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À vos copies !
Droit des personnes
Action négatoire de nationalité
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 1re, 13 mai 2020, n° 19-50.025 (V. l’arrêt ci-dessous).
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
Faits et procédure : Une femme s’était vue délivrer un certificat de nationalité française, comme étant née le 6 octobre 1992 au Cameroun d’un père français. Soutenant que ce certificat avait été délivré au vu d’un acte de naissance apocryphe, le ministère public l’a assignée, par acte du 22 décembre 2015, devant le tribunal de grande instance pour voir prononcer l’annulation de ce certificat, et constater l’extranéité de cette personne.
La cour d’appel déclara son action prescrite sur le fondement de droit commun de la prescription, le délai trentenaire antérieurement prévu et depuis la loi du 17 juin 2008, réduit à cinq ans, ayant expiré : le ministère de la justice ayant été informé, par lettre du 18 octobre 2004, par les autorités consulaires françaises au Cameroun, du caractère apocryphe de l’acte de naissance de la jeune femme, le délai de prescription avait couru à compter de cette date et l’action ayant été introduite le 22 décembre 2015, la prescription était désormais acquise.
Énoncé du moyen en cassation : Le ministère public fit grief à l’arrêt d’appel de déclarer son action prescrite alors que l'action négatoire de nationalité, régie par l’article 29-3, alinéa 2 du Code civil, n'est soumise à aucune prescription.
Question de droit : Malgré l’absence de disposition expresse en ce sens, l’action négatoire de nationalité engagée par le ministère public peut-elle être considérée comme soustraite à toute prescription ou bien, pour la même raison, soumise au délai quinquennal de droit commun prévu à l’article 2224 du Code civil ?
Solution : Au visa de l'article 29-3 du Code civil, qui dispose que « toute personne a le droit d'agir pour faire décider qu'elle a ou qu'elle n'a point la qualité de Français » et que « le procureur de la République a le même droit à l'égard de toute personne », la Cour affirme que l’action négatoire de nationalité régie par ce texte n’est soumise à aucune prescription. La décision des juges du fond est donc cassée pour violation de la loi.
L’élaboration du commentaire
L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.
Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. En l’occurrence, l’arrêt porte sur l’action négatoire de nationalité.
La structure du commentaire
Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste :
– à en restituer clairement le sens ;
– à en déterminer la portée ;
– et à en discuter la valeur,
étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.
Proposition de plan détaillé
Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction, il faut insister sur son contexte. Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite.
Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.
I. L’imprescriptibilité de l’action négatoire de nationalité confirmée
A. La constance de la règle
· Question jadis posée en jurisprudence concernant l’action négatoire de nationalité française : quid de la prescription de cette action dans l'hypothèse où celle-ci est engagée à titre principal et par le procureur le procureur de la République ?
· Réponse apportée sans équivocité : cette action en dénégation de la nationalité française n'est soumise à aucune prescription (Civ. 1re, 1er juill. 2003, n° 01-02.242 ; Civ. 1re, 22 juin 2004, n° 02-10.105 ; Civ. 1re, 6 oct. 2010, n° 09-15.792).
La solution rapportée confirme donc sans surprise celle issue de la jurisprudence antérieure de la Cour.
B. La justification de la règle
· Elle n’est pas textuelle ; comme le rappelaient à juste titre les juges du fond, le code civil ne dispose pas que l’action négatoire de nationalité est imprescriptible, ni dans l’article 29-3 du Cod civil consacré ni dans aucune autre disposition.
· Elle relève de la politique juridique poursuivie en matière de contentieux de la nationalité, les actions judiciaires visant à établir la qualité de Français comme celles ayant pour but de contester cette qualité revêtent une importance particulière justifiant de ne pas les enfermer dans un délai d’action. En ce sens, la position de la Cour de cassation s'explique sans doute par la volonté de ne pas limiter dans le temps l’action du ministère public, dont le rôle est en cette matière crucial, qu’il s’agisse de l’action négatoire ou de celle déclaratoire de nationalité, la loi l’instituant comme le « défendeur nécessaire » à cette dernière action.
· Au soutien de la loi relative à la nationalité française, d’ordre public et d’intérêt supérieur à celles régissant le seul état des personnes, l’action permettant au ministère public d’assigner une personne devant le juge judiciaire afin de faire juger qu’elle n’a pas la nationalité française est pour cette raison imprescriptible.
