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Droit de la consommation
Appréciation et application dans le temps de la loi Macron contre les clauses abusives en droit commercial
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Com. 16 févr. 2022, n° 20-20.429
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
■ Sélection des faits : Une station de lavage auto exerçait depuis 2005 sous l'enseigne franchisée Eléphant Bleu. À l’expiration du contrat, en 2008, Eléphant Bleu demandait l’application d’une clause du contrat de franchise obligeant l’ancien franchisé à repeindre dans les six mois à compter de la cessation du contrat sa station de lavage, sans utiliser « le blanc, symbole de propreté, et le bleu, symbole de l'eau ». L’ancien franchisé demanda en justice la nullité de cette clause.
■ Qualification des faits : Un contrat de franchise avait été signé en 2005 et était arrivé à son terme en 2008. Le litige entre les parties portait sur une clause interdisant à l’ancien franchisé l’utilisation des couleurs du franchiseur (composant son identité visuelle).
■ Procédure : Voyant dans cette clause une « restriction à la liberté d'exercice de l'activité commerciale de l'exploitant », la cour d’appel la réputa non-écrite en application de l’article L. 341-2 I du code de commerce, issu de la loi Macron du 6 août 2015, réputant non écrite « (t)oute clause ayant pour effet, après l'échéance ou la résiliation d'un des contrats mentionnés à l'article L. 341-1, de restreindre la liberté d'exercice de l'activité commerciale de l'exploitant qui a précédemment souscrit ce contrat (…) ». Pour juger cette disposition applicable à la clause du contrat litigieux conclu antérieurement, la juridiction du second degré s’appuya sur une disposition transitoire de la loi précitée, prévoyant que le nouveau texte du code de commerce s'appliquerait à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi. Elle a déduit de l’existence de cette période transitoire qu'un an après la promulgation de la loi, devait être réputée non écrite toute clause ayant pour effet, après l'échéance ou la résiliation d'un contrat tel le contrat de franchise litigieux, de restreindre la liberté d'exercice de l'activité commerciale de l'exploitant qui l'a précédemment souscrit, peu important qu’en l’espèce, le contrat arrivé à son terme le 19 juin 2008 sans avoir été renouvelé, soit antérieurement à la loi nouvelle.
■ Moyen du pourvoi : Le franchiseur soutenait d’une part que la seule restriction à l'exercice d'une activité professionnelle ne justifie pas d'annuler la clause du contrat de franchise interdisant au franchisé d'utiliser les signes distinctifs de ralliement de la clientèle tant qu'elle ne lui interdit pas de poursuivre son activité par l'utilisation d'autres signes. Il contestait d’autre part l’application rétroactive au litige, motif pris du dispositif transitoire de l’article L. 341-2 quand cette disposition nouvelle était impuissante à remettre en cause la validité d'une stipulation licite au moment de sa conclusion.
■ Problème de droit : Deux questions étaient posées : le caractère abusif de la clause contestée et l’application dans le temps de l’article L. 341-2 I du code de commerce issu de la loi du 6 août 2015. Ce qui faisait naître deux problèmes de droit distincts :
- Le fait d’interdire par une clause l’utilisation des couleurs définie par le franchiseur (en l’espèce le bleu et le blanc) plus d’une année après le terme du contrat porte-t-il abusivement atteinte à la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’exploitant, justifiant de la réputer non écrite ?
- Le cas échéant, la loi nouvelle réprimant ce type d’abus peut-elle s’appliquer à la clause litigieuse stipulée antérieurement à sa promulgation ?
■ Solution : Cassation au visa de l’article 1134 ancien du code civil : « En se déterminant ainsi, par des motifs tirés de la restriction apportée par la clause à l'activité de l'exploitant, impropres à établir une atteinte disproportionnée au principe de la liberté d'entreprendre, au regard des intérêts légitimes du franchiseur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ».
Cassation au visa de l'article 2 du code civil et l'article 31, II de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 : « la loi nouvelle ne peut, sauf rétroactivité expressément stipulée par le législateur, inexistante en l'espèce, remettre en cause la validité d'une clause contractuelle régie par les dispositions en vigueur à la date où le contrat a été passé ».
