Actualité > À vos copies !

À vos copies !

Conditions d’annulation du cautionnement vicié par erreur et d’engagement de la responsabilité du banquier et du notaire pour manquement à leur devoir de mise en garde

[ 5 novembre 2024 ] Imprimer

Droit des obligations

Conditions d’annulation du cautionnement vicié par erreur et d’engagement de la responsabilité du banquier et du notaire pour manquement à leur devoir de mise en garde

Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.

Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Com. 9 oct. 2024, n° 23-15.346.

Travail préparatoire

Rappel de méthodologie

Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.

En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.

En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.

Analyse de l’arrêt

Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :

– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;

– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;

– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;

– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;

– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.

Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :

■ Sélection des faits : : Une société cède devant notaire un fonds de commerce, le prix de cession étant financé au moyen d'un prêt contracté par la société ayant acquis le fonds. Ce prêt est garanti par deux cautions. La société cessionnaire du fonds se trouve soumise à une procédure collective. La banque appelle l’une des deux cautions en paiement.

■ Qualification des faits : Conclu sous forme notariée, un prêt contracté pour l’acquisition d’un fonds de commerce est garanti par le cautionnement de deux personnes physiques. La défaillance de la société débitrice principale conduit la banque créancière à assigner l’une des deux cautions en paiement.

■ Procédure : Les deux cautions assignent la banque et le notaire en annulation des actes, sur le fondement de la théorie des vices du consentement, ainsi qu’en responsabilité, pour manquement à leur devoir de mise en garde. La cour d’appel rejette leur action en responsabilité dirigée contre la banque, les condamnant ainsi à l’exécution de leurs engagements de caution, au motif que le seul fait pour la banque de ne pas avoir cherché à obtenir les éléments comptables permettant d’apprécier la capacité de remboursement de l’emprunteur ne suffit pas à constituer un manquement à son obligation de mise en garde. Elle rejette également leur action en responsabilité contre le notaire qui avait établi l’acte de cession du fonds de commerce, malgré le manquement de ce dernier à son obligation de mise en garde de l’acquéreur sur les résultats d’exploitation du fonds, au motif que les cautions étant des tiers à l’acte de cession litigieux, le notaire ne pouvait être tenu envers elles d’aucun devoir d’information et de conseil. Enfin, la cour d’appel déboute les cautions de leur demande d’annulation des cautionnements, celles-ci ne pouvant se prévaloir du dol incident dont la débitrice principale a été victime, comme elles ne peuvent davantage prétendre avoir été victimes d’une erreur sur la solvabilité et la capacité de remboursement de l’emprunteur, l’erreur commise ne portant pas sur la substance de leur engagement.

■ Moyen du pourvoi : Les cautions forment un pourvoi en cassation. En premier lieu, elles rappellent l’obligation du banquier de mettre en garde les cautions profanes de leur risque d’endettement lorsque le prêt garanti se révèle inadapté aux capacités financières de l’emprunteur, ce qui suppose que le banquier s’enquiert de sa capacité de remboursement en se faisant communiquer, en amont, les éléments comptables permettant d’apprécier la situation financière de la société cautionnée. En deuxième lieu, elles soutiennent que l’erreur sur la solvabilité du débiteur principal est une cause de nullité du contrat de cautionnement lorsque cette solvabilité était la condition de l’engagement de la caution. En troisième et dernier lieu, elles soutiennent que la faute du notaire qui manque à son devoir d'information vis-à-vis de la personne morale qui acquiert un fonds de commerce en omettant d'attirer son attention sur l'absence des éléments comptables nécessaires à l'appréciation de la rentabilité du fonds, est à l'origine du préjudice subi par les associés de cette personne morale qui se sont portés cautions de l'emprunt contracté pour cette acquisition.

■ Problème de droit : : 1/ Quelles sont les conditions d’engagement de la responsabilité des banques et des notaires pour manquement à leur devoir d’alerte dans le cadre du cautionnement d’un prêt conclu pour financer l’acquisition d’un fonds de commerce non rentable ?

2/ L’annulation d’un contrat de cautionnement pour erreur sur la solvabilité du débiteur principal peut-elle être obtenue ?

■ Solution : Concernant la responsabilité du banquier, la chambre commerciale de la Cour de cassation juge le moyen non fondé : après avoir rappelé qu’il résulte de l'article 1147 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou qu'il existe un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur, elle apporte une limite à la mise en œuvre, par les cautions, de la responsabilité de la banque pour manquement à ce devoir de mise en garde qui suppose la preuve, à leur charge, de telles inadaptations, et ne résulte pas du seul fait que la banque ne se serait pas fait communiquer des éléments comptables permettant d'apprécier la capacité de remboursement de l'emprunteur.

Concernant la responsabilité du notaire, elle censure l’analyse de la cour d’appel, au motif que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage. Ainsi, bien qu’ils étaient tiers à l'acte notarié portant cession du fonds de commerce, les cautions pouvaient invoquer la faute commise par le notaire vis-à-vis de l'acquéreur, en lien de causalité avec le préjudice en résultant pour eux de s'être rendus cautions de ce dernier, en garantie du prêt qui lui avait été consenti pour financer l'acquisition du fonds.

Concernant la nullité des engagements de cautionnement, elle condamne le refus de la cour d’appel de la prononcer en ce que l’erreur invoquée par les cautions ne porterait pas sur la substance de leur engagement, alors que la juridiction du second degré aurait dû rechercher si les garants n’avaient pas fait de la solvabilité du débiteur principal la condition déterminante de leur engagement.

I. Conditions d’engagement de la responsabilité pour manquement au devoir de mise en garde dans une opération de cautionnement

A. Conditions de la responsabilité du banquier

● Sources : Ch. mixte, 29 juin 2007, n° 05-21.104 et 06-11.673 ; depuis 2016, art. 2299 : devoir de mise en garde de la caution personne physique par le banquier dispensateur de crédit ;

● Dualité d’objet : d’une part, s’assurer que le financement de l’opération garantie n’est pas disproportionné aux ressources de la caution, d’autre part, attirer l’attention de la caution sur l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur ;

● Distinction avec l’obligation de proportionnalité : l’obligation de mise en garde de la banque à l’égard d’une caution non avertie ne se limite pas au caractère manifestement disproportionné de son engagement au regard de ses biens et revenus (Com. 24 nov. 2021, n° 19-25.195) ;

● Limites : la mise en garde porte sur l’existence d’un endettement excessif et non sur les risques de l’opération, la banque n’ayant pas à se prononcer sur les risques ou l’opportunité de l’opération qu’elle finance, telle que l’absence, en l’espèce avérée, de rentabilité de l’opération financée ; partant, le devoir de mise en garde du banquier ne s’étend pas à un devoir d’investigation concernant les éléments comptables de la société, le banquier n’ayant pas à procéder à une analyse financière des comptes de la société débitrice pour remplir son obligation de mise en garde (v. déjà, Com. 29 sept. 2021, n° 19-11.959).

B. Conditions de la responsabilité du notaire

● Également tenu à un devoir d’information, qui se décline en 3 obligations à l’égard de son client : information, conseil, mise en garde ; en l’espèce, constat du manquement du notaire à son obligation de conseil et de mise en garde vis-à-vis de son cocontractant, ayant omis d’appeler l’attention de l’acquéreur sur les résultats d’exploitation du fonds ;

● La caution peut invoquer ce manquement contractuel pour engager la responsabilité civile du notaire : Ass. Plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255, Boot’shop : « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » = possibilité pour le tiers d’invoquer le contrat pour exercer une action en responsabilité de nature délictuelle ; identité des fautes contractuelle et délictuelle qui rend inutile pour le tiers la démonstration d’une faute détachable du contrat, soit une faute distincte du manquement contractuel ;

● Jurisprudence critiquée mais confirmée (Ass. Plén., 13 janv. 2020, Bois Rouge, n° 17-19.963), du moins concernant l’identité des fautes contractuelle et délictuelle : le tiers reste autorisé à invoquer un manquement contractuel pour obtenir, même sur le terrain délictuel, l’indemnisation du préjudice qu’il subit en conséquence d’un tel manquement ; stabilité de cette lignée jurisprudentielle (v. réc. Com. 3 juill. 2024, n° 21-14.947 ; nouvelle confirmation dans cet arrêt, rendu au visa de l’article 1240 (anc. 1382) ;

● La caution peut donc engager la responsabilité délictuelle du notaire en raison de l’inexécution de l’obligation de conseil et de mise en garde dont il était tenu à l’égard de son cocontractant, soit en l’espèce l’acquéreur du fonds de commerce.

II. Conditions d’annulation du contrat de cautionnement pour erreur

A. La commission d’une erreur substantielle

● Application du droit commun de la formation du contrat au contrat de cautionnement : nullité (relative) du cautionnement entaché d'erreur (C. civ., art. 1132), de dol (C. civ., art. 1137), ou de violence (C. civ., art. 1140). –L’erreur de la caution constitutive d’un vice du consentement emporte donc la nullité de son contrat. En transposition du droit commun, l’erreur de la caution doit porter sur les qualités substantielles de la chose qui forme la matière de l'engagement. 

● Appréciation : difficulté de caractériser la substance de la chose en matière de cautionnement ; substance liée à l'étendue de l’engagement, par ex. au montant de la dette garantie, mais cela s’apparente plutôt à une erreur sur la valeur, en principe indifférente (C. civ., art. 1136). 

● Hypothèse de l’espèce : erreur commise par la caution sur la solvabilité du débiteur ; ne relève pas à proprement parler de la substance de l’engagement de caution, du moins dans une approche objective. Mais la faveur de la jurisprudence pour une conception subjective de l’erreur substantielle explique sa prise en compte. 

B. La commission d’une erreur subjectivement essentielle

● Approche in concreto de la qualité substantielle admise en droit positif : objectivement, la qualité considérée n’est pas consubstantielle au contrat en cause, mais elle était effectivement recherchée par la victime de l’erreur ; dans cette conception large de l’erreur, toute qualité peut être considérée déterminante dès l’instant où l’errans a conclu le contrat en considération de cette dernière ;

● Partant, dans le cautionnement, l’erreur sur la solvabilité du débiteur cautionné – qualité non déterminante in abstracto – peut être sanctionnée par la nullité si les parties ont fait expressément de cette qualité la condition de leur engagement (jurispr. constante depuis Com. 2 mars 1982, n° 79-16.538) ; en outre, cet arrêt confirme l’infléchissement de cette solution traditionnelle en admettant que la solvabilité du débiteur principal soit une condition tacite de l’engagement de caution (v. déjà Com. 1er oct. 2002, n° 00-13.189).

 


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr