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Clauses limitatives de responsabilité

[ 10 septembre 2010 ] Imprimer

Droit des obligations

Clauses limitatives de responsabilité

Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.

Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Com. 29 juin 2010, n°09-11.841, sur les clauses limitatives de responsabilité.

Arrêt

« Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 novembre 2008), que la société Faurecia sièges d'automobiles (la société Faurecia), alors dénommée Bertrand Faure équipements, a souhaité en 1997 déployer sur ses sites un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale ;qu'elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais quine devait pas être disponible avant septembre 1999 ; qu'un contrat de licences, un contrat de maintenance et un contrat de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu'un contrat de mise en œuvre du "programme Oracle applications" a été signé courant juillet 1998 entre ces sociétés ; qu'en attendant, les sites ibériques de la société Faurecia ayant besoin d'un changement de logiciel pour passer l'an 2000, une solution provisoire a été installée ; qu'aux motifs que la solution provisoire connaissait de graves difficultés et que la version V 12ne lui était pas livrée, la société Faurecia a cessé de régler les redevances ; qu'assignée en paiement par la société Franfinance, à laquelle la société Oracle avait cédé ces redevances, la société Faurecia a appelé en garantie la société Oracle puis a assigné cette dernière aux fins de nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l'ensemble des contrats signés par les parties ; que la cour d'appel a, par application d'une clause des conventions conclues entre les parties, limité la condamnation de la société Oracle envers la société Faurecia à la garantie de la condamnation de celle-ci envers la société Franfinance et rejeté les autres demandes de la société Faurecia ; que cet arrêt a été partiellement cassé de ce chef(chambre commerciale, financière et économique, 13 février 2007, pourvoi n° Z 05-17.407) ; que, statuant sur renvoi après cassation, la cour d'appel, faisant application de la clause limitative de réparation, a condamné la société Oracle à garantir la société Faurecia de sa condamnation à payer à la société Franfinance la somme de203 312 euros avec intérêts au taux contractuel légal de 1,5 %par mois à compter du 1er mars 2001 et capitalisation des intérêts échus dans les termes de l'article 1154 à compter du 1er mars 2002 ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Faurecia fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen :

1°/ que l'inexécution, par le débiteur, de l'obligation essentielle à laquelle il s'est contractuellement engagé emporte l'inapplication de la clause limitative d'indemnisation ; qu'en faisant application de la clause limitative de responsabilité après avoir jugé que la société Oracle avait manqué à l'obligation essentielle tenant à la livraison de la version V 12 en1999, laquelle n'avait pas été livrée à la date convenue, ni plus tard et que la société Oracle ne démontrait aucune faute imputable à la société Faurecia qui l'aurait empêchée d'accomplir ses obligations, ni aucun cas de force majeure, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi les articles 1131, 1134 et 1147 du code civil ;

2°/ qu'en jugeant que la clause limitative de responsabilité aurait été prétendument valable en ce qu'elle aurait été librement négociée et acceptée et qu'elle n'aurait pas été imposée à Faurecia, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, violant ainsi les articles 1131, 1134, 1147 du code civil ;

3°/ qu'en jugeant que la clause, qui fixait un plafond d'indemnisation égal au montant du prix payé par Faurecia au titre du contrat des licences n'était pas dérisoire et n'avait pas pour effet de décharger par avance la société Oracle du manquement à une obligation essentielle lui incombant ou de vider de toute substance cette obligation, la cour d'appel a violé les articles 1131, 1134, 1147 du code civil ;

Mais attendu que seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur ; que l'arrêt relève que si la société Oracle a manqué à une obligation essentielle du contrat, le montant de l'indemnisation négocié aux termes d'une clause stipulant que les prix convenus reflètent la répartition du risque et la limitation de responsabilité qui en résultait, n'était pas dérisoire, que la société Oracle a consenti un taux de remise de 49 %, que le contrat prévoit que la société Faurecia sera le principal représentant européen participant à un comité destiné à mener une étude globale afin de développer un produit Oracle pour le secteur automobile et bénéficiera d'un statut préférentiel lors de la définition des exigences nécessaires à une continuelle amélioration de la solution automobile d'Oracle pour la version V 12d'Oracles applications ; que la cour d'appel en a déduit que la clause limitative de réparation ne vidait pas de toute substance l'obligation essentielle de la société Oracle et a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société Faurecia fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'après avoir constaté que la société Oracle n'avait pas livré la version V 12, en considération de laquelle la société Faurecia avait signé les contrats de licences, de support technique, de formation et de mise en œuvre du programme Oracle applications, qu'elle avait ainsi manqué à une obligation essentielle et ne démontrait aucune faute imputable à la société Faurecia qui l'aurait empêchée d'accomplir ses obligations, ni aucun cas de force majeure, la cour d'appel a jugé que n'était pas rapportée la preuve d'une faute d'une gravité telle qu'elle tiendrait en échec la clause limitative de réparation ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant les articles 1134, 1147 et 1150 du code civil ;

Mais attendu que la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu que les deuxième et quatrième moyens ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ; »

 

Travail préparatoire

 

Rappel de méthodologie

Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.

