Actualité > À vos copies !

À vos copies !

Contrat synallagmatique à titre onéreux conclu pour un prix dérisoire : quelle sanction ?

[ 4 novembre 2011 ] Imprimer

Droit des obligations

Contrat synallagmatique à titre onéreux conclu pour un prix dérisoire : quelle sanction ?

Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.

Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 3e, 21 septembre 2011, pourvoi n°10-21.900, relatif à la sanction à retenir lorsqu’un contrat synallagmatique à titre onéreux a été conclu pour un prix dérisoire.

Arrêt

« Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 15 juin 2010), que, suivant acte authentique du 7 octobre 1988, suivis par des avenants des 22 septembre 1989 et 5 mars 1990, la commune de Cannes a consenti à la société Noga Hôtel Cannes un bail à construction d’une durée de soixante-quinze ans sur un terrain situé 50 boulevard de la Croisette à Cannes ; qu’en contrepartie de la jouissance d’une assiette foncière déterminée, la société Noga Hôtel Cannes s’était engagée à faire construire un ensemble immobilier à usage d’hôtel de luxe, de casino, de salle de spectacle, de galeries commerciales et de parkings dont le coût s’est élevé à 132 750.000 euros et à acquitter un loyer annuel de 762,25 euros ; que, sur poursuite des banques, créancières de la société Noga Hôtel Cannes, un jugement du 9 février 2006 a adjugé le bail à construction à la société Jesta Fontainebleau ; que la commune de Cannes a, par acte du 26 mai 2006, assigné cette société aux fins de voir, à titre principal, constater l’inexistence du contrat de bail à construction, à titre subsidiaire, prononcer sa nullité ;

Attendu que la commune de Cannes fait grief à l’arrêt de déclarer son action prescrite par application de l’article 1304 du code civil, alors, selon le moyen :

1°/ que l’existence d’un bail, quelle qu’en soit la durée, implique la fixation d’un loyer sérieux ; qu’en estimant que le prix dérisoire affectant la convention de bail à construction ne pouvait être sanctionné par l’inexistence du bail, mais exclusivement par l’absence de cause, la cour d’appel a violé l’article 1108 du code civil ;

2°/ qu’en tout état de cause, le contrat conclu sans prix sérieux est affecté d’une nullité qui, étant fondée sur l’absence d’objet, élément essentiel du contrat, est une nullité absolue soumise à la prescription trentenaire de droit commun ; qu’en estimant cependant que l’action de la commune de Cannes était soumise à la prescription de cinq ans, la cour d’appel a violé l’article 1126 du code civil, ensemble l’article 2262 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause ;

Mais attendu que la cour d’appel a retenu à bon droit que le contrat de bail à construction conclu pour un prix dérisoire ou vil n’était pas inexistant mais nul pour défaut de cause et en a exactement déduit que l’action en nullité de ce contrat, qui relevait d’intérêt privé, était, s’agissant d’une nullité relative, soumise à la prescription quinquennale de l’article 1304 du code civil ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi »

 

 





Travail préparatoire

Rappel de méthodologie

Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.

En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commenter et donc de mieux l’expliquer.

En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontré que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.

Analyse de l’arrêt

Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :

– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;

– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;

– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;

– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;

– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.

Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :

■ Sélection des faits : Une commune et une société commerciale ont conclu un bail à construction dont le montant du loyer est très peu élevé.

■ Qualification des faits : Un bail à construction est conclu avec un loyer dérisoire.

■ Exposé de la procédure : Le bailleur a agi pour voir constater, à titre principal, l’inexistence du contrat et, à titre subsidiaire, sa nullité pour absence d’objet, actions soumises l’une et l’autre à la prescription trentenaire de l’article 2262 ancien, applicable en la cause. Débouté par les juges du fond, qui ont préféré retenir la nullité du bail pour absence de cause, dont le support était une action soumise à la prescription quinquennale, il a formé un pourvoi au moyen, d’une part, que l’existence d’un bail implique la fixation d’un loyer sérieux, d’autre part, que le contrat sans prix sérieux est nul de nullité absolue, si bien que son action est quoi qu’il en soit soumise à la prescription trentenaire de droit commun.

