l’encontre du journaliste furent engagées d’office le condamnant au paiement d’une amende de 4 000 francs suisses (environ 2667 €) pour divulgation d’informations et de documents (un résumé des questions des policiers, du juge d’instruction et les réponses de l’automobiliste) couverts par le secret de l’instruction.
Après avoir épuisé les voies de recours internes pour contester sa condamnation en vertu de son droit à la liberté d’expression, le journaliste a introduit une requête devant la CEDH arguant l’article 10, § 1 de la Convention.
Dans un arrêt rendu par la chambre de la Cour le 1er juillet 2014 (CEDH, A. B. c/ Suisse, n° 56925/08), les juges (4 voix contre 3) avaient conclu à la violation du droit à la liberté d’expression du journaliste estimant que les motifs invoqués par les autorités internes pour justifier sa condamnation, certes « pertinents » étaient « insuffisants » pour admettre une telle ingérence à l’exercice de ce droit. La chambre avait jugé à l’époque que l’affaire ayant suscité un vif intérêt auprès des médias et du grand public, celle-ci relevait d’un débat d’intérêt général ne pouvant restreindre le droit à la liberté d’expression du journaliste.
A la demande de la Suisse, l’affaire fut renvoyée devant la grande chambre de la CEDH pour un nouvel examen.
Par son arrêt du 29 mars 2016, la grande chambre va à l’encontre de la décision de la chambre rendue le 1er juillet 2014 en décidant de la non-violation de l’article 10 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme en l’espèce.
La grande chambre de la CEDH admet que l’affaire en question relevait bien d’un débat d’intérêt général, mais elle ne retient, néanmoins, aucune raison de remettre en cause la décision du Tribunal fédéral suisse constatant que l’article journalistique incriminé, en n’apportant aucun éclairage pertinent et utile au débat public, était davantage destiné à « satisfaire plus ou moins une curiosité malsaine sur des détails strictement privés de la vie du prévenu ».
Par ailleurs et s’agissant de l’influence sur la procédure pénale en cours au moment des faits, la grande chambre rappelle, par application jurisprudentielle, qu’il « est légitime de vouloir accorder une protection particulière au secret de l’instruction compte tenu de l’enjeu d’une procédure pénale tant pour l’administration de la justice que pour le droit au respect de la présomption d’innocence des personnes mises en examen» (CEDH 7 juin 2007, Dupuis et a. c/ France, n° 1914/02).
En l’espèce, elle considère que l’article litigieux dressant un portrait « négatif » de la personnalité de l’accusé ainsi que ses réponses apportées aux questions des policiers et du juge d’instruction « comportait en soi un risque d’influer d’une manière ou d’une autre sur la suite de la procédure ». Enfin, les informations divulguées revêtant un caractère strictement personnel, les mesures dissuasives adoptées par les autorités nationales, à savoir la condamnation pénale du journaliste, étaient, selon la Cour, justifiées au regard de la sauvegarde de la vie privée du prévenu.
En procédant ainsi, et une nouvelle fois, à l’examen de la mise en balance entre les intérêts des médias et ceux de la justice auxquels s’ajoute la protection de la vie privée d’un accusé, la CEDH a fondamentalement posé les limites à la liberté d’expression des journalistes violant le secret de l’instruction dans le cadre d’une procédure pénale en cours.
Un arrêt de grande chambre étant définitif, cette nouvelle décision se substitue à l’arrêt de la chambre de la Cour rendu 1er juillet 2014.
CEDH 29 mars 2016, Bédat c/ Suisse, n° 56925/08
Références
■ Code pénal suisse :
Article 293 - Publication de débats officiels secrets
« 1) Celui qui, sans en avoir le droit, aura livré à la publicité tout ou partie des actes, d’une instruction ou des débats d’une autorité qui sont secrets en vertu de la loi ou d’une décision prise par l’autorité dans les limites de sa compétence sera puni des arrêts ou de l’amende.
2) La complicité est punissable.
3) Le juge pourra renoncer à toute peine si le secret livré à la publicité est de peu d’importance. »
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 10 § 1 :
« Liberté d’expression. 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. »
■ CEDH 1er juill. 2014, A. B. c/ Suisse, n° 56925/08.
■ CEDH 7 juin 2007, Dupuis et a. c/ France, n° 1914/02, AJDA 2007. 1918, chron. J.-F. Flauss ; D. 2007. 2506, note J.-P. Marguénaud ; RSC 2007. 563, note J. Francillon.
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