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Articulation et contradiction des modes de réception des travaux

[ 23 novembre 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Articulation et contradiction des modes de réception des travaux

Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.

Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 3e, 20 oct. 2021, n° 20-20.428

Travail préparatoire

Rappel de méthodologie

Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.

En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.

En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.

Analyse de l’arrêt

Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :

– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;

– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;

– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;

– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;

– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.

Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :

Sélection des faits Sous la maîtrise d'œuvre d’un architecte, un maître d’ouvrage confie des travaux de rénovation d'un chalet en bois à une société. Après avoir signé un procès-verbal de réception avec le seul architecte, la société n’ayant pas été convoquée, le maître d’ouvrage assigne l’architecte et son assureur en indemnisation, se plaignant de malfaçons dans la réalisation des travaux.

Qualification des faits : Un maître d’ouvrage avait confié à un entrepreneur des travaux de rénovation d’un chalet, sous la maîtrise d’œuvre d’un architecte. Concrétisées par la signature d’un procès-verbal de réception, les opérations de réception s’étaient déroulées en la seule présence du maître de l’ouvrage et du maître d’œuvre, l’entrepreneur n’ayant pas été convoqué. Se plaignant ultérieurement de malfaçons, le maître de l’ouvrage avait assigné le maître d’œuvre et son assureur en indemnisation.

Procédure : Condamné à indemniser le maître de l’ouvrage, le maître d’œuvre rechercha la garantie de l’assureur du constructeur. Dans cette perspective, il demanda aux juges du fond de constater l’existence d’une réception tacite opposable à l’entrepreneur, qui serait intervenue concomitamment à la réception expresse de l’ouvrage. Subsidiairement, il sollicita la réception judiciaire.

Moyens du pourvoi : Ses demandes rejetées, il forma un pourvoi en cassation, soutenant que la prise de possession des lieux et le fait qu’aucune somme n’ait été réclamée par l’entrepreneur laissait présumer une réception tacite de l’ouvrage à l’égard de l’entrepreneur, nonobstant sa réception expresse et non contradictoire.

Problème de droit : Une demande de constatation d’une présomption de réception tacite peut-elle être accueillie malgré l’existence d’une réception expresse et l’absence de contradiction de cette réception ?

Réponse de la Cour. A cette question, la troisième chambre civile répond par la négative et rejette le pourvoi. La Cour juge en effet que : « 4. La cour d’appel a relevé que la volonté [du maître de l’ouvrage], de recevoir l’ouvrage a été concrétisée par la signature, le 18 juin 2007, d’un procès-verbal de réception avec l’architecte. 5. D’une part ayant retenu que la demande de l’architecte et de son assureur, de constater l’existence d’une présomption de réception tacite à l’égard de [l’entrepreneur], qui n’avait pas été convoqué à la réception expresse, visait à contourner l’exigence du respect du contradictoire, la cour d’appel en a déduit à bon droit qu’elle devait être rejetée. 6. D’autre part, le liquidateur judiciaire de [l’entrepreneur] n’ayant pas été appelé à l’instance, il n’était pas tenu de répondre à des conclusions inopérantes sur le prononcé d’une réception judiciaire, celle-ci devant être prononcée contradictoirement en application de l’article 1792-6 du Code civil. »

L’élaboration du commentaire 

L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.

Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. 

En l’occurrence, l’arrêt porte l’articulation et la contradiction des modes de réception des travaux.

La structure du commentaire

Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste :

– à en restituer clairement le sens ;

– à en déterminer la portée ;

– et à en discuter la valeur,

étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.

Proposition de plan détaillé

Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction, il faut insister sur son contexte. Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite.

Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.

I.               L’exclusivité des modes de réception de l’ouvrage

A.     La pluralité des modes de réception

·       Notion de réception : acte juridique unilatéral par lequel le maître de l’ouvrage approuve les travaux accomplis par l’entrepreneur, reconnaît la conformité de l’ouvrage construit à celui commandé et déclare l’accepter, avec ou sans réserves (C. civ., art. 1792-6, al. 1er).

