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Droit de l'environnement
Procès en appel de l'Erika : confirmation des responsabilités et reconnaissance du préjudice écologique
Mots-clefs : Pollution, Pétrolier, Naufrage, Responsabilité (civile, pénale), Dommages-intérêts (convention CLC), Préjudice écologique, Collectivités territoriales
La cour d'appel de Paris a confirmé, par un arrêt du 30 mars 2010, la responsabilité de l'ensemble des acteurs impliqués dans le naufrage du pétrolier « l'Erika » (armateur, gestionnaire, société de classification et affréteur du navire — le groupe pétrolier Total) et reconnu l'existence, au profit des collectivités touchées, d'un préjudice écologique personnel.
Pour déterminer la responsabilité des personnes physiques sur le fondement des articles L. 218-10 et suivants du Code de l'environnement, qui répriment la pollution par les rejets des navires, la Cour a recherché les causes du sinistre et retenu que le processus de ruine de l'Erika était la conséquence directe d'une grave corrosion, en relation directe avec l'insuffisance d'entretien du navire. Ainsi, l'armateur et le gestionnaire du navire, qui détenaient l'un et l'autre un pouvoir de direction sur la gestion ou la marche de celui-ci ont, selon la Cour, commis une faute en relation de causalité directe avec le naufrage, en minimisant volontairement l'entretien de l'Erika. Le premier a, en outre, commis la faute caractérisée, indirectement à l'origine du sinistre, d'affréter un navire dont l'entretien avait été volontairement négligé, faisant courir au navire le risque de faire naufrage et à son équipage celui d'être noyé. Sont également retenues à l'encontre du gestionnaire des fautes caractérisées en relation de causalité indirecte avec le naufrage : celle de ne pas avoir averti l'État côtier comme le lui imposait le Shore based contingency plan et celle de n'avoir pris aucune mesure pour combattre ou limiter les effets de la pollution.
S'agissant des personnes morales, la Cour a estimé que la société de classification disposait d'un pouvoir de contrôle sur la gestion de l'Erika et que la confirmation du certificat de classe du navire, intervenue en 1999, était fautive et en relation de causalité avec le naufrage (si le certificat n'avait pas été prorogé, l'Erika n'aurait pu naviguer et sombrer). S'agissant de Total, véritable affréteur de l'Erika, elle a relevé que la violation des règles mises en place pour le Vetting (inspection externe générée par le service commercial du navire ayant pour but de déterminer les risques que celui-ci peut présenter pour la compagnie pétrolière) constituait une faute d'imprudence en relation de causalité avec le dommage : si une nouvelle inspection avait eu lieu (elle aurait dû intervenir puisque l'acceptation du navire par le service en question était périmée), elle aurait nécessairement révélé que le certificat de classe était limité à janvier 2000 et que le navire présentait des déficiences et un âge qui auraient conduit à son refus.
Sur l'action publique, les peines prononcées sont donc confirmées, compte tenu de l'ampleur de la pollution, de la gravité des fautes commises, des ressources et des charges des condamnés.
Sur l'action civile, on signalera que la Cour a considéré que seuls les trois premiers prévenus pouvaient se voir réclamer des dommages-intérêts par les parties civiles, la société Total étant protégée par les dispositions de la convention internationale Civil Liability Convention, dite « CLC », qui canalise la responsabilité de la pollution par hydrocarbures sur le propriétaire du navire d'où ils se sont échappés. Sur le préjudice des parties civiles, elle a estimé, sur le fondement de l'article L. 1111-2 du Code général des collectivités territoriales, que chaque collectivité territoriale pouvait se prévaloir d'un préjudice écologique personnel, et déduit de l'article L. 142-4 du Code de l’environnement qu'il suffisait qu'une pollution touche le territoire d'une collectivité pour que celle-ci puisse réclamer, à l'instar des associations de protection de l'environnement, la réparation du préjudice direct ou indirect que celle-ci lui avait personnellement causé.
Paris, pôle 4, 11e ch., 30 mars 2010, RG n° 08/02278
Références
« Celui qui exploite un navire en son nom. Présumé être le propriétaire du navire ; peut en être parfois l’affréteur. »
« Effet sur la terre, les eaux, l’atmosphère, des déversements de déchets, de produits résiduaires solides, liquides ou gazeux et de l’utilisation systématique de substances chimiques qui, au-delà d’une limite de quantité vite atteinte, détruisent la fertilité des sols après l’avoir exaltée ; effet enfin du déséquilibre de la vie naturelle par l’anéantissement de certaines classes de vie (oiseaux, insectes, arbres et plantes), incapables de résister à l’excès des stérilisations et des déjections industrielles. »
« Nom donné à la victime d’une infraction lorsqu’elle exerce les droits qui lui sont reconnus en cette qualité devant les juridictions répressives (mise en mouvement de l’action publique, action civile en réparation). »
Désigne, principalement, les détériorations directes ou indirectes mesurables de l’environnement qui créent un risque d’atteinte grave à la santé humaine du fait de la contamination des sols, ou qui affectent gravement l’état écologique, chimique ou quantitatif (ou le potentiel écologique) des eaux, ou qui compromettent le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable des habitats naturels et de certaines espèces de faune sauvage.
En application du principe pollueur-payeur, la responsabilité environnementale incombe à l’exploitant dont l’activité est à la source du dommage causé à l’environnement.
Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.
■ Article L. 1111-2 du Code général des collectivités territoriales
« Les communes, les départements et les régions règlent par leurs délibérations les affaires de leur compétence.
Ils concourent avec l'État à l'administration et à l'aménagement du territoire, au développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique, ainsi qu'à la protection de l'environnement, à la lutte contre l'effet de serre par la maîtrise et l'utilisation rationnelle de l'énergie, et à l'amélioration du cadre de vie. Chaque année, dans les communes ayant conclu avec l'État un contrat d'objectifs et de moyens relevant de la politique de la ville ou ayant bénéficié de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale, au cours de l'exercice précédent, il est présenté, avant la fin du deuxième trimestre qui suit la clôture de cet exercice, un rapport aux assemblées délibérantes des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale compétents sur les actions menées en matière de développement social urbain. Ce rapport retrace l'évolution des indicateurs relatifs aux inégalités, les actions entreprises sur les territoires concernés et les moyens qui y sont affectés.
Les communes, les départements et les régions constituent le cadre institutionnel de la participation des citoyens à la vie locale et garantissent l'expression de sa diversité. »
Article L. 142-4
« Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect au territoire sur lequel ils exercent leurs compétences et constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l'environnement ainsi qu'aux textes pris pour leur application. »
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