■ En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose : 

– d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre ;

– ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt que vous devez commenter a résolu. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise ;

– enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commenter et donc de mieux l’expliquer.

■ En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontré que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond ; il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut : 

– exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation ;

– et, vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes. 

Analyse de l’arrêt

Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :

– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;

– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;

 – ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, ensuite le moyen du pourvoi ; 

– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ; 

– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.

Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :

Sélection des faits   : La société F. a conclu plusieurs contrats de licences, de maintenance et de formation avec la société O. Des difficultés d’exécution interviennent et la société F. arrête de payer ses redevances. La société O assigne en paiement la société F qui se retourne contre elle et agit en nullité et en résolution des contrats.

Qualification des faits : Deux sociétés concluent divers contrats d’entreprise. L’une d’entre elles refuse de payer ses obligations en raison de difficultés d’exécution imputables à son cocontractant qui l’assigne en paiement. Réciproquement, la première société exerce plusieurs actions en justice afin d’obtenir l’anéantissement des contrats, ainsi que la mise en jeu de la responsabilité de son cocontractant.

Exposé de la procédure : La cour d’appel retient la responsabilité de la société O pour inexécution de son obligation contractuelle essentielle, mais limite la réparation qu’elle doit verser à la société F en se fondant sur la clause limitative de réparation stipulée dans un des contrats conclus entre les parties. L’arrêt des juges du fond avait été cassé déjà par un premier arrêt de la Cour de cassation qui avait écarté le jeu de la clause limitative de réparation et renvoyé l’affaire devant une autre cour d’appel, laquelle a, à nouveau, décidé que la clause limitative de réparation était efficace. La société forme un pourvoi au moyen d’une part qu’une clause qui limite la réparation du dommage causé par l’inexécution d’une obligation essentielle est réputée non écrite, d’autre part, que la faute lourde, qui procède du manquement à l’obligation essentielle, emporte l’inefficacité de la clause litigieuse. 

Énoncé de la question de droit : La question de droit se dédouble comme le révèle la lecture des deux moyens repris dans l’arrêt à commenter :

– Une clause limitative de réparation peut elle limiter la réparation du dommage causé par le manquement à une obligation essentielle ? C’est la question de la validité de la clause ;

– Une faute est elle lourde du seul fait que le manquement porte sur l’obligation contractuelle essentielle ? C’est la question de l’efficacité de la clause.

Exposé de la décision : La Cour de cassation décide :

– en premier lieu, que « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur » ;

– et, en second lieu, que « la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ».

L’élaboration du commentaire : L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.

Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification de la question de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. En l’occurrence, le thème général réside dans les clauses de responsabilité. Il vous fait alors regarder votre cours et rechercher ce qui vous a été dit sur la question et chercher dans les ouvrages et les revues. En l’espèce, vous pouvez faire un commentaire dense et riche de cet arrêt en exploitant trois éléments bibliographiques :

 – d’abord, le Précis Dalloz de Droit des obligations de MM. Terré, Simler et Lequette, qui comporte des développements sur la question de la validité et de l’efficacité des obligations.

–  ensuite, l’ouvrage Les grands arrêts de la jurisprudence civile de MM. Terré et Lequette qui contient de très substantiels développements sur la question et qui vous permettra de nourrir votre commentaire, notamment sur la valeur de la décision à commenter.

–    enfin, la chronique de Denis Mazeaud, « Clauses limitatives de réparation : la fin de la saga ? », publié au Recueil Dalloz.        

La structure du commentaire : Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il suffit de se laisser porter par la lettre de l’arrêt qui est structuré autour de deux moyens sur lesquels la Cour prend nettement partie. La Cour se prononce : 

– d’une part sur la validité des clauses qui aménagent la sanction de l’inexécution d’une obligation contractuelle essentielle ;

– d’autre part, sur l’efficacité de telles clauses, à travers la notion de faute lourde.

Il suffit donc de bâtir le plan du commentaire autour de ce diptyque. On peut alors songer à un plan ultra simple : I. La validité de la clause

II. L’efficacité de la clause  

On peut aussi choisir à travers le plan de mettre en avant le centre de gravité des deux règles énoncées par la Cour de cassation, à savoir : 

I. La contradiction illégitime

II. La gravité du manquement

 Le premier concept est celui qui limite la validité des clauses qui cantonnent la réparation du dommage causé par l’inexécution d’une obligation essentielle : il ne faut pas que la clause contredise la portée de cette obligation.

Le second constitue le cœur de la définition de la faute lourde qui dépend donc de la gravité du manquement et pas de son seul objet.