·       Formes de la réception : C. civ., art. 1792-6, al. 1er : « La réception intervient (…) soit à l’amiable, soit à défaut judiciairement » : 1 mode judiciaire et 2 modes de réception amiable : expresse et tacite ; réception tacite = création prétorienne : possibilité d’une réception même en l’absence d’expression formalisée de la volonté du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage (Civ. 3e, 12 oct.1988, n° 87-11.174), à condition de caractériser sa volonté non équivoque de réceptionner l’ouvrage. En général, la prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux font présumer l’univocité de la réception, avec ou sans réserves (Civ. 3e, 30 janv. 2019, n° 18-10.197 ; Civ. 3e, 18 mai 2017, n° 16-11.260).

·       Trois modes possibles de réception : expresse (volonté du maître d’ouvrage extériorisée par les opérations de réception) ; tacite (volonté déduite des circonstances) ; judiciaire (constatation par le juge que l’immeuble est en état d’être reçu, nonobstant la volonté du maître de l’ouvrage)

B.     L’imperméabilité des modes de réception

·       Thèse du pourvoi : compatibilité des réceptions expresse et tacite ; or en l’espèce, la prise de possession des lieux par le maître de l’ouvrage à une date où aucune somme ne lui était réclamée par l’entrepreneur au titre du marché laissait présumer la réception tacite de l’ouvrage par son constructeur (comp. Civ. 3e, 24 nov. 2016, n° 15-25.415) ; présomption renforcée par l’existence d’une réception expresse, même non opposable.

·       Moyens non fondés : exclusion de la réception tacite par la réception expresse ; incompatibilité de principe entre ces 2 modes de réception : la réception tacite n’a pas lieu d’être recherchée si la volonté de recevoir l’ouvrage s’est déjà expressément exprimée. Or en l’espèce, la réception par le maître de l’ouvrage à l’égard du maître d’œuvre fut expresse (signature d’un procès-verbal de réception), et non opposable à l’entrepreneur / même incompatibilité de principe entre réceptions expresse et judiciaire, celle-ci n’ayant pas lieu d’être ordonnée lorsque le maître a volontairement acquiescé à la réception de l’ouvrage.

= Ce n’est donc qu’à défaut de réception expresse que la réception tacite ou judiciaire peut être sollicitée.

II.          La commune exigence d’une réception contradictoire de l’ouvrage

A.      Le rappel de l’exigence de contradiction de la réception

·       Judiciaire ou amiable, la réception, doit, en toute hypothèse, être contradictoire (C. civ., art. 1792-6 : « (La réception) est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement »).

·        En cas d’accord entre les parties, la réception intervient à l’amiable : caractère contradictoire induit du seul fait de l’existence de cet accord (Paris, 20 nov. 1985 ; D. 1986. 567), même tacite (Civ. 3e, 4 avr. 1991, n° 89-20.127); à défaut d’accord amiable, nécessité pour les juges du fond de relever le caractère contradictoire de la réception : Civ. 3e, 16 févr. 1994, n° 92-14-342.

·       Manifestation de la contradiction : participation aux opérations de réception de l’ouvrage ; quid en cas de réception tacite, par essence non formalisée ? Critères d’une réception tacite contradictoire : prise de possession de l’ouvrage + circonstances entourant celle-ci (Civ. 3e, 16 févr. 1994, n° 92-14-342); en l’espèce, la cour d’appel a relevé que la demande en constatation d’existence d’une présomption tacite visait à contourner le respect du contradictoire, d’où le rejet de la demande.

B.     Le constat de l’absence de contradiction de la réception

·       En l’espèce, entrepreneur non convoqué aux opérations de la réception ; comp. Civ. 3e, 7 mars 2019, n° 18-12.221 : caractère contradictoire de la réception prononcée en présence du maître d’œuvre et du maître de l’ouvrage, alors que l’entrepreneur avait été valablement convoqué par LR et télécopie.

·       Volonté délibérée de soustraire à cette exigence : la demande du maître d’œuvre en constatation de réception tacite avait pour seul but de rendre celle-ci opposable au constructeur non convoqué, au mépris du principe de la contradiction, qui ne se présume pas.

·       Sanction : validité de la réception entre les parties y ayant pris part (en l’espèce, les signataires du PV) mais inopposabilité à l’égard de l’entrepreneur non convoqué.

 


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