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Droit européen et de l'Union européenne
Visas: qui est compétent?
Mots-clefs : Droit d’asile, Visa, Charte des droits fondamentaux, Compétence, Droit national, Représentation diplomatique
Dans le cadre des compétences partagées, l’Union européenne et les États membres peuvent adopter des mesures. Cependant l’Union peut préempter une compétence si elle a déjà adopté un texte, contrariant toute intervention des États. Le visa longue durée pour raison humanitaire n’a fait l’objet d’aucune législation européenne renvoyant obligatoirement le régime juridique de sa délivrance aux législations des États. Dans le même temps, cette absence de disposition européenne conduit logiquement à écarter l’application de la Charte des droits fondamentaux, la situation factuelle étant régie par le droit national.
Les différents conflits au Proche et Moyen-Orient créent logiquement une forte pression de la part des populations locales pour l’obtention d’un droit d’asile dans l’Union. Pour parvenir à leur fin, différentes stratégies de procédure sont envisagées dont certaines sont contestables au regard de l’économie générale des règles visées. Il en est ainsi de l’hypothèse dans laquelle il est procédé à une demande préalable de visas à validité territoriale limitée pour venir dans un État européen et ensuite effectuer sur place une demande d’asile en bonne et due forme. Si le droit d’asile relève de règles du droit de l’Union ce n’est pas le cas de l’ensemble des visas et notamment des visas longue durée pour raison humanitaire, l’Union européenne n’ayant pas légiférer sur ce sujet.
En l’espèce, un couple syrien, avec trois enfants en bas âge, a introduit une demande d’obtention de visas à validité territoriale limitée sur le fondement du droit de l’Union, auprès de l’ambassade belge au Liban, les demandeurs vivant en Syrie à Alep. La demande consistait en la délivrance d’un visa d’une durée maximum de 90 jours, afin de séjourner uniquement en Belgique et d’y déposer une demande d’asile. Le visa à validité territoriale limitée était conçu comme une étape afin de s’installer plus durablement en Belgique sur le fondement du droit d’asile. Les demandes de visas ont été rejetées au motif de leur objet inapproprié, étant donné que la demande visait à bénéficier d’un séjour allant au-delà des 90 jours. Les requérants ont contesté ce refus en s’appuyant sur la violation de la Charte des droits fondamentaux de l’Union qui impose le droit d’asile pour garantir l’interdiction de la torture (art. 4). Dès lors la juridiction nationale a posé une question préjudicielle pour déterminer l’obligation des États en matière de délivrance des visas à validité territoriale limitée.
La Cour de justice écarte l’application du droit de l’Union et plus précisément l’article 25 du règlement n° 810/2009 établissant le code communautaire des visas. En effet, la Cour juge que la famille a en réalité déposé des visas pour des raisons humanitaires avec l’objectif d’obtenir le droit d’asile. Il ne s’agit pas de séjourner sur une période de moins de trois mois en Belgique conformément aux visas demandés.
La Cour de justice recherche alors si d’autres dispositions du droit de l’Union sont applicables à la situation en cause afin de répondre utilement au juge. Or il apparaît que l’Union européenne n’a arrêté aucune disposition relative à des visas longue durée pour des raisons humanitaires. Si l’Union européenne a la compétence pour adopter de telles dispositions conformément à l’article 79, paragraphe 2 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), l’hypothèse ne s’est pas présentée. Dans le cadre des compétences partagées visées à l’article 4 du TFUE, les États gardent leur capacité à agir tant que l’Union européenne n’a pas préempté la compétence. En effet, pour les compétences partagées, l’intervention de l’Union empêche par la suite celle des États membres. En l’occurrence, aucun texte de l’Union n’étant applicable, la Cour de justice renvoie logiquement à la mise en œuvre du droit national.
L’application du droit national a une conséquence par rapport aux moyens soulevés par le requérant quant à la violation de la Charte. Si la Cour de justice a interprété très largement le champ d’application matériel de la Charte en précisant qu’au-delà de la mise en œuvre du droit de l’Union, la Charte est également opposable aux États lorsqu’une norme nationale entre dans le champ d’application du droit de l’Union. En l’absence de dispositions en droit de l’Union, la situation n’est pas régie par ce droit, écartant le bénéfice des droits de la Charte.