 

Proposition de plan détaillé

 

Introduction

Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction (v. ci-dessus), il faut situer l’arrêt dans son contexte « historique » et juridique. Or, cet arrêt constitue peut-être le dernier épisode d’une longue et célèbre jurisprudence qui a commencé avec le premier arrêt rendu dans l’affaire Chronopost par la Cour de cassation le 22 octobre 1996. Depuis, plusieurs arrêts ont été rendus sur la question de la validité des clauses limitatives de réparation relatives à l’inexécution de l’obligation essentielle. L’arrêt est d’une importance fondamentale parce qu’il prend très clairement partie entre deux thèses qui se sont affrontées en jurisprudence et en doctrine pendant près de 25 ans. Les uns favorables à de telles clauses, à condition qu’elles ne permettent pas au débiteur d’une obligation essentielle d’échapper à la sanction de son inexécution. Les autres défavorables à ces clauses et considérant que la sanction de l’inexécution de l’obligation essentielle n’était pas susceptible d’aménagement contractuel. En somme, sur un plan théorique, en toile de fond, c’est bien de la portée de la liberté contractuelle en matière de responsabilité contractuelle dont il était question.   

Après avoir ainsi situé historiquement et théoriquement l’arrêt, et après avoir souligné son importance fondamentale, vous pouvez intégrer son analyse proprement site (v. ci-dessus).

Après quoi, c’est-à-dire après avoir exposé la solution retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.

I. La validité de la clause

Chapeau – Après avoir rappelé les diverses solutions que la jurisprudence avait retenue quant à la validité d’une clause limitant la responsabilité du débiteur d’une obligation essentielle (A), on s’arrêtera plus précisément sur la règle adoptée par notre arrêt (B).

A. Le rappel des solutions jurisprudentielles

Deux mouvements s’opposaient en jurisprudence :

■ Com. 22 oct. 1996 : 1er arrêt Chronopost. Jurisprudence moralisatrice. En principe, les clauses limitatives de réparation sont valables, même si elles aménagent la sanction de l’inexécution d’une obligation essentielle. Mais il ne faut pas qu’elles contredisent la portée de l’engagement du débiteur d’une telle obligation, ce qui sera le cas si le plafond de réparation fixé par la clause est tellement dérisoire qu’il permet en fait au débiteur de ne pas exécuter son obligation essentielle, faute de sanction réelle de son inexécution.

Cette jurisprudence moralisatrice, qui était reprise par les juges du fond dans notre arrêt, avait été très critiquée en doctrine car elle reposait sur la notion de « cause ». En bref, les juges considéraient que la clause qui fixait un plafond dérisoire en cas d’inexécution de l’obligation essentielle du transporteur privait de cause l’obligation (de payer le prix du transport) du créancier. Beaucoup d’auteurs ont critiqué cette exploitation de la cause et se sont inquiétés de la police judiciaire du contrat que cela pouvait emporter.

■ Com. 13 févr. 2007 : dans une seconde série d’arrêts, dont le premier arrêt de cassation rendu dans notre affaire, la Cour de cassation adoptait quant à ce type de clauses une position liberticide, puisqu’il suffisait qu’une clause aménage la sanction de l’inexécution d’une obligation essentielle pour qu’elle soit réputée non écrite. Avec une telle jurisprudence, la liberté contractuelle était très sensiblement altérée et le destin des clauses limitatives de réparation était compromis, car il est rare que l’inexécution d’une obligation purement accessoire fasse l’objet d’une clause de responsabilité et que la notion d’ »obligation essentielle » brille par son imprécision et sa propension à se répandre dans tout le contrat. Ce mouvement jurisprudentiel était très critiqué par la doctrine qui lui reprochait de fragiliser des clauses qui constituent un instrument privilégié de gestion des risques contractuels et un élément déterminant de l’économie générale de beaucoup de contrats.

B. La règle retenue par la Cour de cassation 

« (…) seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur ».

La Cour de cassation opte définitivement pour l’éviction de la règle liberticide, qui irriguait le pourvoi, selon laquelle la liberté contractuelle bute inéluctablement sur l’obligation essentielle. Elle retient une règle de validité infiniment plus nuancée et plus subtile sur laquelle la liberté ne vient pas s’échouer mais qui en neutralise les excès et les dérives. Une règle morale en somme, en vertu de laquelle, « s’engager à exécuter une obligation contractuelle essentielle et s’affranchir, via une clause de responsabilité, des conséquences de son inexécution ne vaut ! ». 

