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[ 14 mai 2018 ] Imprimer

Droit pénal général

Wedding planner : le contrat de prestation de services ne se marie pas à l’abus de confiance

L'abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens remis à titre précaire. Tel n’est pas le cas de fonds, remis en vertu de contrats de prestations de service.

Le délit d'abus de confiance est défini comme « le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé ». Si l'esprit du délit d'abus de confiance vise à sanctionner la trahison d'une confiance préalablement accordée (La protection pénale de la relation de confiance, observations sur le délit d'abus de confiance, RSC 2006. 809), l’infraction n'a pas vocation à sanctionner toute atteinte à la foi contractuelle.

La question de savoir si la remise d’un bien faite en pleine propriété mais assortie d'une affection déterminée est une remise précaire et peut donner lieu à un abus de confiance n’est pas nouvelle et avait pu nourrir la controverse. Par cet arrêt la chambre criminelle maintient sa jurisprudence antérieure écartant l'application du délit dans l'hypothèse où la remise contractuelle du bien, tout en étant assortie d'une affectation déterminée de celui-ci, emporte transfert de propriété. Par un arrêt de principe rendu en février 2007, la juridiction du quai de l’horloge l’avait affirmé à propos d’un contrat de prêt immobilier, c'est-à-dire d'un prêt de consommation assorti d'une affectation convenue des fonds, précisément destinés à la construction de deux villas (Crim. 14 févr. 2007, n° 06-82.283). La solution avait été réaffirmée à plusieurs repriseS en matière de contrat de prêt portant sur des sommes d’argent (D. Rebut, Incompatibilité absolue de l'abus de confiance et de la remise de la propriété, D. 2008. 958, note ss. Crim. 19 sept. 2007, n° 06-86.343. V. égal. Crim. 26 janv. 2005, n° 04-82.674, Crim. 17 déc. 2008, n° 07-87.611) mais aussi en matière d’honoraires reçus de clients dans l'exercice de l’activité médicale alors même qu’un contrat de société conclu entre les médecins associés prévoyait la mise en commun des honoraires (Crim. 5 mai 2010, n° 09-85.455) ou de contrat de vente dans le lequel la chambre criminelle admet que les fonds, versés à titre d'acompte en exécution d'un contrat de vente, deviennent la propriété «du récipiendaire » (Crim. 25 mars 2009, n° 08-82.784). Il en va de même, avec ce nouvel arrêt de principe, pour un contrat de prestation de service.

En l’espèce, un individu exerçant une activité de traiteur et de services pour l'organisation de réceptions avait été poursuivi pour abus de confiance pour avoir encaissé des sommes au préjudice de deux victimes qui avaient fait appel à lui pour organiser « le plus beau jour de leur vie ». Son entreprise avait été créée le 1er janvier 2008 et radiée le 25 février 2013 après une déclaration de cessation d'activité au 30 septembre 2012. Or, il a encaissé des arrhes versées dans le cadre de deux contrats de location de salle courant janvier 2013 sans exécuter les prestations prévues au contrat. Déclaré coupable par le tribunal correctionnel et la cour d’appel, le prévenu a formé un pourvoi en cassation. Bien lui en a pris puisque celle-ci au visa de l’article 314-1 du Code pénal et au terme d’un attendu de principe, rappelle que « selon ce texte, l'abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens remis à titre précaire ». Par conséquent, elle admet que « les fonds, remis en vertu de contrats de prestations de service, l'ont été en pleine propriété, peu important la connaissance par le prévenu, dès la remise des fonds, de son impossibilité d'exécuter le contrat ». 

La solution de la chambre criminelle est en cohérence avec les règles du droit civil. Dans le contrat de prestation de services, contrat d’entreprise au sens du code civil, le client s’engage à payer le prix, ce qui exclut tout caractère précaire de la remise. Par ailleurs, on relèvera que les clients malheureux avaient versé des arrhes à l’entrepreneur malhonnête. Or, l’article L. 214-1 du Code de la consommation prévoit que « Sauf stipulation contraire, pour tout contrat de vente ou de prestation de services conclu entre un professionnel et un consommateur, les sommes versées d'avance sont des arrhes, au sens de l'article 1590 du code civil ». Même si le client peut revenir sur son engagement, il perd les arrhes. La précarité de la remise fait donc inéluctablement défaut et la mauvaise foi contractuelle initiale consistant en la connaissance de l’impossibilité d’exécuter la prestation est indifférente. Toutefois, la solution n’est pas nouvelle en matière de prestations de services. Déjà dans un arrêt de 2015, la chambre criminelle avait censuré une condamnation pour abus de confiance dans le cadre de versement de fonds destinés à rémunérer des prestations qui ont été promises, mais n'ont pas été exécutées (Crim. 14 janv. 2015, n° 14-80.262). 

Par une incise la chambre criminelle reproche à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si les faits poursuivis pouvaient recevoir une autre qualification. La chambre criminelle paraît ici autoriser les poursuites pénales sous le chef du délit d'escroquerie (C. pén., art. 313-1), c'est-à-dire aux hypothèses où la remise des fonds est déterminée par les manœuvres frauduleuses. Peut-être l’emploi d’une fausse qualité d’entrepreneur aurait-il alors été la voie à prendre à (rappr. Crim. 18 janv. 2017, n° 15-85.209 : où le président d'une association passe une commande pour le compte de celle-ci alors que l'association a été dissoute deux ans avant la conclusion des contrats.).

Crim. 5 avr. 2018 n° 17-81.085 P

Références

■ Fiche d’orientation Dalloz : Abus de confiance

■ Crim. 14 févr. 2007, n° 06-82.283 P : D. 2007. 1080 ; RDI 2007. 281, obs. G. Roujou de Boubée ; AJ pénal 2007. 275, note Y. Muller.

■ Crim. 19 sept. 2007, n° 06-86.343 P : D. 2008. 958, note D. Rebut ; ibid. 1573, obs. C. Mascala.

■ Crim. 26 janv. 2005, n° 04-82.674.

■ Crim. 17 déc. 2008, n° 07-87.611 P : AJ pénal 2009. 130, obs. G. Royer.

■ Crim. 5 mai 2010, n° 09-85.455 : D. 2010. 2494, note Y. Muller.

■ Crim. 25 mars 2009, n° 08-82.784.

■ Crim. 14 janv. 2015, n° 14-80.262.

■ Crim. 18 janv. 2017, n° 15-85.209 P.

 

Auteur :Caroline Lacroix


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