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[ 15 décembre 2017 ] Imprimer

Droit des biens

Vues sur son voisin : les propriétés doivent être contiguës !

Mots-clefs : Servitude, Vues, Vues droites, Distance légale, Propriété contiguë, Nécessité

Les prescriptions du Code civil relatives aux distances à respecter pour ouvrir des vues droites sur l'immeuble voisin ne concernent que les propriétés contiguës.

Les propriétaires d'une parcelle avaient assigné un couple de propriétaires d’une parcelle voisine de la leur, dont la propriété leur avait été judiciairement reconnue, le 11 janvier 2005, par un acte auquel la commune du lieu de cette propriété était intervenue volontairement. Soutenant que leurs voisins avaient construit leur balcon et ouvert des vues sur leur parcelle, les propriétaires les avaient assignés en démolition et remise en état. Sur tierce opposition formée par leurs voisins au jugement du 11 janvier 2005, les propriétaires de la parcelle et la commune ont été jugés non propriétaires de la bande de terrain située en bordure du fonds des voisins auxquels il a été enjoint de supprimer les vues ouvrant sur le fonds des demandeurs. Pour condamner leurs voisins à supprimer les vues ouvertes sur leur fonds, la cour d’appel retint qu’aucune des parties au litige n’était propriétaire de la bande de terrain séparant leurs héritages.

La Cour de cassation censure la décision au visa de l'article 678 du Code civil, selon lequel « (o)n ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin, s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions ». Rappelant le principe selon lequel les distances prescrites par ce texte ne s'appliquent que lorsque les fonds sont contigus, elle reproche à la cour d’appel d’avoir enjoint la suppression demandée alors qu'il résultait de ses motifs que les fonds litigieux n'étaient pas contigus, de sorte que peu importait l'usage commun de la bande de terrain les séparant.

L'arrêt rapporté concerne les modalités d'application de l'article 678, lorsque les fonds ne sont pas directement jointifs mais séparés par un espace privé commun (V. déjà, Civ. 3e, 14 janv. 2004, n° 02-18.564). En l’espèce, sur une des parcelles jouxtant ce passage, les défendeurs avaient fait réaliser des vues sur la propriété de leurs voisins, propriétaires de la parcelle. La question se posait donc de savoir comment les règles de l'article 678 s'appliquaient en présence de ce passage commun. Il est acquis depuis longtemps que les prescriptions de l'article 678 ne concernent que les propriétés contiguës (Civ. 3e, 21 déc. 1987, n° 86-16.177. Civ. 3e, 22 mars 1989, n° 87-16.753), c’est-à-dire celles qui se trouvent à proximité l’une de l’autre, et que corrélativement, peuvent être faites toutes les ouvertures dans un mur donnant non pas sur l'héritage privatif de son voisin mais sur une parcelle indivise entre eux (Civ. 3e, 24 oct. 1990, n° 88-15.667). Aussi la jurisprudence est-elle venue préciser qu’elles ne s’appliquaient pas aux servitudes de vue grevant une voie publique (Civ. 3e, 28 sept.2005, n° 04-13.942) mais que le texte trouvait en revanche à s’appliquer en cas d’espace privé d’usage commun. Elle fut ainsi amenée à préciser qu’une bande de terrain rattachée au fonds revendiquant la vue n’a pas perdu son caractère privatif du fait de son utilisation par les habitants du village comme passage public (Civ. 3e, 5 avr. 2006, n° 05-12.441). Les prescriptions de l’article 678 du Code civil relatives à la distance légale pour l'établissement de vues droites s'appliquent donc lorsque le fonds dans lequel la vue a été établie est séparé du fonds sur lequel elle donne par un espace privé commun, peu important son usage public. Cette indifférence est, en l’espèce, rappelée par la Cour : « peu importait l’usage commun de la bande de terrain ». En revanche, les prescriptions relatives aux distances à respecter pour ouvrir des vues droites sur l'immeuble voisin ne concernant que les propriétés contiguës, à défaut de pouvoir caractériser cette contiguïté, les vues réalisées l’avaient été régulièrement sans qu’il puisse être enjoint à leurs auteurs de les démolir. La cassation était donc encourue. 

Civ. 3e, 23 nov. 2017, n° 15-26.240 et 15-26.761

Références

■ Civ. 3e, 14 janv. 2004, n° 02-18.564 P : D. 2004. 2409, obs. N. Reboul-Maupin.

■ Civ. 3e, 21 déc. 1987, n° 86-16.177 P.

■ Civ. 3e, 22 mars 1989, n° 87-16.753 P : RTD civ. 1991. 147, obs. F. Zenati.

■ Civ. 3e, 24 oct. 1990, n° 88-15.667 P : D. 1991. 310 ; RTD civ. 1992. 798, obs. F. Zenati.

■ Civ. 3e, 28 sept.2005, n° 04-13.942 P : D. 2005. 2631 ; AJDI 2006. 50 ; RDI 2006. 43, obs. F. G. Trébulle ; ibid. 205, obs. J.-L. Bergel.

 

Auteur :M. H.

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