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Droit pénal spécial
Visage couvert volontairement lors de manifestations sur la voie publique
Mots-clefs : Décret, Légalité, Dissimulation du visage, Manifestation sur la voie publique, Contravention
Dans un arrêt du 23 février 2011, le Conseil d’État considère que le décret relatif à l’incrimination de dissimulation illicite du visage à l’occasion de manifestations sur la voie publique est légal.
Saisi par différents syndicats, le Conseil d’État avait à se prononcer sur la légalité du décret du 19 juin 2009 insérant un nouvel article au Code pénal, l’article R. 645-14.
Ce décret (appelé communément décret « anti-cagoule ») avait été pris à la suite des manifestations intervenues lors du sommet de l’OTAN à Strasbourg en avril 2009 (RSC 2009. 882, obs. Robert).
En décidant de cette mesure dont l’objectif est de traiter les comportements violents en marge des manifestations et de rendre passible de contravention la dissimulation volontaire du visage dans le but d’échapper à l’identification en cas de risque de perturbation de l’ordre public, le pouvoir réglementaire n’a pas, selon le Conseil d’État, outrepassé ses compétences. En effet, l’objet de ce décret n’est pas de réglementer la liberté de manifestation, ni d’interdire de manifester en dissimulant son visage.
Par ailleurs, les juges du Palais Royal rejettent le moyen tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, art. 8) et de la Convention européenne des droits de l’homme (notamment ses art. 7, 10 § 2 et 11 § 2).
Mais l’intérêt de l’arrêt réside notamment dans la précision qu’il apporte concernant les manifestants masqués. Le fait de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifié par les forces de police ou de gendarmerie exclut, de fait, du champ d’application du décret ceux qui « ne procèdent pas à la dissimulation de leur visage pour éviter leur identification par les forces de l’ordre dans un contexte où leur comportement constituerait une menace pour l’ordre public que leur identification viserait à prévenir. ». Ainsi, est-il possible de dissimuler son visage lors d’une manifestation si la personne masquée accepte de se dévoiler en cas de contrôle des forces de l’ordre.
Se pose alors une question concernant l’articulation entre le décret « anti-cagoule » et la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public dont les trois premiers articles entreront en vigueur le 11 avril 2011. Une circulaire relative à sa mise en œuvre, en date du 2 mars 2011 vient d’être publiée au Journal officiel le 3 mars. À partir du 11 avril prochain, la dissimulation du visage dans l’espace public est interdite sur l’ensemble du territoire de la République. Cette infraction est constituée dès lors qu’une personne porte une tenue destinée à dissimuler son visage et qu’elle se trouve dans l’espace public, ces deux conditions étant nécessaires et suffisantes. L’existence d’une intention est indifférente : il suffit que la tenue soit destinée à dissimuler le visage. Ainsi, une personne dissimulant volontairement son visage lors d’une manifestation pourra-t-elle se voir condamnée à deux contraventions distinctes, celle issue du décret de 2009 et celle issue de la loi de 2010 ? …
CE 23 février 2011, Syndicat national des enseignements de second degré et autres, n° 329477
Références
« Infraction la moins grave après les crimes et les délits, sanctionnée de peines contraventionnelles.
Ces peines sont l’amende, certaines peines privatives ou restrictives de droits, des peines complémentaires, et la sanction-réparation. Le taux maximum de l’amende est de 3 000 euros pour les personnes physiques, et du quintuple de ce montant pour les personnes morales. »
« Principe, contenu dans l’adage latin « Nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege », selon lequel les crimes et les délits doivent être légalement définis avec clarté et précision, ainsi que les peines qui leur sont applicables. Pour ce qui est des contraventions, soumises aux mêmes exigences, leur définition relève, depuis la Constitution de 1958, du domaine réglementaire. »
Sources : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
■ Article R. 645-14 du Code pénal
« Est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l'ordre public.
La récidive de la contravention prévue au présent article est réprimée conformément aux articles 132-11 et 132-15.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux manifestations conformes aux usages locaux ou lorsque la dissimulation du visage est justifiée par un motif légitime. »
■ Article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789
« La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »
■ Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'homme et des libertés fondamentales
Art. 7 — Pas de peine sans loi
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.
2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »
Art. 10 — Liberté d'expression
« […] 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
Art. 11 — Liberté de réunion et d'association
« […] 2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'État. »
■ Loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public
Art. 1er
« Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. »
Art. 2
« I. Pour l'application de l'article 1er, l'espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.
II. L'interdiction prévue à l'article 1er ne s'applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s'inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles. »
Art. 3
« La méconnaissance de l'interdiction édictée à l'article 1er est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe.
L'obligation d'accomplir le stage de citoyenneté mentionné au 8° de l'article 131-16 du code pénal peut être prononcée en même temps ou à la place de la peine d'amende. »
■ Anne-Gaëlle Robert, « Décret n° 2009-724 du 19 juin 2009 relatif à l'incrimination de dissimulation illicite du visage à l'occasion de manifestations sur la voie publique », RSC 2009. 882.
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