■ Énoncé de la question de droit : La sanction du bail conclu pour un prix vil ou dérisoire réside-t-elle dans l’inexistence, la nullité absolue ou la nullité relative ?

■ Exposé de la décision : La Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif que « la cour d’appel a retenu à bon droit que le contrat de bail à construction conclu pour un prix dérisoire ou vil n’était pas inexistant mais nul pour défaut de cause et en a exactement déduit que l’action en nullité de ce contrat, qui relevait d’intérêt privé, était, s’agissant d’une nullité relative, soumise à la prescription quinquennale de l’article 1304 du Code civil ».

L’élaboration du commentaire

L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.

Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. En l’occurrence, l’arrêt concerne la sanction d’un contrat synallagmatique à titre onéreux conclu pour un prix dérisoire.

Dans la perspective de l’élaboration de votre commentaire, vous devez rechercher dans vos ouvrages de droit des obligations et dans les revues juridiques les développements et les décisions consacrés à cette question.

La structure du commentaire

Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste à :

– en restituer clairement le sens ;

– à en déterminer la portée ;

– et à en discuter la valeur,

étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.

 

 

 

Proposition de plan détaillé

Introduction

Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction (v. supra), il faut revenir sur la notion de cause objective.

Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite (v. supra).

Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire, lequel doit toujours consister à expliquer puis à apprécier la décision.

La Cour se prononce d’une part sur le type de sanction prononcée en cas d’absence de prix sérieux, d’autre part, sur la nature de la nullité, fondée sur le même motif.

I. Le type de sanction

La Cour de cassation, dans un premier temps, écarte la sanction de l’inexistence du contrat pour prix vil ou dérisoire, puis elle retient, dans un second temps, la nullité pour absence de cause.

A. L’éviction de l’inexistence du contrat

Raison pour laquelle le demandeur au pourvoi invoquait l’inexistence du bail : l’imprescriptibilité de l’action en inexistence.

La place de l’inexistence dans la théorie des sanctions contractuelles.

Le bien fondé d’une telle sanction en cas de défaut de prix réel et sérieux.

B. L’adoption de la nullité pour absence de cause

Examen de la prétention du demandeur au pourvoi selon lequel la nullité du contrat sans prix sérieux reposait sur l’absence d’objet, laquelle emporterait une nullité absolue. Explication et appréciation.

Réplique de la Cour de cassation qui affirme, que le contrat conclu pour un prix dérisoire ou vil était nul pour défaut de cause. Explication et appréciation.

II. La nature de la nullité

Absolue ou relative ? Telle est la question tranchée par la troisième chambre civile à propos de la nullité qui sanctionne le contrat conclu pour un prix vil ou dérisoire ! Question en proie aux fluctuations jurisprudentielles, d’une part, et aux variations doctrinales, d’autre part.

A. Fluctuations jurisprudentielles

Au sein de la Cour de cassation, coexistent deux tendances à propos de la nature de la nullité du contrat pour absence de cause : nullité relative ou nullité absolue. Exposé et appréciation de ces deux tendances.

Le choix opéré dans l’arrêt commenté : cette nullité est relative parce que, conformément à la théorie dite « moderne » des nullités, l’intérêt protégé, par la règle qui sanctionne les contrats conclus pour un prix vil ou dérisoire, relève de l’ « intérêt privé». L’annulation d’un contrat pour absence de cause, ou pour absence d’objet, tend, en effet, dans un contrat synallagmatique, comme l’est le bail à construction, à assurer la protection d’un contractant, victime d’un déséquilibre contractuel structurel, en ce sens que si un contractant a bien souscrit un engagement, son cocontractant n’en a souscrit aucun ou bien a en souscrit un purement illusoire ou manifestement dérisoire. C’est donc bien la protection du contractant qui s’est engagé sans justification, sans cause, la protection du bailleur qui s’est contractuellement engagé en contrepartie d’un loyer dérisoire, que la nullité pour absence de cause garantit alors. La nullité en question est une nullité relative : elle était à l’époque des faits ayant donné lieu à l’espèce commentée, soumise à un délai de prescription plus court (5 ans) que ne l’était l’action en nullité absolue (30 ans).

