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Droit de la famille
Conventionnalité du droit de retour de l’enfant victime d’un enlèvement international
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt CEDH, 28 mars 2024, n° 19664/20, Verhoeven c/ France.
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
■ Sélection des faits : : La requérante est une ressortissante française qui en 2007, se maria en France avec un ressortissant japonais. Un an plus tard, le couple partit vivre au Japon où naquit leur fils, en 2015. En 2017, la requérante revint en France pour passer des vacances d’été avec l’enfant. À la rentrée, elle fit part à son mari de son intention d’y rester avec leur fils, et demanda le divorce. Le père saisit les autorités japonaises pour récupérer son fils.
■ Qualification des faits : Une Française et un Japonais s’étaient mariés en France en 2007, un an avant de partir s’installer au Japon, où leur fils naquit en 2015. Deux ans après la naissance de l’enfant, la mère était illégalement rentrée en France avec l’enfant. Elle y avait déposé une requête en divorce, après avoir exprimé son intention de rester sur le sol français avec son fils. Resté au Japon, le père avait saisi les autorités japonaises pour obtenir une décision ordonnant le retour de l’enfant.
■ Procédure : À la suite d’une assignation du procureur de la République, le déplacement de l’enfant en France avait été considéré comme illicite sur le fondement de la Convention de La Haye, aux termes d’une ordonnance du 8 février 2018, en tous points confirmée en cause d’appel. Les magistrats ont estimé que le déplacement de l’enfant était contraire à l’exercice conjoint de l’autorité parentale, et que le retour au Japon du jeune garçon ne présentait aucun risque grave d’exposer ce dernier à un danger particulier (art. 13 de la Convention). Frappé d’un pourvoi par la mère, l’arrêt d’appel avait été cassé dans toutes ses dispositions par la Cour de cassation, aux motifs que les juges du fond n’avaient pas recherché si le retour de la mère avec l’enfant au Japon n’aurait pas pour effet de priver celle-ci de ses droits parentaux, exposant ainsi l’enfant, âgé de trois ans et ayant toujours vécu auprès d’elle, à un risque de grave danger psychologique. Renouvelant l’ordre de retour de l’enfant au Japon contenu dans l’ordonnance du 8 février 2018, la cour d’appel de renvoi releva, d’une part, qu’il ne saurait y avoir de traumatisme psychologique pour l’enfant à retourner dans le pays où se trouvait sa famille paternelle et où il avait construit des repères identitaires depuis sa naissance et, d’autre part, que le Japon ayant ratifié la Convention de La Haye en 2014, il ne pouvait être préjugé, à ce stade de la procédure, de la situation juridique susceptible d’être créée par une instance en divorce au Japon. Aux termes d’un nouveau pourvoi formé par la mère, la Cour de cassation jugea par un second arrêt qu’en l’état de ces constatations, la cour d’appel avait statué en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, ainsi que l’y oblige l’article 3 de la Convention de New York, confirmant donc l’illicéité du déplacement de l’enfant en France et l’ordre de son retour au Japon. C’est au terme de ce long et sinueux parcours judiciaire que les juges strasbourgeois ont été appelés à exercer leur contrôle à l’aune de l’article 8 de la Convention européenne.
■ Moyen du pourvoi : Devant la Cour, la requérante soutenait que les décisions des juridictions françaises d’ordonner le retour de son fils au Japon conduisent à une violation de ses droits au respect de la vie privée et familiale. Elle invoquait en premier lieu que la décision ordonnant le retour de l’enfant présentait un risque insuffisamment pris en compte par les juridictions nationales que l’enfant soit soumis à des violences physiques et psychiques dont elle-même avait été victime lorsque la famille vivait au Japon. Elle dénonçait également l’indifférence des juges français à son propre risque, eu égard à la législation japonaise applicable, d’être dans l’impossibilité de maintenir des contacts avec son fils dans ce pays, cet obstacle prévisible à l’exercice de ses droits parentaux devant être pris en compte. Pour toutes ces raisons, selon la requérante, la décision des juges français d’ordonner le retour de l’enfant au Japon n’aurait pas été prise dans son intérêt supérieur.
■ Problème de droit : En cas d’enlèvement international d’enfant, quels sont les critères et modalités d’appréciation de la conformité à l’article 8 de la Conv. EDH de la décision ordonnant le retour de l’enfant ?
■ Solution : La Cour conclut à la non-violation du droit au respect de la vie familiale. Elle juge que les tribunaux internes n’ont pas ordonné le retour de l’enfant de façon automatique ou mécanique mais qu’ils ont dûment pris en compte les allégations de la requérante au cours d’une procédure contradictoire et équitable. Elle relève que l’ensemble des juges saisis dans cette affaire ont rendu des décisions motivées qui poursuivaient l’intérêt supérieur de l’enfant et qui ont ainsi permis d’exclure tout risque grave pour lui, dans la mesure où ils ont constaté que l’enfant n’encourait aucun danger lié à l’exercice de violences physiques ou psychiques à son encontre, et que la requérante ne démontrait pas l’entrave concrète de ses droits parentaux à l’étranger.
