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Droit des obligations
Violence morale et enrichissement sans cause : rappel de notions clés du droit des obligations
Mots-clefs : Civil, Contrats, Vices du consentement, Violence morale, Vente, Annulation, Enrichissement sans cause
La violence, notamment morale, consiste pour le cocontractant de sa victime ou même pour un tiers au contrat, à inspirer à celle-ci la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent l’ayant déterminé à conclure le contrat dont elle demande l’annulation, quoiqu’elle puisse être parallèlement tenue, une fois l’annulation obtenue, à verser à son cocontractant une indemnité au titre de l’enrichissement sans cause.
Par acte notarié du 10 mai 2007, une femme avait vendu sa maison au prix de 30 000 euros à un couple, lequel l’avait ensuite revendue au double du prix.
Par deux actes en date du 18 août et du 1er septembre 2008, la venderesse avait assigné ses propres acheteurs ainsi que les sous-acquéreurs en annulation de la vente et de la revente de sa maison, invoquant un vice de son consentement. Le 20 mai 2010, cette dernière avait, par ailleurs, été placée sous curatelle.
La cour d’appel fit droit à sa demande d’annulation en se fondant, pour retenir la violence justifiant la nullité de l’ensemble des actes de vente, sur la fragilité de son état psychologique et sur le comportement manipulateur de son concubin, sous les pressions duquel elle avait décidé de vendre. Elle refusa en revanche qu’en conséquence de cette annulation fût versée aux revendeurs une indemnité au titre de la plus-value apportée à l’immeuble en raison des travaux qu’ils y avaient effectués.
Les revendeurs formèrent alors un pourvoi en cassation pour contester le rejet de leur demande indemnitaire ainsi que l’annulation des actes de vente, la violence, caractérisée par l'existence d'une crainte d'un mal considérable ayant déterminé sa victime à contracter n’ayant pas, selon eux, été caractérisée par les juges du fond.
Sur ce point, leur pourvoi est rejeté par la Cour de cassation, les juges du fond ayant déduit des attestations versées aux débats le comportement manipulateur du concubin de la venderesse qui, entretenant depuis plus de deux ans une relation avec elle, l'avait isolé de son entourage familial et incité à le laisser gérer seul son patrimoine. Une main courante avait été déposée contre lui quelques mois avant la vente et les certificats médicaux produits établissaient que la venderesse avait présenté, peu avant la vente, des troubles mentaux. Elle avait déposé plainte contre son compagnon pour abus de confiance et été entendue peu de temps après la vente par la police en raison des menaces proférées par lui à la suite du dépôt de sa plainte, ce qui confirmait l'emprise de cet homme sur sa personne, ce dernier ayant de surcroît assisté à la signature de l'acte de vente et procédé, dès le lendemain, au retrait du tiers du prix de vente.
Ainsi la cour d’appel ne pouvait-elle que déduire de ces éléments, notamment de ceux postérieurs à la vente, la violence morale exercée sur la venderesse, privant son consentement de liberté. En revanche, au visa de l'article 1371 du Code civil, la troisième chambre civile accueille le moyen des revendeurs selon lequel la cour d’appel avait omis de rechercher, comme il le lui était demandé, s’ils ne pouvaient prétendre à une indemnité pour les améliorations apportées à l'immeuble et lui ayant conféré une plus-value dont la venderesse s'enrichirait alors sans cause.
Selon l’article 1109 du Code civil, il n’y a point de consentement valable si celui-ci a été extorqué par violence. Contrairement aux deux autres vices du consentement prévus par le même code que sont l’erreur et le dol, en cas de violence, le contractant ne se trompe pas, pas plus qu’il n’est trompé. Il consent par crainte. Ainsi, le consentement n’est-il pas atteint, dans cette hypothèse, dans sa dimension réflexive. Il l’est dans sa dimension volitive : il n’y a pas d’erreur (spontanée ou provoquée) mais l’exercice d’une contrainte qui empêche le consentement de s’exprimer librement. La violence exercée contre celui qui a contracté l’obligation est une cause de nullité, même lorsqu’elle l’a été par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite (C. civ., art. 1111) ; contrairement au dol, la violence peut donc émaner du cocontractant comme d’un tiers, et si elle peut s’exercer directement contre le contractant lui-même, elle peut l’être également contre ses proches.
En l’espèce, la violence avait été exercée directement sur la venderesse mais non pas par ses cocontractants, le couple de revendeurs, mais par un tiers au contrat, son concubin, ce qui ne devait cependant pas empêcher l’annulation des ventes successives. En outre, le texte de l’article 1112 du Code civil ne pose aucune restriction quant à la manifestation de la violence exercée, qui peut être physique (coups, menace d’une arme, séquestration...) ou morale, celle-ci étant d’ailleurs souvent, comme en l’espèce, précédée ou accompagnée de menaces d’ordre physique. En revanche, la violence doit présenter une certaine intensité, être suffisamment grave pour impressionner son destinataire. La gravité s’apprécie in concreto, l’article 1112 du Code civil lui-même visant expressément « l’âge, le sexe et la condition des personnes ».
Dans la décision rapportée, la venderesse était une femme d’un certain âge, à la santé mentale fragile, ce qui l’exposait particulièrement à l’emprise de son compagnon. Enfin, la menace exercée doit être illégitime. Il existe, en effet, des menaces dites « légitimes », comme par exemple la menace d’une action en justice. Pour emporter l’annulation de l’acte, la violence doit au contraire être répréhensible, c’est-à-dire de nature à faire illégitimement impression sur une personne raisonnable au point de lui inspirer la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent.
En l’espèce, la venderesse craignait tant pour sa personne que pour la bonne gestion de son patrimoine, en sorte que l’illégitimité de la violence exercée ne pouvait qu’être sanctionnée. En revanche, au nom de l’interdiction morale de s’enrichir au détriment d’autrui, qui fonde le principe général de l’enrichissement sans cause (Req. 15 juin 1892) obligeant celui qui s’est enrichi sans raison au détriment d’autrui à lui restituer le montant de son enrichissement ou de l’appauvrissement qu’il a subi, la Cour donne raison aux demandeurs en ce qu’ils soutenaient l’enrichissement injuste de la venderesse grâce aux travaux par eux réalisés dans la maison à lui restituer.
« L'injustice appelle l'injustice ; la violence engendre la violence." (Henri Lacordaire, Pensées).
Civ. 3e, 4 mai 2016, n° 15-12.454
Référence
■ Req. 15 juin 1892, DP 1892. 1. 596, S. 1893.1. 281, note Labbé; GAJC, t. 2, 11e éd. 2000, no 227 (arrêt du «marchand d'engrais»).
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