B. Variation doctrinale

Critique doctrinales de la théorie moderne des nullités sur laquelle est fondée la décision commentée. Essentiellement, la porosité de la frontière implicitement tracée par cette théorie entre l’intérêt général, dont l’atteinte est réprimée par la nullité absolue, et l’intérêt privé, dont la violation est sanctionnée par la nullité relative.

Solutions adoptées sur ces points par les différents avant-projets de réforme du droit français des contrats. Ceux-ci retiennent tous comme centre de gravité du régime des nullités qu’ils énoncent la distinction intérêt général-intérêt privé…

Reste que l’intérêt de distinguer différentes catégories de nullités a sans doute sensiblement décliné avec la récente réforme du droit de la prescription, puisque désormais la durée du délai de prescription ne varie plus en fonction de la nature relative ou absolue de la nullité.

Références

■ Y. Lequette,  Fr. Terré, Ph. SimlerDroit civil. Les obligations, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2009.

■ Bail à construction

[Droit civil]

« Contrat de bail de longue durée (de 18 ans minimum à 99 ans maximum) par lequel le preneur s’engage à édifier des constructions sur le terrain du bailleur dont il a la jouissance : il bénéficie du droit de superficie. »

■ Cause

[Droit civil]

« • Existence de la cause. Dans le droit des obligations, la cause de l’obligation du débiteur est le but immédiat et direct qui le conduit à s’engager. On oppose à la cause, ainsi définie, le motif qui est un mobile personnel, subjectif et lointain. La cause est, au contraire, objective; nécessaire à la validité des actes juridiques, elle est toujours la même pour chaque catégorie d’actes (par ex. : dans un contrat synallagmatique, la cause de l’obligation de l’une des parties réside dans l’objet de l’obligation de l’autre; dans un acte à titre gratuit, la cause est l’intention libérale).

• Licéité de la cause. La notion de cause, lorsqu’elle est envisagée sous l’aspect de sa licéité ou de sa légalité, recouvre les motifs personnels qui conduisent une partie à contracter. Lorsque le motif est illicite (contraire à la morale, à l’ordre public), il entraîne la nullité de l’acte à la double condition d’être la cause impulsive et déterminante de l’opération et d’avoir été connu de l’autre partie. »

■ Contrat synallagmatique

[Droit civil]

« Contrat faisant naître à la charge des parties des prestations réciproques si bien que chaque contractant est à la fois débiteur et créancier. Dans la vente, le vendeur est créancier du prix et débiteur de la chose, l’acquéreur est créancier de la chose et débiteur du prix. »

■ Nullité

[Droit civil]

« Sanction prononcée par le juge et consistant dans la disparition rétroactive de l’acte juridique qui ne remplit pas les conditions requises pour sa formation.

• La nullité est absolue lorsque les conditions imposées par la loi sont essentielles et tendent à protéger l’intérêt général, ou l’ordre public, ou les bonnes mœurs.

• La nullité est dite relative lorsqu’elle sanctionne une règle destinée à protéger une partie de l’acte (ex. : nullité pour incapacité).

Les régimes respectifs des nullités absolue et relative sont différents.

• Nullité virtuelle : nullité qui peut être prononcée alors qu’aucun texte ne la prévoit expressément.

• Nullité textuelle : nullité qui ne peut être prononcée que si un texte la prévoit de façon formelle (ex. : les nullités de mariage). »

Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

■ Article 1304 du Code civil

« Dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.

Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d'erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts.

Le temps ne court, à l'égard des actes faits par un mineur, que du jour de la majorité ou de l'émancipation ; et à l'égard des actes faits par un majeur protégé, que du jour où il en a eu connaissance, alors qu'il était en situation de les refaire valablement. Il ne court contre les héritiers de la personne en tutelle ou en curatelle que du jour du décès, s'il n'a commencé à courir auparavant. »

■ Ancien article 2262 du Code civil

« Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi. »

 


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr