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Droit international privé
Vivendi : abus de forum shopping or not abus de forum shopping ?
Mots-clefs : Forum shopping, Action de groupe ou class action
Le tribunal de grande instance de Paris refuse de considérer que les actionnaires français de Vivendi, regroupés en class action, et qui ont demandé réparation à un juge américain du préjudice lié à un manquement à la législation boursière, ont commis un abus du droit d'ester en justice.
Le tribunal fédéral de New York a, début janvier 2010, jugé Vivendi coupable de diffusion d'informations trompeuses à l'encontre de ses actionnaires. Le président-directeur général à l'époque des faits litigieux, Jean-Marie Messier, et le directeur financier ont, eux été relaxés.
De nombreux actionnaires minoritaires, dont des actionnaires français, s’étaient regroupés en action de groupe (class action) à l’encontre du groupe de communication et de ses dirigeants pour obtenir réparation de manquements, selon eux, à la législation boursière. Contrairement à la législation française, la class action est, en effet, une pratique légale et très courante outre-Atlantique.
Vivendi soutenait, pour sa part, que l’introduction aux États-Unis d’une class action par des actionnaires français pour rechercher la responsabilité d’une société française sur le fondement de la violation des règles du droit boursier américain constituait un abus du droit d’ester en justice.
Selon la société, le recours par des actionnaires français au juge américain dans le cadre d’une action non reconnue en France à propos d’un litige relevant de la compétence naturelle du juge français (le litige concerne une société française, cotée à la Bourse de Paris, l’essentiel de l’actionnariat n’est pas situé aux États-Unis) est un abus du forum shopping, constitutif d’une faute (v. Rép. Procédure civile.)
Elle a donc assigné en justice les principaux représentants français des demandeurs à l’action de groupe, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
Le tribunal de grande instance de Paris, le 13 janvier 2010, répond aux demandes de Vivendi en rappelant tout d’abord que « le droit d’agir en justice constitue un droit fondamental qui ne dégénère en abus pouvant donner lieu à dommages-intérêts sur le fondement de l’article 1382 du Code civil qu’en cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol ».
Or, le juge américain, par diverses décisions, s’est déclaré compétent ratione materiae pour statuer dans le cadre du recours collectif sur la demande d’indemnisation incluant les actionnaires français de Vivendi. Il a retenu l’existence d’un lien de rattachement suffisant entre les dirigeants de Vivendi aux États-Unis et le préjudice dont ses actionnaires demandent réparation aux États-Unis.
Le tribunal en déduit que les actionnaires français, en se joignant à l’action de groupe, n’ont pas commis d’abus d’ester en justice et ont légitimement fait valoir qu’ils ont exercé l’option de compétence reconnue en droit international.
Il n’y a pas d’abus de forum shopping, d’autant qu’il « n’appartient pas au juge français de se prononcer par avance et hors procédure d’exequatur sur le rattachement du litige au juge étranger saisi et sur le caractère conforme ou non à l’ordre public international français d’une décision judiciaire étrangère non encore rendue ».
La décision du tribunal de grande instance de Paris sur ce dernier point est logique car il n’est pas possible de préjuger de la décision du juge français de l’exequatur : Vivendi avançait comme argument que le juge français refuserait de donner exequatur au jugement rendu par le tribunal fédéral américain — argument écarté par le tribunal de grande instance de Paris qui précise que la non-conformité de la décision américaine, si elle était retenue, ne saurait caractériser la faute et l’abus du droit d’agir en justice. Vivendi est donc débouté de sa demande.
Ce faisant, le tribunal de grande instance de Paris accepte que des actionnaires français essaient d’obtenir auprès de juges américains une réparation dont ils sont privés en droit français…
Vivendi a interjeté appel de cette décision et les plaidoiries auront lieu le 4 mars devant la cour d’appel de Paris. Signe de l’importance de l’affaire, elles auront lieu sous la houlette du Premier président, Jean-Claude Magendie.
Références
■ V. Rép. Procédure civile Dalloz, V° « Compétence internationale », n° 10 et s.
■ Abus de droit
« Fait par le titulaire d’un droit de le mettre en œuvre en dehors de sa finalité ou, selon un autre critère, sans intérêt pour soi-même et dans le seul but de nuire à autrui. Constitutif d’une faute il pourra donner lieu à réparation civile dans les conditions du droit commun. »
■ Action de groupe
« Action visant à la réparation d’un préjudice collectif, celui subi par les consommateurs du fait de l’inexécution ou de la mauvaise exécution d’obligations contractuelles de la part du même professionnel, à l’occasion d’un même type de contrat relatif à une vente de produits ou une prestation de service.
L’objectif est de faciliter l’action du consommateur victime d’un préjudice personnel peu élevé, qui hésiterait pour ce motif à demander réparation.
L’action de groupe qu’une doctrine propose d’appeler « action en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse » est à l’état de projet. Elle est connue dans le monde anglo-saxon, avec un schéma procédural différent, sous l’expression “ class action” ».
■ Ester en justice
Participer, comme demandeur, défendeur ou intervenant, à l’exercice d’une action judiciaire, à un procès.
■ Exequatur
« Force exécutoire octroyée par l’autorité judiciaire française à une décision rendue par une juridiction étrangère. Désigne également la procédure au terme de laquelle cette force sera, ou non, accordée.
En principe, tout jugement rendu par une juridiction étrangère ne peut être exécuté en France sans exequatur. Le processus de fédéralisation inhérent à la construction européenne entraîne toutefois l’apparition d’exceptions croissantes dans le cadre communautaire : injonction de payer européenne, procédure de règlement des petits litiges, titre exécutoire européen. Le jugement étranger peut en outre produire, même sans exequatur, certains effets qui ne nécessitent aucune contrainte (ex. : valeur probante). »
■ Forum shopping
« Stratagème pour échapper à l'application d'une loi et consistant, pour les plaideurs, à porter leur litige devant une juridiction étrangère, qui ne sera pas obligée d'appliquer cette loi. »
■ Ratione materiae« En raison de la matière. »
Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.
■ Article 1382 du Code civil
« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
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