Au-delà de cette solution, la Cour réaffirme son rôle de garant de la bonne interprétation du droit de l’Union. En effet, elle considère que le visa à validité territoriale limitée ne peut en aucun cas être applicable en l’espèce sans remettre en cause l’économie générale de ce visa. La Cour insiste sur l’objet de la demande qui n’est pas en accord avec le contenu du texte et sur l’impossibilité de suivre le raisonnement des requérants sans remettre en cause l’organisation du droit d’asile dans l’Union, qui interdit le traitement des demandes d’asile effectuées auprès des représentations diplomatiques. En outre, le droit de l’Union précise que l’État compétent pour traiter la demande d’asile est par principe l’État par lequel la personne est entrée dans l’Union conformément à la directive n° 2013/32. L’obtention d’un visa à validité territoriale limitée pour bénéficier du droit d’asile n’est ainsi pas envisageable.
L’articulation des textes est ainsi assurée, reflétant les positions des États membres au sein des institutions, sans que la protection internationale des individus apparaisse pleinement garantie.
CJUE 7 mars 2017, n° C-638/16 PPU
Références
■ Charte des droits fondamentaux
Article 4
« Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
Article 4
« 1. L'Union dispose d'une compétence partagée avec les États membres lorsque les traités lui attribuent une compétence qui ne relève pas des domaines visés aux articles 3 et 6.
2. Les compétences partagées entre l'Union et les États membres s'appliquent aux principaux domaines suivants:
a) le marché intérieur;
b) la politique sociale, pour les aspects définis dans le présent traité;
c) la cohésion économique, sociale et territoriale;
d) l'agriculture et la pêche, à l'exclusion de la conservation des ressources biologiques de la mer;
e) l'environnement;
f) la protection des consommateurs;
g) les transports;
h) les réseaux transeuropéens;
i) l'énergie;
j) l'espace de liberté, de sécurité et de justice;
k) les enjeux communs de sécurité en matière de santé publique, pour les aspects définis dans le présent traité.
3. Dans les domaines de la recherche, du développement technologique et de l'espace, l'Union dispose d'une compétence pour mener des actions, notamment pour définir et mettre en œuvre des programmes, sans que l'exercice de cette compétence ne puisse avoir pour effet d'empêcher les États membres d'exercer la leur.
4. Dans les domaines de la coopération au développement et de l'aide humanitaire, l'Union dispose d'une compétence pour mener des actions et une politique commune, sans que l'exercice de cette compétence ne puisse avoir pour effet d'empêcher les États membres d'exercer la leur. »
Article 79
« 1. L'Union développe une politique commune de l'immigration visant à assurer, à tous les stades, une gestion efficace des flux migratoires, un traitement équitable des ressortissants de pays tiers en séjour régulier dans les États membres, ainsi qu'une prévention de l'immigration illégale et de la traite des êtres humains et une lutte renforcée contre celles-ci.
2. Aux fins du paragraphe 1, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent les mesures dans les domaines suivants:
a) les conditions d'entrée et de séjour, ainsi que les normes concernant la délivrance par les États membres de visas et de titres de séjour de longue durée, y compris aux fins du regroupement familial;
b) la définition des droits des ressortissants des pays tiers en séjour régulier dans un État membre, y compris les conditions régissant la liberté de circulation et de séjour dans les autres États membres;
c) l'immigration clandestine et le séjour irrégulier, y compris l'éloignement et le rapatriement des personnes en séjour irrégulier;
d) la lutte contre la traite des êtres humains, en particulier des femmes et des enfants.
3. L'Union peut conclure avec des pays tiers des accords visant la réadmission, dans les pays d'origine ou de provenance, de ressortissants de pays tiers qui ne remplissent pas ou qui ne remplissent plus les conditions d'entrée, de présence ou de séjour sur le territoire de l'un des États membres.
4. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des mesures pour encourager et appuyer l'action des États membres en vue de favoriser l'intégration des ressortissants de pays tiers en séjour régulier sur leur territoire, à l'exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres.
5. Le présent article n'affecte pas le droit des États membres de fixer les volumes d'entrée des ressortissants de pays tiers, en provenance de pays tiers, sur leur territoire dans le but d'y rechercher un emploi salarié ou non salarié. »
■ Règl. n° 810/2009 du Parlement européen et du Conseil, 13 juillet 2009, JOUE n° L 243, 15 sept.
■ Direct. n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil, 26 juin 2013, JOUE n° L 180, 29 juin
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