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Droit des obligations
Créance entre époux : charge et modes de preuve malgré l’impossibilité morale d’obtenir un écrit
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 1re, 19 oct. 2016, n° 15-27.387 permettant de faire la preuve d’une créance entre époux.
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un jugement du 18 mars 2009 a prononcé le divorce de M. X...et Mme Y..., qui s'étaient mariés le 2 septembre 2006 sous le régime de la communauté ; que des difficultés se sont élevées au cours de la liquidation de leurs intérêts patrimoniaux ;
Sur les premier et cinquième moyens, ci-après annexés :
Attendu que ces moyens ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le quatrième moyen, ci-après annexé :
Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt de dire que la communauté est redevable à l'égard de M. X...d'une récompense de 17 106 euros ;
Attendu que le grief de dénaturation qu'invoque le moyen ne tend qu'à discuter la portée d'éléments de preuve, appréciée souverainement par les juges du fond ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu l'article 1315, alinéa 1er, devenu 1353, alinéa 1er, du code civil, et l'article 1348 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
Attendu qu'il résulte de ces textes qu'il incombe au demandeur, qui s'est trouvé dans l'impossibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve écrite, de prouver par tous moyens l'obligation dont il réclame l'exécution ;
Attendu que, pour dire que Mme Y... doit à M. X...la somme de 12 500 euros correspondant au montant de chèques émis à son profit avant le mariage, l'arrêt retient que si la remise de chèques ne suffit pas à établir l'existence d'un prêt, il doit être effectivement tenu compte du lien affectif et de la communauté d'intérêts de M. X...et Mme Y... existant au cours des cinq mois précédant leur mariage, facteurs objectifs qui constituent des éléments d'appréciation suffisants pour dire que M. X...se trouve dans l'impossibilité morale de fournir la preuve du prêt, que, de son côté, Mme Y..., qui ne conteste pas la matérialité des sommes remises avant mariage à hauteur de 12 850 euros, ne démontre pas que son époux, lorsqu'il lui a remis ces chèques, ait été animé d'une intention libérale ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'impossibilité morale pour M. X...d'obtenir un écrit ne le dispensait pas de rapporter la preuve par tous moyens du prêt allégué, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés ;
..........
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que Mme Y... doit à M. X...la somme de 12 500 euros représentant les sommes versées avant le mariage et que la communauté est redevable à l'égard de M. X...d'une récompense de 37 000 euros, l'arrêt rendu le 8 avril 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne M. X...aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à Mme Y... la somme de 3 000 euros ;
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
Sélection des faits : Un homme remet par chèque à sa compagne, avant de l’épouser, une somme de 12 500 euros. Après avoir divorcé, il souhaite récupérer cette somme.
Qualification des faits : Préalablement à son mariage, un futur époux remet plusieurs chèques représentant une somme globale de 12.500 euros à sa future épouse. A la suite de leur divorce, l'ex-époux cherche à obtenir le remboursement de cette somme, qu'il considère être un prêt accordé à son ex-épouse avant leur mariage.
Exposé de la procédure : L’époux assigne son ex-épouse en conséquence en remboursement de la somme qu’il prétend lui avoir prêtée. Les juges du fond accueillent favorablement sa demande et condamne l'ex-épouse à rembourser cette somme, au motif que si la remise de chèques ne suffit pas à caractériser l'existence d'un prêt, il doit être tenu compte du lien affectif et de la communauté d'intérêts existant entre les futurs époux durant les cinq mois ayant précédé leur mariage, objectivement de nature à justifier l'impossibilité morale pour l'appelant de rapporter la preuve du prêt, outre le fait que son ancienne épouse ne contestait pas avoir reçu la somme dont le remboursement est demandé et ne démontrait pas que son ex-époux ait été animé d'une intention libérale au moment de la remise des fonds.
L’épouse forme un pourvoi en cassation.
Énoncé de la question de droit : Comment prouver, en cas d’impossibilité morale de se procurer un écrit, la conclusion d’un contrat de prêt entre deux futurs époux ?
Exposé de la décision : La Cour de cassation censure la décision des juges du fond au motif que l'impossibilité morale pour l'époux d'obtenir un écrit ne le dispense pas de rapporter la preuve par tout moyen du prêt allégué et qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé les articles 1353, alinéa 1er (anc. art. 1315 alinéa 1er ) du Code civil et 1360 du même Code (anc. art. 1348) en inversant la charge de la preuve.
L’élaboration du commentaire
L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.
Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. En l’occurrence, l’arrêt porte la preuve d’une créance entre époux.
La structure du commentaire
Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste :
– à en restituer clairement le sens ;
– à en déterminer la portée ;
– et à en discuter la valeur,
étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.
Proposition de plan détaillé
Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction (voir ci-dessus), il faut insister sur son contexte, à savoir la charge et les moyens de prouver, en cas d’impossibilité morale de se procurer un écrit, la conclusion d’un contrat entre époux. Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite (voir ci-dessus).
Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.
I. Créance entre époux : la reconnaissance de l’impossibilité morale d’une preuve écrite
A. Notion d’impossibilité morale
Il est de jurisprudence constante que des liens de parenté ou d’affection peuvent constituer une circonstance dont résulte une impossibilité morale de se procurer un écrit alors même que la loi, en raison de la somme en jeu (seuil des 1500 euros : Décr. n° 80-533 du 15 juill. 1980), l’exigerait.
Si cette impossibilité morale doit être positivement démontrée, au cas par cas, celle-ci ne se déduisant pas automatiquement des liens d'intimité entre les parties, la jurisprudence est également constante pour reconnaître aux juges du fond un pouvoir souverain d’appréciation quant au point de savoir si une partie s’est véritablement trouvée, en raison de la relation en cause, dans l’impossibilité morale d’exiger un écrit (Civ. 3e, 24 oct. 1972, n° 71-12.175).
B. Illustration de la notion
La décision des juges du fond retenait, outre le fait que l'épouse ne démontrait pas que son futur époux avait été animé par une intention libérale, que ce dernier avait surtout été dans l'impossibilité morale de se procurer un écrit « compte tenu du lien affectif et de la communauté d'intérêts existant entre eux au cours des 5 mois précédant leur mariage ».
Et malgré sa censure, la Cour de cassation ne reproche pas aux juges du fond d'avoir admis cette impossibilité morale de se procurer un écrit, particulièrement susceptible d'être caractérisée au sein d'un couple. Elle convient que les rapports de confiance et d'affection existant entre les futurs époux au moment de la remise des fonds empêchaient moralement le défendeur d’exiger la rédaction d'un écrit.
II. Créance entre époux : la charge et les moyens de prouver
A. Charge de la preuve
La censure, justifiée, de la Cour de cassation, s’explique autrement. Le reproche qu’elle adresse aux juges du fond est d’avoir déduit de la preuve de l’impossibilité morale de se procurer un écrit la preuve du prêt lui-même, et donc celle de l'obligation de rembourser pesant sur l'épouse. Or si la remise des fonds n’était pas en l’espèce contestée, sa nature l’était ; il aurait pu s’agir d’un don par exemple.
Cette facilité offerte à une partie de prouver, en cas d’impossibilité morale, un acte juridique par tous moyens ne permet toutefois pas aux juges de déroger aux règles gouvernant la charge de la preuve. Aux termes de l’article 1353 du Code civil (art. 1315 anc.), « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». Or en l’espèce, ce n’était pas à l’ex-épouse de prouver la donation, mais à son ancien conjoint d’établir l’existence d’un prêt et donc d’une obligation de restitution de ces sommes.
B. Moyens de prouver
Dans l’hypothèse d’un prêt, il est de jurisprudence constante que « la preuve de la remise de fonds à une personne ne suffit pas à justifier l'obligation pour celle-ci de restituer la somme qu'elle a reçue ; encore faut-il établir l'existence du contrat de prêt » (Civ. 1re, 20 mai 1981, n° 80-11.544).
A défaut d’écrit, l’époux devait nécessairement mais librement prouver le contenu de leur accord, en recourant notamment à des témoignages et à des présomptions.
Références
■ Civ. 3e, 24 oct. 1972, n° 71-12.175.
■ Civ. 1re, 20 mai 1981, n° 80-11.544, D. 1983. 289, note J. Devèze.
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