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Droit de la responsabilité civile
Violences commises par le fils d’une locataire : résiliation judiciaire du bail
Des violences commises à l’égard des employés du bailleur par le fils d’un locataire même hors des lieux loués justifient la résiliation du bail pour manquement à l’obligation d’usage paisible de ceux-ci.
Civ. 3e, 17 déc. 2020, n° 18-24.823
Mineur et vivant à son domicile, le fils d’une locataire avait agressé plusieurs employés du bailleur. Condamné pénalement, il dut avec sa mère déménager dans une commune autre que celle où les faits avaient été commis. Le bailleur, un office public d’habitation, leur avait alors donné à bail un nouveau lieu où se loger. Or trois ans plus tard, le fils de la locataire, devenu majeur, avait réitéré ses actes, dans la même commune que celle où les premiers avaient été commis et à l’encontre des mêmes victimes. Le bailleur avait alors assigné sa mère, seule locataire des lieux, en résiliation du bail pour manquement à l’usage paisible des lieux loués.
La demande ayant été accueillie en appel, celle-ci forma un pourvoi en cassation, soutenant que la résiliation d’un bail d’habitation ne peut être prononcée qu’à la condition que soit établi un lien entre les troubles constatés et le manquement à l’obligation de jouir paisiblement des lieux loués. Or selon la demanderesse, un tel lien n’était pas caractérisé en l’espèce dans la mesure où les violences exercées par son fils l’avaient toujours été hors des lieux loués. Son pourvoi est rejeté : « La cour d’appel a retenu à bon droit que les violences commises par le fils de [la locataire] à l’encontre des employés du bailleur et réitérées après une première condamnation pénale constituaient des manquements à l’obligation d’usage paisible des lieux incombant au preneur et aux personnes vivant sous son toit et que le lieu de commission des violences importait peu dès lors que les victimes étaient des agents du bailleur. Elle en a souverainement déduit que la gravité des troubles ainsi constatés justifiait la résiliation du bail. ».
L’une des obligations principales incombant à tout preneur est « (d)’user de la chose louée raisonnablement, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d’après les circonstances, à défaut de convention ». (C. civ., art. 1728, al. 1er). Elle incombe à ce titre au preneur à bail d’habitation, qui y est tenu également en vertu d’une loi spéciale l’obligeant à user paisiblement des locaux loués (L. n° 89-462, 6 juill. 1989, art. 7). Or il peut depuis longtemps être observé qu’en cas de manquement par le preneur à cette obligation, sa responsabilité peut être assez aisément engagée ainsi que la résolution judiciaire de son bail, prononcée (C. civ., art. 1729).
La décision rapportée illustre et confirme cette politique de rigueur qui s’est d’abord traduite, sous l’angle de la responsabilité du preneur, par l’élargissement du cercle des créanciers de son obligation d’usage paisible dont le preneur aurait dû normalement, en vertu du principe de l’effet relatif du contrat, n’être tenu qu’envers le seul bailleur : la Cour décida ainsi qu’il en était également tenu envers les tiers (Civ. 1re, 18 juill. 1961), bien avant que l’arrêt Bootshop (Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255), consacrant la règle selon laquelle « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage », eût permis une telle extension. Plus précisément, la Cour de cassation affirma que les obligations contractuelles auxquelles le preneur est tenu envers le bailleur, en l’occurrence celle tenant à l’usage paisible du bien loué, ne l’exonère pas de la responsabilité qu’il peut encourir, sur le fondement délictuel du trouble anormal du voisinage, envers des colocataires d’autres appartements du même immeuble, alors même que la faute commise serait en rapport étroit avec l’exécution du bail. Autrement dit, la Cour admettait déjà que, même en cas de faute non détachable du contrat de bail, un tiers à ce contrat pût engager la responsabilité du preneur ayant manqué à son obligation de jouissance paisible. Ceci explique qu’en l’espèce, la résiliation du bail soit prononcée pour des faits commis à l’encontre de tiers au contrat (employés du bailleur), et non du bailleur lui-même.
Sur le même terrain de la responsabilité du preneur, la rigueur du régime s’est également traduite par un nouvel élargissement du cercle, cette fois, des débiteurs de cette obligation, la responsabilité encourue par le locataire s’étendant aux personnes qui vivent sous son toit ou qu’il a introduites dans les lieux (Civ. 13 déc. 1927 ; Civ. 3e, 19 janv. 2000, n° 98-12.697 ; cf C. civ., art. 1735).