Transition : même ainsi justifiée, cette absence de prescription n’en demeure pas moins contestée.
II. L’imprescriptibilité de l’action négatoire de nationalité contestée
A. Une imprescriptibilité questionnée
· Sur sa conformité à la Constitution : QPC transmise au Cons. const. : caractère sérieux d’une QPC dans la mesure où l’action du ministère public, en ce qu’elle n’est soumise à aucune prescription, est susceptible de porter atteinte tant au droit à un procès équitable dès lors qu’elle oblige quiconque à conserver, sa vie durant, les éléments probatoires sur le fondement desquels a été reconnue sa qualité de Français, qu’au droit au respect de la vie privée en raison de la menace perpétuelle qui en résulte d’une exclusion de la communauté nationale : Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 13-40.044.
· Le Conseil constitutionnel a néanmoins jugé cette action conforme à la Constitution, v. Cons. const., 22 nov. 2013, n° 2013-354 QPC.
B. Une imprescriptibilité critiquée
· Par une partie de la doctrine ; v. notam. P. Lagarde (La nationalité française, 4e éd., Dalloz, 2011), appelant de ses vœux une modification de la jurisprudence précitée en faisant valoir que « l'imprescriptibilité de l'action négatoire manque en effet de fondement juridique solide » et que la Cour de cassation « aurait pu tout aussi bien (et même mieux) constater qu'aucun texte ne déclarant cette action imprescriptible, elle est soumise à la prescription de droit commun » (Rev. crit. DIP 2014. 85, note P. Lagarde, note n° 4, ss. Cons. const., 22 nov. 2013, n° 2013-354 QPC).
· D’aucuns avancent également l’intérêt de soumettre cette action à la prescription extinctive de droit dans le but de ne pas rompre l’uniformité du régime applicable aux actions d’état qui, jadis imprescriptibles, sont désormais toutes soumises à la prescription (v. François Mélin, Dalloz Actualité, 2 juin 2020).
Civ. 1re, 13 mai 2020, n° 19-50.025
Le procureur général près la cour d'appel de Nancy, domicilié en son parquet général, [...], a formé le pourvoi n° T 19-50.025 contre l'arrêt rendu le 5 mars 2019 par la cour d'appel de Nancy (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme F... M..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Acquaviva, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de Mme M..., après débats en l'audience publique du 3 mars 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Acquaviva, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 5 mars 2019), Mme F... H... M... s'est vue délivrer un certificat de nationalité française, comme étant née le [...] à Douala (Cameroun), d'un père français.
2. Soutenant que ce certificat avait été délivré au vu d'un acte de naissance apocryphe, le ministère public l'a assignée, par acte du 22 décembre 2015, devant le tribunal de grande instance pour voir prononcer l'annulation de ce certificat, et constater son extranéité.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Le ministère public fait grief à l'arrêt de déclarer son action prescrite, alors « que l'action négatoire de nationalité française régie par l'article 29-3, alinéa 2, du code civil n'est soumise à aucune prescription ; qu'en décidant que lorsqu'une personne s'est vu délivrer un certificat de nationalité française, l'action du ministère public qui conteste cette nationalité se prescrit dans le délai de cinq ans prévu à l'article 2224 du code civil, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 29-3 du code civil :
4. L'action négatoire de nationalité régie par ce texte n'est soumise à aucune prescription.
5. Pour déclarer irrecevable l'action du ministère public, l'arrêt retient, d'abord, que le code civil ne dispose pas que l'action négatoire de nationalité est imprescriptible, et qu'il y a lieu, dès lors, de se référer au délai de droit commun de la prescription qui était de trente ans avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du17 juin 2008, et a été ramené à cinq ans par cette loi. Il relève, ensuite, que le ministère de la justice ayant été informé, par lettre du 18 octobre 2004, par les autorités consulaires françaises au Cameroun, du caractère apocryphe de l'acte de naissance de Mme M..., le délai de prescription a couru à compter de cette date et que, l'action ayant été introduite le 22 décembre 2015, la prescription est acquise.
6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable l'action du ministère public, l'arrêt rendu le 5 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy autrement composée ;
Condamne Mme M... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme M... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize mai deux mille vingt.
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