I. La recherche de l’abus
A. Le critère de l’abus
● C. com., art. L. 341-2 : « Toute clause ayant pour effet, après l'échéance ou la résiliation d'un des contrats mentionnés à l'article L. 341-1, de restreindre la liberté d'exercice de l'activité commerciale de l'exploitant qui a précédemment souscrit ce contrat est réputée non écrite » ; critère de l’abus = l’atteinte à « l’activité commerciale » de la partie faible au contrat, en l’espèce l’ancien franchisé ; atteinte en l’espèce caractérisée ;
● Portée : influence et force d’expansion du droit de la consommation, en particulier du droit des clauses abusives, sur les autres branches du droit, ici en droit commercial ; extension du champ du contrôle judiciaire des clauses abusives ; comp. not. en droit de la concurrence (autre droit spécial), C. com. art. L 442-1, I, 2 ; et en droit commun du contrat, C. civ., art. 1171.
B. Le contrôle de l’abus
● Depuis 2015, contrôle des clauses restrictives de la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’exploitant ; en l’espèce, contrôle opéré par les juges du fond ; abus de la clause litigieuse caractérisé mais écarté par la Cour de cassation ; l’objet du contrôle opéré par la cour d’appel n’était pas le bon ;
● Objet du contrôle : articulation entre la liberté d’entreprendre et la force obligatoire du contrat ; en la circonstance, il ne s’agissait pas de savoir si la clause restreignait la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’ancien franchisé, mais si elle portait une atteinte disproportionnée à sa liberté d’entreprendre ; contrôle classique de proportionnalité : appréciation in concreto mettant en balance les intérêts des cocontractants avec la liberté fondamentale d’entreprendre ; au cas d’espèce, absence d’atteinte disproportionnée à cette liberté et au vu des intérêts légitimes du franchiseur, la force obligatoire du contrat devait s’appliquer ;
● Déplacement de l’objet du contrôle – de l’abus à la proportionnalité de la clause litigieuse - en raison de l’inapplicabilité ratione temporis de l’article L. 341-2 issu de la loi Macron.
II. La recherche de la loi applicable à l’abus
A. Les critères d’application de la loi nouvelle
● Art. 2 C. civ. : principe d’application immédiate et de non-rétroactivité de la loi nouvelle ; en l’espèce, seul ce dernier principe était en jeu car le problème soulevé concernait une situation passée, antérieure à la loi nouvelle ;
● Sens du ppe de non-rétroactivité : pas d’emprise de la loi nouvelle sur les conditions de validité d’une situation juridique légale ou contractuelle passée ; une situation régulièrement constituée sous l’empire de la loi ancienne ne pourra être invalidée par la loi nouvelle ;
● Limite : décision du législateur de déclarer la loi nouvelle expressément rétroactive.
B. L’inapplicabilité de la loi nouvelle
● CA : application de la loi nouvelle ayant prévu un dispositif transitoire disposant que le nouveau texte de l’art. 341-2 s'appliquerait à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi, sans mentionner expressément qu'elle rétroagit sur la validité des contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur ;
● Cour de Cassation : violation de l’article 2 et du ppe de non-rétroactivité ; application rétroactive de la loi nouvelle à la clause d’un contrat arrivé à son terme le 19 juin 2008 sans avoir été renouvelé ;
● Application rétroactive non justifiée par le dispositif transitoire, reportant au contraire la date d’application de la loi, normalement applicable dès son entrée en vigueur (en vertu du principe de l’application immédiate de la loi nouvelle) ; absence de rétroactivité expresse dans ce dispositif, ni dans une autre disposition de la loi Macron, susceptible d’avoir pour effet d’invalider une clause valablement stipulée antérieurement ;
● Conséquences : applicabilité, en l’espèce, de la loi en vigueur à la date de conclusion du contrat (loi ancienne) ; contrôle de l’abus prévu par la loi Macron paralysé, d’où le contrôle de proportionnalité finalement exercé ;
● Conclusion : licéité de la clause au regard de la loi ancienne applicable, et proportionnalité de la clause en vertu du contrôle judiciaire de proportionnalité.
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