Concernant la sanction en l’espèce prononcée de la résolution du contrat, une égale sévérité à l’endroit du preneur ressortait de la jurisprudence selon laquelle des violences réitérées peuvent constituer, à elles seules, un manquement à son obligation de jouissance paisible, justifiant la résiliation judiciaire du bail (Civ. 3e, 3 juin 1992, n° 90-20.422; Civ. 3e, 2 juill. 1997, n° 95-16.632), sans que le propriétaire poursuivant ait donc à justifier d’un quelconque préjudice (Civ. 3e, 18 nov. 1980, n° 79-12.774), condition en principe pourtant indispensable à l’engagement de la responsabilité civile, notamment contractuelle.
Cette sévérité fut néanmoins par la suite tempérée par la règle selon laquelle la résiliation d’un bail d’habitation fondée sur le manquement du preneur à son obligation d’usage paisible des lieux loués ne peut en principe être prononcée qu’à la condition d’établir un lien entre ce manquement contractuel et les troubles constatés. Soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond, l’existence de ce lien obéissait, dans un premier temps jurisprudentiel, à un critère géographique qui conduisait, généralement, à l’exclure. C’est ainsi que dans des cas d’actes de violences perpétrés par les enfants d’un locataire, pourtant commis dans le hall d’un immeuble appartenant au même ensemble immobilier que celui où se trouvaient les lieux loués par les intéressés, en outre condamnés pénalement, fut exclue la relation entre le manquement contractuel à l’obligation de jouissance paisible des lieux et les préjudices en ayant résulté au seul motif que le lieu du délit était distant de plus d’un kilomètre du lieu du logement loué (Civ. 3e, 14 oct. 2009, 1re esp., n° 08-16.955), ou que les violences commises par ces enfants l’avaient été dans des rues adjacentes à celle où se trouvaient les lieux loués (Civ. 3e, 14 oct. 2009, 2e esp., n° 08-12.744), ces faits ne pouvant être rattachés aux conditions d’occupation de l’appartement loué. Ainsi, lorsque les troubles étaient commis en dehors du périmètre de l’immeuble, les juges excluaient la causalité entre les troubles constatés et le manquement à l’obligation de jouissance paisible imputé au locataire et refusaient alors de se prononcer.
C’est eu égard à ce principe que dans le présent arrêt, la locataire, pour contester la résiliation du bail, arguait du fait que les violences n’avaient pas été commises dans l’immeuble ou la commune où elle et son fils résidaient : le bailleur ne pouvait donc se prévaloir de violences commises en dehors du périmètre immobilier dans lequel étaient situés les lieux loués pour invoquer un manquement à son obligation d’en user paisiblement. C’était omettre que ce critère géographique n’était plus, à la date du litige, utilisé par les juges, qui l’avaient remplacé par les critères de gravité et de répétition du comportement répréhensible. Ainsi constituent des manquements graves et répétés à l'obligation de jouissance paisible des lieux loués justifiant la résiliation du bail le fait pour le fils de la locataire d'avoir violemment pris à partie la gardienne de l'immeuble, tant dans la loge que dans les parties communes, ainsi que celui d'avoir agressé un voisin avec lequel ils étaient en conflit (Civ. 3e, 5 mars 2013 n° 12-12.177). Aussi bien, la répétition des faits d’agression, de la même nature que ceux dénoncés dans l'assignation au soutien d'une demande en résiliation de bail, commis par les enfants d’un locataire « même dans des immeubles relativement éloignés » avait été jugée « incompatible avec le maintien des liens contractuels », justifiant la résolution judiciaire du bail (Civ. 3e, 9 juill. 2014, n° 13-14.802).
La solution rapportée s’inscrit et prolonge ce mouvement jurisprudentiel qui confirme l’indifférence à l’ancien critère tiré du lien géographique (« le lieu de commission des violences importait peu »). En effet, la Cour met en avant la réitération des faits de même nature pénalement sanctionnées, ainsi que la personne des victimes (agents du bailleur) pour caractériser la gravité du manquement à l’obligation de jouissance paisible imputable à la locataire, cette gravité étant traditionnellement requise pour prononcer la résolution judiciaire du contrat. Il est à noter que le dernier critère retenu, tiré de la qualité de la victime des violences, en l’espèce des employés du bailleur, est assez inattendu (v. cpdt, Civ. 3e, 17 sept. 2008, n° 07-13.175, concernant un mandataire du bailleur, la résolution du bail n’ayant pas pour cette raison été prononcée). La Cour de cassation semble ainsi procéder à un nouvel élargissement, cette fois du cercle des victimes potentielles des manquements imputables au locataire, pour caractériser la gravité nécessaire à la résolution judiciaire du bail.
