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[ 19 octobre 2020 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Vol d’objets dans un hôtel : des règles substantielles et probatoires favorables à l’indemnisation du client

L’hôtelier est responsable de plein droit du vol d’objets appartenant à ses clients commis dans ses chambres d’hôtels. La preuve d’une faute commise par celui-ci étant prise en compte non pour engager sa responsabilité mais seulement pour évaluer le montant de la réparation. La preuve est libre en matière commerciale. La preuve de la valeur des objets volés par des photocopies, des factures d’achat a pleine force probante.

Civ .1re, 23 sept. 2020, n° 19-11.443

Un couple avait été victime d’un vol d’effets personnels dans la chambre de l’hôtel où il séjournait. Pour obtenir réparation du préjudice matériel et moral en résultant, il avait engagé, à l’encontre de l’hôtelier, une action en responsabilité sur le fondement des articles 1952 et 1953 du Code civil.

La cour d’appel rejeta leur demande au motif que la responsabilité de l’hôtelier ne pouvait être engagée en l’absence de preuve d’une faute de sa part, le simple fait du vol d’objets dans leur chambre ne suffisant pas à la caractériser. La cour considéra également que la preuve de la valeur des biens volés faisait défaut, les attestations et photocopies de factures d’achat produites à la place des originaux n’ayant aucune force probante.

Devant la Cour de cassation, les clients soutenaient qu’il résulte de la combinaison des articles 1952 et 1953 du Code civil que l’hôtelier est responsable de plein droit du vol des objets d'un client dans la chambre de celui-ci, dans la limite de cent fois le prix de location de la chambre par journée, de sorte qu’ils n’avaient pas à démontrer une faute commise par celui-ci pour engager sa responsabilité et obtenir réparation de leur préjudice. Aussi faisaient-ils grief à la juridiction de second degré d’avoir dénié aux pièces produites toute valeur probante alors qu’en vertu de l’article L. 110-3 du Code de commerce, la preuve à l'égard d'une société commerciale peut être rapportée par tout moyen, notamment par une photocopie ou une attestation. Approuvant l’argumentaire exposé par les demandeurs au pourvoi, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel tant pour retenir l’engagement de la responsabilité de l’hôtelier que pour conférer une valeur probante aux pièces produites par les victimes pour établir la valeur des objets dérobés.

La qualification des contrats, leur nature, se révèlent souvent complexes, comme en atteste l’existence de nombreux contrats ainsi désignés. La figure du contrat complexe, qu’emprunte le contrat d’hôtellerie, présente la singularité de rendre impossible l’émergence, au sein des diverses obligations qu’il contient, d’une obligation caractéristique ou essentielle permettant le rattachement du contrat à une catégorie prédéfinie. Le contrat complexe que constitue le contrat d’hôtellerie relève tout à la fois du bail, de la vente, du dépôt, du contrat d’entreprise et parfois même du contrat de transport. Bien que le bail marque ce contrat d’une empreinte particulière, et a priori déterminante, le contrat d’hôtellerie s’en distingue par un certain nombre de prestations étrangères à la simple location. L’hôtelier ne s’engage pas seulement à mettre une chambre à la disposition de son client. Il s’oblige également à lui fournir un service global assorti de prestations annexes. Le contrat d’hôtellerie emprunte également, en partie, au contrat de dépôt, de même qu’il s’inspire du bail sans devoir être réduit à ces contrats spéciaux dont il se distingue à plusieurs titres.

Le fait que le contrat d’hôtellerie contienne diverses obligations propres à d’autres contrats spéciaux oblige à admettre que la finalité de ce contrat ne réside dans aucune des obligations élémentaires dont il est composé mais seulement dans le but commun et final que la combinaison de ces obligations permet d’atteindre.

Plus que l’obligation caractéristique, c’est l’économie générale du contrat qui doit servir de guide (P. Puig, Contrats spéciaux, 8e éd., n° 36, p. 41). La finalité du contrat hôtelier réside dans une prestation globale à laquelle participe, en tant que moyen parmi d’autres (comme le bail), le dépôt des objets et bagages apportés par le client dans l’hôtel. D’une certaine façon, le dépôt devient comme l’accessoire d’un service. C’est la raison pour laquelle le contrat hôtelier a pu être qualifié de « faux dépôt » (A. Benabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux, 11e éd., n°799) en dépit de la qualification donnée à l’article 1952.

Cette qualification se traduit par le fait que si le client dépose ses effets personnels dans l’hôtel, le plus souvent dans la chambre mise à disposition, juridiquement, les parties ne sont pas liées par un véritable contrat de dépôt, et ce pour deux raisons :

-          d’une part, l’hôtelier n’a pas la garde des effets du client, qui en conserve au contraire la maîtrise, contrairement au déposant lorsqu’il confie un bien au dépositaire;

-          d’autre part, l’obligation de conservation de la chose déposée, au cœur du contrat de dépôt dont elle constitue l’objet central, ne peut être caractéristique du contrat hôtelier, dont la complexité l’empêche de contenir une obligation essentielle.