I. L’exigence du contrôle de conventionnalité
A. La multiplicité des textes applicables
● 2 engagements internationaux applicables à l’enlèvement international d’enfants = la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants et la Convention de New York relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 + 1 texte de droit européen : art. 8 Conv. EDH ;
● Égale valeur normative des normes applicables = en matière d’enlèvement international d’enfants, les obligations issues de l’article 8 de la Convention doivent donc s’interpréter à la lumière des exigences imposées par la Convention de La Haye ainsi qu’en tenant compte de celles de la Convention relative aux droits de l’enfant (v. déjà, CEDH, 26 nov. 2013, X c. Lettonie [GC], n° 27853/09) ;
● Dispositions particulières en jeu : art. 3 (illicéité du déplacement de l’enfant en violation d’un droit de garde), 12 (principe du retour immédiat de l’enfant déplacé depuis moins d’un an), et 13 (exception au droit de retour de l’enfant en cas de risque grave) de la Convention de la Haye / article 8 de la Conv. EDH (droit du parent ravisseur à une vie familiale normale).
B. L’articulation des textes applicables
● Recherche d’une application combinée des textes internationaux, en particulier de la Conv. EDH et de la Convention de La Haye, pour garantir à la fois la protection des droits des enfants et des parents. Cette prise en compte de la diversité des normes applicables ne doit pas entraîner une opposition ou une confrontation entre les différents traités, à la condition que la CEDH puisse pleinement assurer la mission qui est la sienne, à savoir assurer le respect des engagements résultant pour les parties contractantes de la Convention européenne, en interprétant et en appliquant les dispositions de celle-ci, en l’espèce l’article 8 sur le droit au respect de la vie familiale, d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives.
● Recherche d’une application équilibrée des textes internationaux, à l’appui du principe de proportionnalité ; le point décisif consiste à savoir si le juste équilibre devant exister entre les intérêts concurrents en jeu – ceux de l’enfant, ceux des deux parents et ceux de l’ordre public – a été ménagé, dans les limites de la marge d’appréciation dont jouissent les États en la matière, en tenant compte toutefois de ce que l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la principale considération.
II. L’exercice du contrôle de conventionnalité
A. Le respect du principe de subsidiarité
● Intérêt supérieur de l’enfant : appréciation par les juridictions internes à laquelle celle de la Cour ne peut pas se substituer ; appréciation de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant au regard des exceptions au retour immédiat de l’enfant prévues par la Convention de La Haye, en particulier s’agissant de l’écoulement du temps et de l’existence d’un “risque grave” pour l’enfant. Cette tâche revient en premier lieu aux autorités nationales saisies, qui ont notamment le bénéfice de contacts directs avec les intéressés ;
● Au regard de l’article 8 de la Convention européenne, les juridictions internes jouissent d’une marge d’appréciation, qui s’accompagne toutefois d’un contrôle exercé par les juges européens en vertu duquel la Cour examine, sous l’angle de la Convention, les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de ce pouvoir, leur liberté d’appréciation étant tempérée par une obligation particulière.
B. Limites au principe : l’obligation procédurale
● Examen du processus décisionnel des juridictions internes = les éléments susceptibles de constituer une exception au retour immédiat de l’enfant en application de la Convention de La Haye doivent être suffisamment caractérisés, en sorte que le juge national doit rendre une décision spécialement motivée au vu des circonstances de l’espèce (déjà, CEDH, 18 juin 2019, Vladimir Ushakov c.Russie, n° 15122/17, §97) ;
● Double objet du contrôle procédural : dans le cadre de l’examen de la demande de retour de l’enfant, les juges nationaux doivent non seulement examiner les allégations défendables de “risque grave” pour l’enfant en cas de retour, mais également se prononcer à ce sujet par une décision circonstanciée ; tant un refus de tenir compte d’objections au retour susceptibles de rentrer dans le champ d’application des articles 12, 13 et 20 de la Convention de La Haye qu’une insuffisance de motivation de la décision rejetant de telles objections seraient contraires aux exigences de l’article 8 de la Convention, mais également au but et à l’objet de la Convention de La Haye. La prise en compte effective de telles allégations, attestée par une motivation des juridictions internes qui soit non pas automatique et stéréotypée, mais suffisamment circonstanciée au regard des exceptions visées par la Convention de La Haye, est nécessaire (déjà, CEDH, 6 déc. 2007, Maumousseau et Washington c.france, req. n° 39388/05, §73) ;
● Dans ces conditions, la Cour considère qu’en l’espèce, les juges français ont suffisamment motivé la décision de retour au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant ; risque d’une rupture des liens avec sa mère en l’espèce écarté en raison des procédures de médiation existantes et de l’impossibilité de préjuger d’une situation juridique qui résulterait de l’ouverture d’une procédure de divorce au Japon (appréciation in concreto, les difficultés rencontrées par le parent au sein de l’État étranger doivent être avérées) ; en outre, l’allégation de risque de mise en danger de l’enfant (exposition à des violences physiques et psychologiques) a été jugée, à l’unanimité des magistrats, insuffisamment démontrée, à l’issue d’un examen effectif du risque de répercussions traumatiques sur l’enfant en cas de retour au Japon qui n’encourait pas de danger spécifique, malgré le temps écoulé depuis son enlèvement.
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