Le périmètre de l’obligation de jouissance paisible en est encore plus élargi. Un comportement du locataire constitutif d’un manquement à cette obligation n'est d’abord plus circonscrit à l'intérieur des lieux loués : puisqu’il s’étend au-delà de l’immeuble et même de sa zone géographique, il peut concerner des parties ou équipements communs, comme s’être produit aux abords du lieu de résidence. Aussi le manquement du locataire ne dépend-il plus du seul trouble causé au bailleur ou à la jouissance paisible des autres locataires puisqu’il peut désormais être induit de l’atteinte causée à d’autres victimes, telles que des employés du bailleur. La Cour procédant comme par extension de la notion de bailleur pour l’étendre à ses préposés qui, par leur lien de subordination et donc leur absence d’indépendance, lui emprunteraient sa qualité.
Il est enfin à noter qu’un parallèle peut être fait, dans le domaine extracontractuel, avec la responsabilité des parents du fait de leurs enfants, puisqu’il ressort de la jurisprudence précitée que les troubles constitutifs d’un manquement à l’obligation de jouissance paisible du locataire engagent naturellement sa responsabilité contractuelle lorsque lui-même en est l’auteur, mais qu’il l’engage pareillement lorsque le comportement agressif ou violent provient de ses enfants, comme d’ailleurs de toute autre personne dont il répond, ce qui fait naturellement écho à la responsabilité des parents devant répondre des faits dommageables de leurs enfants, à ceci près que celle-ci dépend, en droit de la responsabilité civile, de la minorité des enfants, ce qui n’est pas le cas en matière de baux d’habitation, la circonstance que le trouble ait été commis par un enfant majeur du locataire n'étant pas un fait justificatif pour lui, sauf à démontrer qu'ils ne résidaient pas dans le logement loué (Civ. 3e, 10 nov. 2009, n° 09-11.027).
Références :
■ Csss., ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255 P: D. 2006. 2825, obs. I. Gallmeister, note G. Viney ; ibid. 2007. 1827, obs. L. Rozès ; ibid. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain ; ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; AJDI 2007. 295, obs. N. Damas ; RDI 2006. 504, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2007. 61, obs. P. Deumier ; ibid. 115, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 123, obs. P. Jourdain
■ Civ. 13 déc. 1927: DP 1928.1.99
■ Civ. 3e, 19 janv. 2000, n° 98-12.697 P
■ Civ. 3e, 3 juin 1992, n° 90-20.422
■ Civ. 3e, 2 juill. 1997, n° 95-16.632
■ Civ. 3e, 18 nov. 1980, n° 79-12.774 P
■ Civ. 3e, 14 oct. 2009, 1re esp., n° 08-16.955 P: D. 2009. 2552, obs. G. Forest ; ibid. 2010. 1168, obs. N. Damas ; AJDI 2010. 316, obs. V. Zalewski
■ Civ. 3e, 14 oct. 2009, 2e esp., n° 08-12.744 P: D. 2009. 2552 ; ibid. 2010. 1103, chron. A.-C. Monge et F. Nési ; ibid. 1168, obs. N. Damas ; AJDI 2010. 316, obs. V. Zalewski
■ Civ. 3e, 5 mars 2013 n° 12-12.177: AJDI 2013. 443
■ Civ. 3e, 9 juill. 2014, n° 13-14.802 P: D. 2014. 1544 ; ibid. 2015. 1178, obs. N. Damas
■ Civ. 3e, 17 sept. 2008, n° 07-13.175: AJDI 2009. 126, obs. V. Zalewski
■ Civ. 3e, 10 nov. 2009, n° 09-11.027 P: AJDA 2010. 351 ; D. 2009. 2864, obs. Y. Rouquet ; ibid. 2010. 1168, obs. N. Damas ; AJDI 2010. 452, obs. N. Damas
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