Les obligations de garde et surveillance de l’hôtelier à l’égard des bagages de son client ne peuvent être que des obligations accessoires de ce contrat. Domat et Pothier soulignaient ce caractère accessoire. Pour des raisons historiques, ces obligations, accessoires, ont toujours été soumises à un régime particulièrement drastique. L’antique insécurité des auberges, d’où les voyageurs sortaient souvent dépossédés, avait justifié dès le droit romain une législation sévère à l’endroit de leurs tenanciers. Assimilés aux capitaines de navires et aux maîtres d’écurie, les aubergistes répondaient de plein droit des dommages et des vols, sauf s’ils s’exonéraient par la preuve d’un cas fortuit.

Maintenue dans l’ancien droit, elle fut consacrée en 1804 par les codificateurs, alors incités à aligner le régime applicable au contrat d’hôtellerie sur celui régissant le contrat de dépôt. Eux-mêmes n’étaient pas dupes de l’artifice. L’article 1952 déclare les hôteliers responsables « comme dépositaires », ce qui confirme qu’ils ne le sont pas vraiment.

La qualification de « dépôt hôtelier » est explicable mais en partie inexacte. C’est la raison pour laquelle ce contrat obéit, indépendamment du dépôt stricto sensu, à un régime spécial que traduit parfaitement celui applicable à la responsabilité de l’hôtelier. Malgré son apparente équivalence au statut de dépositaire, l’hôtelier s’est vu soumis par la loi à un régime de responsabilité dont la singularité tient à la fois à son caractère d’ordre public et à la variabilité de son intensité, fixée à divers degrés. Le plus haut concerne les objets confiés à l’hôtelier, dont la responsabilité est dans cette hypothèse illimitée, rapprochant sous cet angle ce contrat à un véritable dépôt (C. civ., art. 1953, al. 1). Comme le rappelle ici la Cour (§4), la loi soumet également à cette règle les objets que l’hôtelier a refusé de recevoir sans motif légitime (encombrement de la chose, caractère dangereux, etc). Autrement dit, le contrat d’hôtellerie oblige en principe l’hôtelier à accepter de tels dépôts (C. civ., art. 1953, al. 2).

Dans l’hypothèse distincte, qui était celle de l’espèce, où les objets ont été simplement introduits dans l’hôtel, la responsabilité est limitée, à cent fois le prix de location du logement par journée (C. civ., art. 1953, al. 3). L’évolution observée depuis 1804 du service d’hôtellerie explique ce plafonnement. L’insécurité a diminué. L’hôtellerie est devenue un secteur économique puissant. Le régime initial marqué par une grande sévérité à l’égard des hôteliers a été tempéré par la limitation, dès 1911, du montant de l’indemnisation à 20 000 francs. Sous l’influence d’une convention européenne du 17 décembre 1962 destinée à harmoniser la matière, le droit français a été remanié par une loi du 24 décembre 1973 qui, après d’âpres travaux parlementaires, a donné aux articles 1952 et suivants leur économie actuelle (A. Benabent, op. cit., n° 800). Purement indemnitaires, ces aménagements n’ont en rien modifié la responsabilité de plein droit de l’hôtelier, restée depuis lors inchangée. Cette responsabilité automatique et plafonnée de l’hôtelier présente un caractère mécanique détaché de toute idée de faute, qui justifie en l’espèce la cassation de l’arrêt d’appel. Si par la mise à l’écart du plafond légal au profit d’une réparation intégrale du préjudice, la faute de l’hôtelier peut être prise en compte pour aggraver sa responsabilité, elle est en toute hypothèse indifférente lorsqu’il s’agit simplement de l’engager.

La responsabilité présumée de l’hôtelier ne dispense pas son client, de toute charge probatoire. Non seulement doit-il établir la matérialité du dépôt (C. civ., art. 1952) et la réalité du vol, mais il doit également attester de l’étendue du dommage subi en rapportant la preuve de la valeur des choses volées, les taux fixés par la loi (100 ou 50 fois le prix de la journée) n’étant qu’un plafond et non une indemnité forfaitaire. Si cette dernière preuve peut se révéler délicate dans le système de la preuve littérale, elle est bien plus facile à rapporter dans celui de la preuve libre, en l’occurrence applicable. L’absence d’originaux des factures d’achat produites n’est pas vue par les hauts magistrats comme un manquement à la charge de prouver le prix des biens acquis auprès d’un commerçant. Le formalisme probatoire est regardé comme une gêne inutile et nuisible au commerce. Le droit commercial est en grande partie régi par le système de la preuve libre, comme l’illustre l’’article L. 110-3 visé par la Cour, étant précisé que dans le cas, comme en l’espèce, d’un acte mixte (acte conclu entre un commerçant et un non-commerçant) le principe de la distributivité des règles implique d’appliquer au non-commerçant les règles de droit civil et au commerçant, les règles issues du droit commercial. Le non-commerçant prouvera par tout moyen l'obligation commerciale de son cocontractant, mais le commerçant qui voudra prouver l'obligation du particulier non-commerçant respectera les règles de preuve du Code civil (Com. 12 oct. 1982, n° 81-11.812 ; Civ. 1re, 21 févr. 1984, n° 82-15.707), et notamment la production d'un écrit pour une obligation dont le montant excède 1 500 €, en vertu de l’article 1359, alinéa 1er, du Code civil.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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