La Cour de cassation réinsuffle une importante dose de vitalité aux clauses de responsabilité en mettant fin à la séquence jurisprudentielle contraire, puisqu’il ne suffit plus désormais que la clause litigieuse aménage la sanction du manquement à une obligation essentielle pour être neutralisée, il est nécessaire qu’elle vide cette obligation de sa substance et contredise, dès lors, la portée de l’engagement souscrit par le débiteur. Le critère qui doit conduire le juge à décider si la clause est valable ou réputée non écrite ne réside pas dans la nature de l’obligation dont elle aménage la sanction de l’inexécution, mais dans l’effet que produit la clause sur la portée de l’engagement contractuel du débiteur.

La motivation de l’arrêt commenté révèle que la Cour a parfaitement acté l’idée que les clauses limitatives de réparation ne sont pas toujours le produit d’un rapport de forces inégales et le ferment d’une injustice contractuelle qui se cristallise dans le montant dérisoire du plafond de réparation, mais qu’elle constituent aussi parfois le fruit d’une répartition librement négociée des risques de l’inexécution.

II. L’efficacité de la clause

La Cour de cassation prend parti nettement sur la notion de « faute lourde », susceptible d’emporter l’inefficacité des clauses limitatives de réparation. Elle exclut, comme critère de la faute lourde, l’objet du manquement contractuel (A)  et retient celui de la gravité du manquement (B).

A. L’objet du manquement

Naguère, dans plusieurs arrêts rendus dans les années 1980, la Cour de cassation avait décidé que le débiteur commettait une faute lourde, qui emportait la neutralisation des clauses limitatives de réparation, lorsque l’inexécution qui lui était imputable avait pour objet une obligation contractuelle considérée comme essentielle, fondamentale ou substantielle. L’efficacité des clauses de responsabilité était alors sérieusement malmenée par cette définition objective de la faute lourde.

À la fin du xxe siècle, cohabitaient donc deux conceptions de la faute lourde :

– la conception subjective classique, d’une part, fondée sur l’attitude du débiteur, dans laquelle elle est classiquement définie comme la négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur à l’accomplissement de la mission contractuelle qui lui a été confiée ;

– la conception objective moderne, d’autre part, assise sur l’attente légitime du créancier et dont le centre de gravité réside dans l’objet du manquement.

Cette extension de la notion de la faute lourde était critiquée en doctrine ; certains auteurs s’étaient élevés contre ce gauchissement de la notion :« (…) une imprudence ou une négligence dans l’exécution d’une obligation, quel que soit le caractère essentiel de cette obligation, n’est pas nécessairement une faute lourde. Le critère de la faute lourde ne se trouve pas dans l’importance de l’obligation inexécutée, mais dans le comportement du débiteur ». 

La Cour de cassation, elle-même, laissait planer un doute sur l’avenir de cette objectivation de la notion, ainsi que le révèlent les arrêts qu’elle avait rendus, dans l’affaire Chronoposten 2005. Statuant sur la notion de « faute lourde » susceptible de faire échec au plafond légal de réparation dont se prévalait le transporteur rapide, elle avait affirmé que « la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle » et que « seule une faute lourde caractérisée par une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de sa mission contractuelle, peut mettre en échec la limitation d’indemnisation prévue au contrat type établi annexé au décret ». Mais on se demandait si cette solution était circonscrite aux seules clauses limitatives réglementaires prévues dans un contrat-type, établi par décret, à propos desquels ces arrêts avaient été rendus, ou si elle devait être généralisée ?

C’est à cette question que répond la Cour dans l’arrêt commenté.

B. La gravité du manquement

« (…) la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur » décide la Cour dans notre arrêt.

La notion de « faute lourde » est donc désormais recentrée sur la gravité du comportement imputable au débiteur et fondée sur l’idée simple mais juste que l’incurie et l’impéritie du débiteur dans l’accomplissement de sa mission contractuelle excluent, à titre de sanction, qu’il puisse tirer profit d’une clause modérant la sanction d’une telle faute. 

Retour au classicisme donc en matière de faute lourde et nouvel hommage rendu à la liberté contractuelle, laquelle ressort revigorée de cet arrêt.

 

 

 

Références

 

■ D. Mazeaud, « Clauses limitatives de réparation : la fin de la saga ? »D. 2010. 1832.        

 Com. 22 oct. 1996, Chronopostn°93-18.632D. 1997. 121, note Sériaux ; D. 1997. 145, note Larroumet ; D. 1997. 175, note Delebecque ; RTD civ. 1997. 418, note Mestre ; RTD civ. 1998. 213, note Molfessis.

■ Ch. mixte 22 avr. 2005, n°02-18.326 et n°03-14.112 ; D. 2005. 2836, note Amrani-Mekki et Fauvarque-Cosson ; D. 2005. 1864, note Tosi ; RTD civ. 2005. 604, note Jourdain ; RTD civ. 2005. 779, note Mestre et Fages.

■ Com. 13 févr. 2007, n°05-17.407, D. 2007. 654, note Delpech ; RTD civ. 2007. 567, note Fages.

 

 

 

 


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